Avec le documentaire "Grigny : les vélos de la liberté", la réalisatrice Claire Marchal nous invite à suivre une classe de collège de Grigny en Essonne dans l'apprentissage du vélo et la découverte d'une forme d'émancipation. À voir sur France 3 Paris Ile-de-France.
Claire Marchal, qu’est-ce que, selon vous, le vélo a appris aux élèves sur eux-mêmes ?
Ils ont appris que quand bien même ils rencontraient des difficultés à savoir bien rouler, pédaler, savoir prendre une route en toute indépendance ou encore aller seul dans la nature, c'est OK de tomber ou de faire des erreurs. Car à la fin, il y a quand même la possibilité d'y arriver avec un peu de travail et aussi grâce à la solidarité des copains et copines ou avec l'aide des professeurs.
Ils ont compris qu’on pouvait demander de l’aide et qu’on pouvait apprendre de ses erreurs pour évoluer et, dans le cadre du vélo, arriver au bout du voyage. Le sentiment de réussite qu'ils éprouvent à la fin par rapport au vélo peut se transposer à plein d’autres activités dans le cadre des cours mais aussi dans leur rapport aux autres. Symboliquement, le vélo incarne leur capacité à se dépasser à un moment et aller au bout de leurs rêves comme le disent certains dans le film.
Quels sont les collégiens que vous avez suivis ?
Il y avait une classe de vélo le mercredi après-midi qui est l'association Vélo du collège. Nous avons donc suivi les inscrits à ce cours. Ils sont entre la 6ᵉ et la 4ᵉ pour ceux qui participent principalement au film. Ils ont plusieurs âges, ils sont dans des classes différentes et certains ne se connaissaient pas forcément au départ et pendant l'année, comme ils ont appris à rouler ensemble, ils sont aussi devenus copains. Beaucoup ont découvert qu'ils étaient capables de faire 35 km à vélo aller et 35 retour, donc ils se sont réinscrits au cours dans l'attente de refaire ce voyage à la fin de l'année. Ils en gardent un très bon souvenir, car c'est un moment entre copains. Et puis le fait de savoir mieux faire du vélo pour plus tard quand ils sont plus âgés, ils s'en souviendront.
Grigny est un territoire géographiquement compliqué : il y a l’autoroute, la nationale, la Seine et on peut vite se sentir enfermé. Grâce au vélo ils savent désormais qu'ils peuvent voyager
Claire Marchal, réalisatrice
Le film, c'est aussi l'occasion de vivre le quotidien des professeurs et les difficultés auxquelles ils sont confrontés dans un quartier pauvre ?
Beaucoup des professeurs sont des jeunes profs parce qu'on est dans une REP + (Réseau d'éducation prioritaire) donc ils commencent par aller là. Beaucoup nous racontaient qu’ils venaient de différentes régions de France et que leur objectif au départ était d'avoir des points pour revenir ensuite dans leur région d'origine, en Bretagne ou en Aquitaine. Mais au bout de quelques années à Grigny, ils n'ont pas forcément envie de repartir parce qu’ils se sentent investis d'une mission qui dépasse le simple cadre de l'éducation ou de l’apprentissage. Ils adorent être ici parce que le rapport social est passionnant et qu'ils se sentent utiles. Aussi parce qu'il y a des moyens ici qui leur permettent de faire des projets vraiment passionnants et qu'il y a une véritable solidarité entre professeurs. Il y a beaucoup de joie en fait dans leur approche de l'enseignement.
En quoi le vélo est devenu pour ces élèves un symbole de liberté comme l’indique le titre ?
C’est un symbole de liberté parce que c'est quand même un des premiers moyens de transport émancipatoire pour les jeunes. On voit ça depuis toujours dans les séries télévisées ou les films : les jeunes de 14 ans prennent le vélo et s'évadent de la maison en groupe. Grigny est un territoire géographiquement compliqué : il y a l’autoroute, la nationale, la Seine et on peut vite se sentir enfermé. Grâce au vélo ils savent désormais qu'ils peuvent voyager pour pas cher avec une mobilité douce et aller vraiment dans des endroits qu’ils ne connaissaient pas, en pleine nature ou dans des châteaux, à des années-lumière que de ce que Grigny peut représenter dans l'imaginaire collectif. Cette liberté est de se dire qu’on a le choix de partir même si ce n’est pas au bout du monde. Partir, c’est aussi partir suivre des études plus tard et s'émanciper du cercle familial. C'est faire des choix pour soi-même.
En quoi le vélo peut devenir un marqueur social ?
Le vélo, c'est un marqueur social parce qu'un bon vélo ça coûte quand même des sous ! Il faut pouvoir le ranger chez soi, il faut avoir de la place pour le ranger et quand on habite dans un grand immeuble où les ascenseurs ne fonctionnent pas forcément c'est compliqué de le monter chez soi. Donc il faut le garer en bas de chez soi, mais ce n’est pas toujours sécurisé. Le matériel pour sécuriser un vélo aussi coûte cher et quand on se fait voler son vélo ça coûte cher… L’entretenir aussi. Comme le dit très bien un intervenant dans le film, pour apprendre à faire du vélo, il faut aussi qu’il y ait des gens pour nous apprendre à en faire. Et quand les parents eux-mêmes ne savent pas en faire ils ne peuvent pas aider leurs enfants... C'est un marqueur social parce que c'est souvent le papa ou la maman qui apprennent à leurs enfants à faire du vélo et ils n'ont pas forcément le temps pour ça, il y a d'autres priorités. Sauf que le vélo est important puisque ça permet ensuite la liberté. Donc c'est bien qu'ils aient cette possibilité de la faire à l'école. On voit souvent les images des enfants qui apprennent à faire de la voile, mais le vélo est plus utilitaire au quotidien !
"Les vélos de la liberté", à voir et à revoir sur france.tv/idf