Le lycée Georges Brassens, seul établissement parisien à accueillir uniquement des élèves en double cursus artistique, est menacé de fermeture. La décision définitive doit être prise le 8 novembre. Les élèves, leurs parents et les professeurs s'insurgent contre cette annonce et s'organisent pour tenter de sauver leur lycée.
"On nous parle d'éducation d'excellence en France et on ferme une structure comme celle-là. On est tous hyper tristes, et on ne comprend pas… On n'est pas assurés de pouvoir continuer notre scolarité l'année prochaine", se désole Eufemia Pongitore, élève en classe de première au lycée général Georges Brassens, dans le XIXe arrondissement de Paris. La structure lui permet de suivre un double cursus en danse contemporaine au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris.
Ses horaires sont donc totalement aménagés dans ce lycée qu'elle considère comme "une grande famille". La jeune fille de 16 ans suit ainsi ses cours de première le matin de 8h à 13h, puis ses cours de danse au Théâtre des Abbesses de 14h à 19h. "L'équipe pédagogique considère que l'artistique et le scolaire sont aussi importants. Ils vont voir des spectacles, il y a des projets, ma fille a donné un cours de danse à des collégiens au 104, etc. C'est un tout !", se réjouit Isabelle Pongitore, la mère d'Eufemia, parent déléguée de la classe de sa fille.
Eufemia a appris la nouvelle de la fermeture de son lycée à la rentrée prochaine par un de ses professeurs au début de la semaine du 17 octobre. Selon la Région Île-de-France, les filières de Georges Brassens seront transférées au lycée Henri Bergson-Jacquard, situé dans le même arrondissement. La décision doit être entérinée lors d'un conseil interacadémique de l'Education nationale, le 8 novembre prochain. Sept autres lycées, eux professionnels, sont aussi concernés par une fermeture partielle ou totale dès la rentrée 2023.
Un lycée sur mesure
Le lycée Georges Brassens est le seul établissement parisien à accueillir uniquement des étudiants en double cursus artistique. Les lycées d'enseignement général La Fontaine et Racine et le lycée d'enseignement professionnel Abbé Grégoire proposent également de suivre une scolarité en double cursus, mais aussi une scolarité en temps plein.
Pour Isabelle Pongitoire, dont le fils, danseur lui aussi, a suivi une scolarité au lycée Racine, la différence entre les établissements est forte. "A Racine, ce n'est pas aussi bienveillant qu'à Brassens. Des professeurs le traitaient de saltimbanque", rapporte-t-elle. Si sa fille se retrouve contrainte d'aller au lycée Bergson, Isabelle Pongitoire a peur que cela "nuise à son parcours artistique, à son développement, qu'elle se retrouve noyée dans un établissement où on ne la comprend pas, où il n'y a pas cette ambiance bienveillante et énergique".
"J'ai passé mon collège dans un établissement en double cursus. Il y avait des classes à horaires aménagés et des temps pleins, mais il n'y avait aucune mixité entre les deux. Les professeurs ne comprenaient pas nos absences, le fait qu'on finissait tard, donc je pense que ça va être la même chose si on va à Bergson", s'inquiète Eufemia Pongitore.
La fille de Yaël Hassoun est en première à Brassens et au département de la Maîtrise de Paris du conservatoire à Rayonnement Régional de Paris en chant, violon et bandonéon. Déléguée parent d'élève élue au conseil d'administration, Yaël Hassoun souligne qu'au niveau du planning, les équipes de Brassens sont "très à l'écoute du rythme des enfants, 90% du travail se fait en classe", ce qui laisse aux enfants, qui font des "semaines de près de 50 heures", le temps de mener à bien leur cursus artistique et de dormir suffisamment entre deux journées. Elle a du mal à imaginer que le nouveau lycée "fasse de la dentelle pour les élèves" de Brassens.
De son côté, le conseil régional insiste : "il n'y a pas de fermeture de formations et il sera tenu compte de la spécificité de chacune. C'est juste un transfert géographique. Nous essayons de trouver des lycées où les élèves auront de meilleures conditions d'études".
Une baisse démographique et des locaux vétustes selon la région Ile-de-France
La Région Île-de-France explique que cette décision a été prise à trois : la région, "propriétaire des locaux", le rectorat, "qui décide de la carte des formations", et par les services de la Ville de Paris "car certains bâtiments étaient propriétés de la Ville jusqu'en 2022". Elle serait le résultat de "plusieurs mois de concertation".
