Le 9 juillet, environ 200 occupants du campement ont reçu une place en centre d'hébergement d'urgence. "Beaucoup sont depuis revenus" depuis l'évacuation musclée d'un précédent campement installé sous le métro aérien de La Chapelle, début juin.
Abbas Nasser, élégant Soudanais aux yeux rieurs, se souvient avec tendresse du temps où il vivait entre Khartoum et Londres, dansait sur du Whitney Houston à Los Angeles et roulait en Cadillac. "Aujourd'hui, je n'ai même pas une Fiat."
Enfoncé dans un fauteuil usé au milieu du trottoir, il parcourt d'un regard las les matelas alignés sur le bitume, la corde à linge tendue entre un poteau et un arbre, les sacs de vivres entreposés dans un coin: sa nouvelle maison, un bout de la rue Pajol dans le nord populaire de Paris, où s'est installée depuis des semaines une centaine de migrants, essentiellement du Sahel et de la Corne de l'Afrique.
Le 9 juillet, environ 200 occupants du campement ont reçu une place en centre d'hébergement d'urgence. "Beaucoup sont depuis revenus", assure Houssam el-Assimi, membre d'un comité de soutien qui accompagne ces migrants depuis l'évacuation musclée d'un précédent campement installé sous le métro aérien de La Chapelle, début juin. "Soit parce que l'hébergement était de très courte durée, soit parce que les locaux étaient trop insalubres", ajoute-t-il.
Rescapé des geôles de son pays, puis d'un AVC qui l'a laissé hémiplégique, Abbas, "persécuté" par le régime soudanais "pour des raisons politiques", pensait trouver en France des soins et un peu de dignité: "On est traités comme des chiens", gronde-t-il.
Alors, comme chacun ici, il prend soin de ce fragment de trottoir, "pas la France qu'on avait imaginée". "Contrairement à d'autres lieux où ils sont infantilisés, ici les réfugiés participent activement à la gestion du campement", explique M. el-Assimi. Des réunions où chacun est invité à s'exprimer sur l'organisation d'une manifestation, la création d'un fonds commun ou encore la question du sexisme, sont régulièrement convoquées. "C'est une manière pour eux de retrouver une autonomie, une forme de vie sociale."
Un homme en short lave une marmite avec de l'eau qui jaillit du bitume, une jeune femme trie des vêtements donnés par des riverains. Abbas, lui, donne une leçon d'économie à quelques migrants accroupis autour de lui: "Le plus important, pour faire du business, ce sont les relations. L'argent vient après." "J'essaie de leur inculquer des manières de gentleman: la courtoisie, la retenue", confie-t-il en lissant sa moustache grise. "Certains d'entre eux sont agités ou agressifs à cause de la frustration."
Rien à perdre
Une quinzaine de migrants attend devant la porte coulissante d'une camionnette de l'ONG Médecins du monde, qui vient deux à trois fois par semaine. "On traite surtout des petits bobos, des rages de dents, explique Jeanine Rochefort de MDM, en revanche il y a une demande psychologique très forte."
Ce campement est "une solution d'urgence qui n'est pas viable à long terme", reconnaît M. el-Assimi. La situation sanitaire est précaire et la mairie a récemment fait retirer l'unique toilette, accusent les occupants du campement. "On demande à la mairie de nous fournir un lieu collectif autogéré", dit M. el-Assimi.
Cette requête a reçu l'appui de personnalités de la culture qui ont réclamé la "création urgente d'un lieu d'accueil collectif" qui pourrait être cogéré par les migrants et des bénévoles. Anne Hidalgo a rappelé les 1.020 places d'hébergement déjà proposées et la promesse du gouvernement de débloquer 10.500 places supplémentaires d'ici 2016. "Nous continuons à être attentifs (...) pour assurer notre mission de protection" des migrants, observe le directeur de l'Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), Pascal Brice.
Les migrants ont manifesté à plusieurs reprises pour demander "un traitement humain".
Dans un autre campement de la capitale, sur le quai d'Austerlitz, on envisage de déménager rue Pajol pour faire "front commun". "C'est notre
seule façon d'être vus et entendus par les autorités", estime Nasri, qui a fui le Darfour.
Les bénévoles de la rue Pajol redoutent une nouvelle évacuation du campement au creux de l'été. Abbas balaie cette perspective: "Les policiers?
Qu'ils viennent!, grommelle-t-il. J'ai perdu ma santé, ma fortune, ma vie. Que reste-t-il? Ce fauteuil?"