La bibliothèque, qui fait face au Panthéon dans le Ve arrondissement de Paris, est secouée par une grève inédite. Les employés dénoncent la baisse de leurs rémunérations, les suppressions de postes et l'état du bâtiment qui abrite des collections uniques au monde.
Lorsque Clarisse se rend dans l'une des nombreuses salles pour consulter un document, il lui arrive de les chercher à la lumière de son téléphone portable. "Il y a des problèmes de vétusté, d'éclairage régulier, il y a même eu un petit départ de feu dans un dépôt au niveau d'un néon", soupire cette employée magasinier à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (BSG).
Toits qui fuient, serrures qui lâchent, huisseries en mauvais état : le bâtiment principal et les extensions de la célèbre bibliothèque sont en souffrance, à tel point que cela pourrait endommager sérieusement ses collections.
Car au-delà de celles exposées dans la grande salle de lecture (2% du total), il existe 32 km de galeries dans lesquelles sont stockés 2 millions de documents dont le plus ancien date du IXe siècle.
"C'est la bibliothèque la plus importante concernant les fonds scandinaves. Ils ont des trésors uniques au monde, il faut le reconnaître. Plus de 40 000 lecteurs sont inscrits, la moitié étant des étudiants. Nous n'avons pas le droit, vis-à-vis de nos ancêtres, de laisser tomber cet endroit", explique Nicole Bériou, historienne, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et signataire de la tribune "Sauvons la BSG".
L'historienne lance d'ailleurs "souvenez-vous de Notre-Dame !" tout en rappelant "qu'un important effort a été fait ces dernières années sur les travaux de rénovation".
Grève historique
Depuis la fin novembre, la BSG est secouée par une grève inédite, la première de cette ampleur au cours de son histoire. La moitié des 120 employés ont fait grève à la mi-décembre, empêchant la bibliothèque d'ouvrir ses portes pendant deux semaines. L'établissement accueille, en temps normal, 1000 à 2000 lecteurs par jour, l'une des deux seules à Paris accessible jusqu'à 22 heures.
"Nous avons déposé quatre préavis de grève et nous en rédigeons un autre pour la rentrée", poursuit Clarisse.
Parmi les revendications des grévistes : la dénonciation d'une baisse des rémunérations. Ces derniers expliquent qu'une réforme voulue par l'université Sorbonne-Nouvelle – Paris 3, tutelle de la BSG, va entraîner une baisse des rémunérations, notamment des primes du soir qui vont passer de 13 euros (jusqu'à 18 euros selon l'ancienneté des salariés) à 11 euros brut pour tous.
"Cela permettait à ceux qui faisaient beaucoup de soirées d'obtenir un bonus de 150 à 300 euros par trimestre sachant que notre salaire de base est de 1 500 euros par mois", poursuit cette fonctionnaire de catégorie C.
Par ailleurs, une prime historique de 215 euros annuelle de bons d'achats de vêtements a également été supprimée.
Ces changements, accompagnés de la réaffectation de 6 postes dont 3 pour la gestion du bâtiment, sont particulièrement mal vécus par les employés qui estiment s'être beaucoup investis pendant la crise sanitaire pour maintenir accessible ce service public.
11 millions pour la BSG et Sainte-Barbe
"Il est inenvisageable que le moindre agent de la BSG perde en rémunération. C'est la base de la réforme mise en place qui vise à augmenter leur rémunération. C'est le message que j'ai toujours fait passer. Il existe une certaine méfiance difficilement compréhensible", plaide de son côté Jamil Jean-Marc Dakhlia, président de la Sorbonne-Nouvelle.
Ce professeur en sciences de l'information et de la communication argue ainsi que la refonte des calculs aboutira même à une augmentation des rémunérations de l'ensemble des salariés.
De même, aucune suppression de postes ne serait envisagée mais seulement une simple réorganisation hiérarchique. Les trois personnes qui s'occupent de la gestion et de l'entretien du bâtiment ne seraient plus sous la houlette du directeur de la BSG mais intégrées directement dans les services de l'université.
"On souhaite que cette bibliothèque, qui est un joyau, soit préservée dans les meilleures conditions. Je suis très choqué par le procès qui est fait à la Sorbonne-Nouvelle. Dans le Contrat de plan État-Région, la Sorbonne-Nouvelle n'a proposé qu'un projet, celui de la fusion des bibliothèques Sainte-Geneviève et Sainte-Barbe (située à 100 mètres et également placée sous la tutelle de l'université, ndlr) et a obtenu un financement de 11 millions d'euros. Nous avons souhaité concentrer l'ensemble des financements sur les deux bibliothèques", poursuit M. Dakhlia.
Les universités en manque de fonds
Selon lui, si "les peurs sont sincères", elles "reposent sur des rumeurs". "Traditionnellement, les bibliothèques se considèrent comme un monde à part. Le rapport avec les universités est difficile", ajoute-t-il.
En effet, au cœur de ces débats se pose la question du statut des bibliothèques interuniversitaires. Il en existe six en Île-de-France et leur gestion est confiée à une université alors qu'elles assurent à la fois des missions de conservation de documents et d'ouverture au public.
Or, les universités sont confrontées de leur côté à une hausse constante des inscriptions avec des budgets qui restent très tendus. Selon des données rapportées par Libération, l'État investi 10 110 euros par étudiant à la fac contre 15 710 pour ceux en classe préparatoire.
Avec près de 25 000 signatures, la pétition lancée pour préserver la bibliothèque et ses agents a eu un large écho, qui donne espoir à Nicole Bériou : "J'ai été professeure à Lyon 2 lorsque la bibliothèque a brûlé (en 1999, ndlr), je sais ce que c'est. Si cela n'intéresse pas suffisamment Sorbonne-Nouvelle pour qu'elle se retrousse les manches, il faudra engager une réflexion avec le ministère".