Face à la pénurie de personnel soignant, la colère monte dans les hôpitaux publics avec des appels à l'aide qui se multiplient auprès du gouvernement. Dans le privé, des initiatives naissent pour redorer une profession qui n'attire plus.

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C'est une des trois "urgences" du gouvernement, avec le climat et le pouvoir d'achat :  la santé. Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP dresse un bilan inquiétant du manque de personnel dans les hôpitaux publics. 15 à 20% des lits ferment faute de soignants. Une situation pourtant dénoncée par les syndicats et les collectifs depuis de nombreux mois. "Depuis l'été 2021, il y a une sorte de désaffection, de ras-le-bol, de fatigue", expliquait-il il y a quelques jours. Déjà en février, le Syndicat national des professions infirmiers (SNPI) comptait 1400 postes vacants. "Il y en a qui ont changé de métier, d'autres qui sont partis dans le privé ou qui sont partis en province, il y a en aussi qui ne sont pas venus travailler après la diplomation de l'été dernier".

Une vague de démissions

L'hôpital n'attire plus, un constat partagé dans le public comme dans le privé. Mis à rude épreuve depuis la crise du Covid, entre lassitude, fatigue et charge de travail difficile, le personnel soignant déserte et ceux qui restent se partagent de plus en plus de patients. Dans le public, un.e infirmier.ère s'occupe en moyenne de douze patients, le double de la moyenne européenne (six patients). Outre les problèmes de rémunérations, c'est là une des principales causes d'arrêt dans la profession. Une sensation de ne plus faire le travail correctement.

"Il y a une perte de sens, le personnel est souvent pollués par des préoccupations dues à des désorganisations", explique Dominique Reynaert, directrice des soins à l'hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine). Cet établissement privé cherche à séduire à nouveau, et opte pour une stratégie de revalorisation de la qualité de vie au travail.

 À travers des salons infirmiers ou des portes ouvertes, sa direction présente les nouveaux dispositifs mis en place au sein de l'hôpital pour le bien-être au travail des infirmiers.ères. Massage, salle de sport, sophrologie par exemple. Côté financier, l'enjeu est là aussi d'être plus attractif, avec des primes d'aides à l'installation et des allocations d'études. Le but est de récupérer la cinquantaine de soignants qui manquent. Ceux-là même qui sont partis en province ou ont choisi une autre voie professionnelle.

Dominique Raynaert rejoint Martin Hirsch sur la pratique de l'intérim, de plus en plus fréquente dans le secteur, "une drogue douce qui nous met dans une situation absolument terrible", fustige le directeur de l'AP-HP. "Et qui devrait être interdite pour les jeunes diplômés", rajoute la directrice des soins de l'hôpital Foch. 

Selon l'Ordre national des infirmiers35.000 infirmiers devraient être formés pour répondre aux besoins. Mais, les instituts de formation n’en dénombre actuellement que... 25.000.

Des urgences fermées aux patients, faute de personnel

"Une situation catastrophique", commente de son côté le professeur Frédéric Adnet, chef des urgences à l'hôpital Avicenne de Bobigny (AP-HP). "On va avoir un goulet d'étranglement aux urgences car on n'aura pas d'aval pour les personnes qui auront besoin d'être hospitalisées". Le manque de personnel va jusqu'à se traduire par la fermeture de certains services d'urgences, comme celui il y a quelques jours de l'hôpital Robert Ballanger en Seine-Saint-Denis.

Le risque que la situation s'empire avec les départs en vacances d'été inquiète, "On est clairement en situation de crise", lâche Frédéric Adnet. Dans son CHU, une partie personnel a été forcée de modifier leurs dates de vacances. "Le danger serait que ces personnes encore là, s'arrêtent de travailler par épuisement. Il y a une forme de burn-out généralisé et accéléré depuis la Covid, avec un personnel qui fuit massivement. Je n'ai jamais vu ça en vingt ans d'expérience"

Emmanuel Macron, en déplacement ce jeudi 31 mai au centre hospitalier de Cherbourg (Manche), a promis un état des lieux, région par région, de la situation des hôpitaux publics, et de leurs besoins. Le président de la République a notamment parlé de la nécessité d'une "révolution collective de l'hôpital public". Une mission confiée à l'urgentiste François Braun, conseiller santé du candidat Macron pendant sa dernière campagne. 

"Les réformes de fond sont promises depuis un moment, et on a toujours rien vu venir", commente Frédéric Adnet, visiblement blasé par un manque de rapidité face à la crise. "Le Ségur de la santé [qui s'est déroulé en  2020, ndlr], n'a été qu'un replâtrage nettement insuffisant". Mais le professeur, aussi chef du SAMU de la Seine-Saint-Denis, veut tout de même espérer : "je suis intéressé par cette 'révolution' promise, elle doit nous permettre de quitter ce système de gouvernance comptable guidé par la tarification à l'activité (T2A). Un système qui oublie les missions de l'hôpital et écarte l'humain"

Sortir d'un système "kafkaïen"

Frédéric Adnet parle d'une "incapacité structurelle à casser ce désamour du personnel pour l'hôpital". Ce travail à faire pour redonner envie de travailler à l'hôpital public.  Les solutions, à court comme à long terme, sont pourtant nombreuses : recensement exhaustif des lits disponibles, transfert de personnel, logements réservés à proximité des établissements, réduction du nombre de patients par soignant, fin de la polyvalence, "celle qui trimballe une infirmière d'un service à l'autre", et évidemment, la revalorisation des salaires. "C'est aussi une question de nouvelle gouvernance à instaurer : aucun médecin aujourd'hui n'a de pouvoir de décision. Le matériel doit être demandé au directeur et  les projets médicaux doivent rapporter plus d'argent qu'en coûter. Un système Kafkaïen au détriment des malades... Il faut tout revoir", conclut-il. "J'espère que ce sera ça, la 'révolution' promise".

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