Située à Courbevoie (Hauts-de-Seine), la société spécialisée dans la veille médiatique vient d'annoncer un plan massif de licenciement, basé notamment sur "l'apport de l'intelligence artificielle". "Un coup de massue" pour les salariés.
"C’est très brutal, très violent… Quatre services entiers n’existeront plus, les salariés ne s’y attendaient pas", raconte Bruno, lecteur-vérificateur au sein d’Onclusive, et délégué syndical FO. Tout comme lui, Sylvain, administrateur des ventes et délégué syndical CFE-CGC, et Naïma, consultante en veille média et secrétaire du CSE (Comité social et économique), sont directement concernés par le plan de licenciement. Tous approchent ou dépassent les 20 ans d'ancienneté.
Veille média, constitution de revues de presse pour des grandes entreprises et des administrations de l’Etat, rédaction de synthèses d’actualités, envoi d’articles… La société - qui compte 383 emplois en France - a annoncé la suppression de 217 postes (209 départs et 8 postes déjà vacants non remplacés). Le tout à partir de janvier prochain et jusqu'à juin 2024, selon la direction.
Dans un communiqué qui évoque "des décisions difficiles" et "un plan de licenciement", Matthew Piercy, président de "Reputational Intelligence France" chez Onclusive, met en avant un "programme de transformation" censé rendre l’entreprise "plus forte, plus stable et mieux préparée pour l'avenir".
"L'intégration de l'intelligence artificielle n'est qu'une partie de la modernisation que nous entreprenons, affirme la direction, contactée. L'implémentation de plateformes de pointe au service des clients comprendra principalement le recours à des techniques sophistiquées d'automatisation et de digitalisation pour reproduire des tâches qui étaient auparavant manuelles. Il s'agit d'une étape nécessaire pour mettre à jour les systèmes et infrastructures obsolètes hérités de nos anciennes sociétés afin de fournir aux clients un service plus rapide et plus fiable et de rester compétitif sur le marché."
"Ce n’est pas infaillible, ça peut tomber en panne"
"La direction nous demande d’accepter cette 'mutation technologique', et refuse de parler de suppression de postes. Derrière ce prétexte de 'mutation technologique', il y a surtout la volonté d’économiser de l’argent en réduisant les effectifs et les coûts de production. Se cache également une délocalisation à Madagascar, avec la reprise de revues de presse", indique Naïma.
La direction met toutefois en avant "23 nouvelles fonctions" qui "seraient créées" dans le cadre du plan. "C’est encore flou, les employés devraient candidater comme candidats externes… Beaucoup d’appelés et peu d’élus", répond la secrétaire du CSE. Elle décrit "un coup de massue" pour les salariés, en précisant que l’ancienneté moyenne est de 18 ans. "Beaucoup de personnes sont quinquagénaires et proches de la retraite", souligne-t-elle.
Sylvain, lui, pointe du doigt un manque d’informations. "Aujourd’hui, nous ne savons pas à quoi ressembleront les outils qui vont remplacer les postes supprimés. C’est problématique, on ne sait pas si ces outils dont on nous parle fonctionnent et s'ils sont efficaces", déplore le délégué syndical.
Des inquiétudes partagées par Martial, un autre salarié directement concerné par le plan de suppression d’emplois. "Il y a eu pas mal de soucis informatiques dernièrement… Ils ont déjà déployé un outil de retranscription vocale automatique en texte. Il y a notamment des problèmes d’orthographe, ça a ses limites. Je n’ai rien contre l’IA, ça peut être un progrès important si ça permet de mieux faire son travail. Mais ce n’est pas infaillible, ça peut tomber en panne", indique-t-il.
"A long terme, c’est une catastrophe"
"Ce plan, je pense que c’est une première en France mais ce n’est sûrement pas le dernier", réagit de son côté Jean-François Foucard, secrétaire national CFE-CGC en charge des parcours professionnels. "L’IA va permettre une robotisation dans le tertiaire, pour le travail de nombreuses personnes qui travaillent avec un ordinateur. Énormément d’emplois de bureau vont disparaître ces prochaines années,de 2025 jusqu’à 2030, suite aux investissements lancés pour ces nouveaux outils", explique-t-il.
"Du point de vue des chefs d’entreprise, ça peut sembler rationnel. Mais c’est du court terme. A long terme, c’est une catastrophe. Quelle société allez-vous laisser à vos enfants ? Ça va rajouter des millions de chômeurs. Et même si tout le monde fait bac + 5, il n’y aura pas assez d’emplois. A l’avenir, on aura sûrement besoin de moins travailler, mais l’adaptation va demander du temps, c’est toute la société qu’il faut revoir. La rapidité de la transformation au sein des entreprises va être terrible, alors que la société aura besoin de 30 ou 50 ans pour s’adapter", poursuit-il.
Au-delà d’un "chômage massif" et "des systèmes sociaux qui peuvent tomber derrière", Jean-François Foucard souligne par ailleurs d’autres conséquences : "L’IA va aussi permettre de renforcer le contrôle des employés. Comment bâtir une relation de confiance, quand on est monitoré et comparé en permanence ? On va vers une individualisation du travail et un marché beaucoup plus dur."
Pour ce qui est d’Onclusive, la direction indique que "dix réunions de négociation sont prévues avec les représentants élus" du CSE. Elle affirme que des "mesures sociales d'accompagnement ont été présentées", notamment "un budget formation" et "différentes aides à la mobilité géographique".