Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP dresse un bilan inquiétant du manque de personnel et de ses conséquences sur les services hospitaliers. Les fermetures de lits se multiplient faute de soignants. Une situation pourtant dénoncée par les syndicats et collectifs de soignants depuis 2 ans.
Invité de France Info le mercredi 27 avril, Martin Hirsch, président de l'AP-HP est revenu sur le manque d'infirmiers dans les services hospitaliers. Selon lui habituellement "4 ou 5% de nos lits qui ne sont pas ouverts", dû en général à "un problème ponctuel ou parce qu'on désinfecte. Depuis six mois, cela oscille entre 14 et 16%" de lits fermés."
L’explication de Martin Hirsch n’étonnera personne tant le malaise des soignants s’est fait entendre depuis 2 ans. "Depuis l'été 2021, il y a une sorte de désaffection, de ras- le-bol, de fatigue." Le directeur de l'AP-HP précise qu'il "manque 8% d'infirmières chroniquement depuis six mois" pour fonctionner normalement.
Des postes d'infirmiers toujours vacants
Déjà en février le Syndicat national des professions infirmiers (SNPI) dénombrait 1400 postes vacants. Une enquête de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) menée en octobre et novembre 2021 auprès de 1.100 établissements de santé (publics, privés non lucratifs et privés lucratifs) confirmait cette tendance : 1 245 agents avaient démissionné en un an.
L’Ordre national des infirmiers tient également les comptes. Selon cette instance 35.000 infirmiers doivent être formés pour répondre aux besoins mais dans les instituts de formation on n’en dénombre que 25.000. Il y a donc 25% de pertes. Patrick Chamboredon, président de l’Ordre, explique cette vague de départs : "On a eu des plans blancs pendant 2 ans. Dans ce cas les demandes de mutation, de mobilités, de mises en disposition sont bloquées. Ces demandes l’administration ne peut les refuser que deux fois. Et puis il y a eu une suractivité à cause de la crise du Covid."
L'hôpital face à une vague de démissions
Le Dr François Salachas, neurologue à la Pitié-Salpétrière et membre du Collectif Inter-Hôpitaux réagit à ce constat qu'il dénonce "Les chiffres qu’ils donnent sont minorés. Je pense que l’on est plus proche de 10% d’infirmières manquantes. Il y a eu énormément de démissions. L’hôpital n’attire plus. Nous on se bat en interne pour faire rester le personnel. On se bat pour les ratios de personnels. En Europe il est proche d’un infirmier pour six patients alors que nous en France on est sur un pour douze." La principale cause de la désaffection des infirmières pour leur métier est sans doute là. Au sein du Collectif Inter-Hôpitaux, François Salachas et ses confères réclament de meilleures conditions de travail "Dans les métiers du soin, quand on n’a pas la possibilité de faire son travail correctement, c'est-à-dire de pratiquer un soin de qualité, il est difficile de rester. Ce n’est pas la seule question des salaires. Dire que le personnel part dans l’interim et le privé pour gagner plus d’argent, c’est une technique de communication. Le phénomène de l’interim existait avant"
Les élèves infirmières partent vers l’interim. Mais elles sont souvent passées en stage dans les hôpitaux et elles ont vu les conditions de travail impossibles dans lesquelles elles allaient exercer.
Dr François Salachas, neurologue à la Pitié-Salpétrière - Membre du Collectif Inter-Hôpitaux
Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers sait exactement à quel moment le découragement s’est installé "Lors de la première vague on a cru qu’il y aurait un après. Mais lorsqu'on a constaté que les fermetures de lits et le manque de personnel se poursuivaient, cela a fini par dégoûter." Ce qu’il nomme "la mise en insécurité professionnelle" a laissé des traces. Les infirmières étaient alors obligées de passer d’un service à un autre sans être préparées. "Vous arrivez au boulot la boule au ventre avec la crainte de faire un mauvais geste et de mettre en danger les patients" raconte-t-il. Alors pour ce responsable syndical "Martin Hirsch déplore une situation qu’il a lui-même créée lors de la réforme de l’organisation du temps de travail en 2015."
Une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital
La direction de l’hôpital public a bien tenté d’enrayer cette vague de démissions et cette désaffection en mettant en place une série de mesures pour recruter. Primes, aide à l’installation, l’opération séduction lancée avec l’Agence Régionale de Santé a échoué. Avant cela, les milliards débloqués par le gouvernement lors du Ségur de la Santé sont arrivés trop tard.
C’est l’une des remarques de la Commission d’enquête d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France lancée le 9 décembre 2021. Après 4 mois de travail et d’auditions, elle a rendu ses conclusions fin mars. Dans sa synthèse, le rapport souligne : "face au sentiment de perte de sens, largement exprimé par les personnels, il est nécessaire de remettre le soin au cœur des métiers hospitaliers qui s’en sont trop éloignés faute de disponibilité suffisante pour s’y consacrer. Vétusté des équipements, charge de travail excessive, mais surtout manque de temps médical et soignant auprès des patients sont autant de facteurs à l’origine d’un profond sentiment de perte de sens qui provoque des départs de personnels en cours de carrière."
Selon le SNPI 180.000 infirmiers n’exercent plus aujourd’hui. Ils ont quitté l’hôpital pour se reconvertir. Pourtant, l’Ordre des infirmiers assure que la profession attire encore puisque il y a toujours 100.000 demandes formulées sur Parcoursup. Mais comment les retenir ?