Farid Benyettou, leader de la "filière des Buttes-Chaumont", avait recruté Cherif Kouachi dans les années 2000. Présenté comme le mentor des deux terroristes, il assure aujourd'hui être "déradicalisé". Rencontre.
Il se présente aujourd’hui comme un repenti. Dans le parc des buttes Chaumont dans le XIXe arrondissement de Paris où il a abreuvé de religion les jeunes du quartier pendant des années, Farid Benyettou, 39 ans, reconnait aujourd’hui avoir une « dette morale» envers la société. «Quand on a propagé cette idéologie, forcément on a du sang sur les mains, parce que c’est une idéologie qui tue, c’est une idéologie qui considère que tous ceux qui ne font pas partie des groupes djhadistes sont des ennemis. », assure-t-il. Mentor religieux des frères Kouachi au milieu des années 2000, il a encouragé le plus jeune et le plus radicalisé des deux, Cherif, à aller combattre. Au procès des attentats de janvier où Farid Benyettou a été entendu comme témoin, il a aussi présenté ses excuses aux victimes et à leurs proches. «Je suis vraiment désolé, j’aimerais revenir en arrière, réparer les choses, mais ce n’est pas possible…», a-t-il déclaré.
Rencontre avec les Kouachi en 2004
Farid Benyettou rencontre les frères Kouachi à l’été 2004, il prêche alors dans une mosquée et des salles du 19e arrondissement. Les jeunes du quartier forment son vivier de combattants. «Pour moi c’était encore pire parce que j’étais le prédicateur, j’étais celui qui justifiait qui encourageait les autres, donc forcément ce qu’ils vont faire par la suite, j’ai ma part de responsabilités là-dedans, c’est indéniable », reconnait-il.Cherif Kouachi fait partie de ses disciples. Il raconte au prédicateur son souhait de rejoindre Al Qaida en Irak. « Sa détermination à aller combattre, elle a toujours été présente depuis le départ. Ce qu’il reproche aux musulmans, c’est de ne pas aller en terre de djihad », se souvient-il. Ce groupe de jeunes radicalisés compte aussi Peter Cherif, présenté comme un possible commanditaire de la tuerie de Charlie Hebdo. Il doit être entendu ce vendredi comme témoin dans le procès des attentats de janvier 2015 depuis la prison de Fresnes où il est incarcéré.
Mais la filière des buttes Chaumont est démantelée en janvier 2005, la veille du départ de Cherif Kouachi pour l’Irak. Le plus jeune frère Kouachi est condamné à trois ans de prison, Farid Benyettou écope d’une peine de six ans pour association de malfaiteurs terroriste.
A leur sortie, les deux hommes continuent de se fréquenter. « Il a commencé à s’endurcir sur ses positions. Le djihad, c’était devenu quelque chose qui incombait aux musulmans. A partir de ce moment-là, il n’écoutait plus les autres, il commençait à prendre un rôle d’émir », assure-t-il.
J’ai vu la vidéo où ils assassinent le policier à terre. On entend crier : « on a vengé le prophète » et là je reconnais le timbre de voix et là je me suis retrouvée face à l’évidence
De son côté, Farid Benyettou suit des études d’infirmier et assure prendre ses distances avec l’islam radical mais voit toujours Cherif Kouachi, jusqu'à la fin 2014. « J’ai essayé de le raisonner lui dire que la voie qu’on avait suivi n’était pas la bonne », raconte t-il assurant ne jamais se douter qu’il préparait un attentat.
Le 7 janvier 2015, Farid Benyettou découvre à la télévision la tuerie de Charlie Hebdo. « J’ai vu la vidéo où ils assassinent le policier à terre. On entend crier : « on a vengé le prophète » et là je reconnais le timbre de voix et là je me suis retrouvée face à l’évidence » , raconte-t-il. A l’époque, l’ancien prédicateur est en stage d’infirmier à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière où sont justement soignés les victimes des attentats. Son stage est arrêté. Farid Benyettou assure ne plus partager ses visions rigoristes de l’islam. Depuis 5 ans, il participe à des programmes de déradicalisation.
Un changement qui n’a pas convaincu les parties civiles et leurs avocats qui estiment en partie que Farid Benyettou devraient avoir sa place sur le banc des accusés.