Migrants : pour les associations, les propositions de Bruno Retailleau s'attaquent à des personnes qui sont "déjà en danger"

Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau s'est exprimé depuis le Pas-de-Calais ce 29 novembre 2024. Il a réalisé une série d'annonces pour maitriser la crise migratoire. Nous avons interrogé deux responsables d'associations d'aide aux migrants, elles dénoncent des propositions qui mettent en danger les exilés.

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En visite dans le Pas-de-Calais, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a annoncé une série de mesures visant à endiguer le "désordre migratoire" à la frontière franco-britannique.

Détaillées en trois volets : sécurité du quotidien, soutien des collectivités et des habitants, et démantèlement des réseaux. Le ministre a particulièrement insisté sur la mise en place d'un renfort policier. 75 effectifs de police aux frontières, 75 effectifs pour la mise en place d'une compagnie de renfort, 25 policiers supplémentaires aux commissariats de Dunkerque et Calais.

► Lire aussi : Crise migratoire : "une logique à bout de souffle", Bruno Retailleau annonce plus de sécurité et un "bras de fer" avec le Royaume-Uni lors de son déplacement à Calais

Bruno Retailleau a également fait savoir qu'il créerait un fonds d'indemnisation pour les personnes ayant subi des dégradations sur la base d'un financement des Britanniques. De manière générale, il a annoncé ouvrir les négociations avec le Royaume-Uni pour que ce dernier participe financièrement à l'endiguement de la crise migratoire.

Enfin, il a annoncé que 20 enquêteurs supplémentaires allaient rejoindre l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants et espère remobiliser l'Europe sur la question migratoire.

Pour comprendre l'impact de ces dispositions sur les migrants de la frontière franco-britannique et leurs conséquences sur le milieu associatif, nous nous sommes entretenus avec Laura Poignet, de l'antenne calaisienne d'Utopia 56, ainsi qu'avec Flore Judet, coordinatrice de l'Auberge des migrants.

Vous attendiez-vous à ces annonces ?

Laura Poignet : "Pour être honnête, on ne s'attendait pas à une réaction adaptée à la réalité du littoral, connaissant les grandes lignes de la politique de M. Retailleau. On craignait une réponse étatique et municipale inadaptée.

Malheureusement, je ne suis pas surprise. Nous sommes dans l'incompréhension que le discours soit sur les effectifs des forces de l'ordre, qui continuent une politique de répression et pas sur la protection des gens. C'est un discours qui n'est pas en aucun cas sur les besoins de ces hommes, ces femmes et ces enfants coincés sur le littoral. À ce jour, on est au moins à 80 hommes, femmes, enfants qui ont perdu la vie à cette frontière. Il y a une multiplicité de drames face à un État qui ne répond pas par la protection. On est quand même sur un territoire où il fait extrêmement froid, où des centaines de personnes sont à la rue."

Elles n'ont rien d'étonnant ces annonces.

Flore Judet

Coordinatrice de l'Auberge des migrants

Flore Judet : "Ces annonces sont un écran de fumée. Ça fait 30 ans qu'on fait ça, qu'on répond de cette manière. Depuis le démantèlement de la jungle de Calais, c'est une militarisation et une bunkerisation permanente de la frontière. Et ça n'a pas pour effet de diminuer le nombre de traversées.

Je n’ai pas entendu un mot pour les victimes, alors qu'on est à 80 personnes décédées cette année. À quel moment on réhumanise ces personnes ? On les déshumanise et on les criminalise. Elles n'ont rien d'étonnant ces annonces."

Dans quelle mesure cela impacte le travail des associations ?

Laura Poignet : "M. Retailleau répond aux demandes de Mme Bouchart, maire de Calais, avec qui Utopia n'est pas aligné sur sa politique d'accueil, qui est inexistante. La violence et les intimidations vont se poursuivre, n'offrant jamais aucune solution. On aura toujours autant de personnes sur la côte.

On voit le nombre de violences policières augmenter. Aujourd'hui, je ne vois pas comment ces renforts policiers vont nous aider. Il y aura plus de pression, plus de précarité et plus d'invisibilité pour toutes ces personnes qui ne sont absolument pas mentionnées dans les discours de M. Retailleau ou Mme Bouchart."

Aujourd'hui, je ne vois pas comment ces renforts policiers vont nous aider.

Laura Poignet

Coordinatrice Utopia 56 à Calais

Flore Judet : "Il y a déjà énormément de policiers présents sur le littoral. C'est compliqué de savoir l'impact que cela aura sur notre travail. Les entraves au travail associatif existent de la part des préfectures et des mairies, comme la pose de rochers sur nos lieux de distributions, ou de panneaux de sens interdit qui apparaissent de nulle part. Je reste très méfiante."

Ces dispositions mettent-elles les migrants en danger ?

Laura Poignet : "Je pense que ces personnes sont déjà en danger. Aujourd'hui, ne pas avoir de voie de passage sûre, ne pas avoir d'hébergements alors que les températures baissent, ne pas avoir un accès correct à l'eau... ils sont déjà au quotidien en danger ici.

Il y a déjà un dispositif policier important, cela rajoute une pression psychologique à des personnes qui sont déjà en danger. Sans parler des conditions de traversée qui sont de pire en pire. Quand on regarde les chiffres de Douvres, il y a une augmentation du nombre de personnes qui embarquent sur les small boats. C'est lié au fait qu'il y a moins de bateaux, mais plus de gens. Ils sont 55, voire 56 par embarcation, alors qu'avant, ils n'étaient qu'une trentaine.

La dangerosité continue d'augmenter parce qu'il y a toujours plus de présence policière. Ils harcèlent, font peur. Il y a plus de forces de l'ordre, mais le nombre de décès augmente, comme le nombre de passages aux frontières et le nombre de personnes sur les routes. La réponse de M. Retailleau ne prend pas en compte le contre discours des assos. Aujourd'hui M. Retailleau répond à Mme Bouchart sans avoir dialogué avec le monde associatif. "

Flore Judet : "Avec cette philosophie d'augmenter la répression sur le littoral, il n'y a jamais eu autant de morts. Les décès ont lieu très près des côtes et s'expliquent par la situation de stress dans laquelle les personnes se trouvent avant d'embarquer. Les policiers sont équipés comme pour la répression des manifestations. On a une préfecture qui se targue de sauver des vies avec des flashballs, du gaz lacrymogène et des couteaux pour percer les bateaux.

Cela met tout le monde en danger, car les bateaux partent mal préparés, les gens s'y précipitent et partent de toujours plus loin. En partant de baie de Somme, ils multiplient la distance quasiment par trois.

Cela met tout le monde en danger

Flore Judet

Coordinatrice de l'Auberge des migrants

Ce qui me chagrine, c'est que le nombre de personnes décédées a été assumé par le ministre lui-même dans un tweet. Il en parle comme de "conséquences néfastes". Nous, on le dit, et on le répète, les politiques menées aux frontières sont des politiques qui génèrent des décès et le ministre de l'Intérieur le reconnaît lui-même ? Il faut une sacrée dose de cynisme.

Ouvrez des voies de passage sûres, permettez aux personnes d’utiliser les voies de passage sûres déjà existantes. On a un ferry de Calais vers Douvre. Il y aurait largement la place de faire passer toutes les personnes."

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