Dans un communiqué commun, des conseillers régionaux de la Gauche et écologistes "demandent à la présidente de région de clarifier ses intentions et de renoncer à ces projets de fermeture d'établissements".
La Région dit être partie de deux constats qui l'ont amenée à "prendre la décision de faire évaluer la carte des formations et des implantations". Elle note ainsi "une baisse démographique" des lycéens à Paris. "Nous avons 8 000 places vacantes dans les lycées parisiens et nous estimons qu'il y en aura 12 000 d'ici 10 ans", avance-t-elle. Elle a également constaté une "vétusté de certains bâtiments plus totalement aux normes".
Les professeurs dénoncent un durcissement des conditions d'admissibilité
Deux arguments que réfute Hector Coudrin, professeur de mathématiques au lycée Georges Brassens depuis 2020, et membre de Sud Education 95. S'il confirme une baisse du nombre d'élèves - "il y avait environ 350 élèves avant et en 2022, ils sont 206. Il y a eu des fermetures de classes à la rentrée 2021 et à la rentrée 2022" - il impute cette diminution des effectifs à une modification des conditions d'admissibilité. "Tous nos élèves sont recrutés sur dossier par le rectorat et les conditions d'accès au lycée pour les demandeurs ont été durcies à la rentrée 2021", souligne-t-il.
"En 2019, nous avions quatre classes de seconde, nous n'en avons plus que deux aujourd'hui", abonde le professeur. Selon lui, plusieurs manifestations de parents d'élèves ont été organisées devant le rectorat pour protester contre cette diminution du nombre d'admissions et plusieurs parents auraient "déposé des recours au tribunal administratif parce que leurs enfants ont été refusés au lycée".
Concernant la vétusté du bâtiment (une ancienne école primaire), il le récuse. "Il n'y a aucun problème de ce côté-là. Les peintures ont été refaites cette année, le laboratoire de sciences a reçu de nouveaux matériels en 2022. Nous attendons juste des travaux d'isolation depuis plusieurs années", précise Hector Coudrin. "J'ai visité le lycée Bergson et je n'ai pas eu l'impression que leur bâtiment était en meilleur état que le nôtre", note-t-il.
Patrick Bloche, adjoint à la maire de Paris chargé de l'éducation, conteste lui aussi l'état de vétusté des bâtiments. "Quand nous gérions encore la moitié des lycées professionnels il y a quelques années, il n'était pas du tout question de fermeture", a-t-il déclaré à l'AFP.
Incertitudes pour les professeurs et professionnels du lycée
Le professeur de mathématiques dénonce "la brutalité de l'annonce", qu'il a apprise dimanche 16 octobre par voie syndicale, ainsi que "l'absence de communication de [sa] hiérarchie" alors que les personnels du lycée ont envoyé un courrier au recteur la semaine dernière à la suite de rumeurs concernant la fermeture de Brassens. Un courrier qui reste lettre morte à ce jour.
"C'est une situation très angoissante. Je n'ai aucune idée de ce que sera la suite de ma carrière, je ne sais pas où je serai en poste l'année prochaine. [...) On a beaucoup de mal à croire à la promesse d'un simple transfert dans d'autres locaux, et que toutes nos classes survivent à ce transfert. On craint la disparition de l'offre pédagogique unique que l'on propose aujourd'hui dans les domaines artistiques, mais aussi des sciences", confie Hector Coudrin.
Mobilisations du corps enseignant et des élèves
Les élèves ont prévu plusieurs actions les 7 et 8 novembre avec notamment des spectacles de danse et de musique devant le lycée et le rectorat. Ils ont également créé un compte Instagram (@brassens_en_lutte) pour communiquer sur leurs actions. Une pétition a aussi été lancée il y a trois jours et a déjà récolté plus de 6 800 signatures.
De leur côté, les professeurs et les personnels du lycée Georges Brassens ont voté à "une très large majorité" une journée de grève le 8 novembre, jour de la décision du conseil interacadémique. Une manifestation devrait également avoir lieu le 8 novembre devant la Région pour demander "le maintien du lycée dans sa structure actuelle dans ses locaux, et l'élargissement des recrutements pour accueillir les élèves de l'est parisien et tous les autres élèves que nous pouvions accueillir avant rentrée 2021", précise le professeur de mathématiques.
Contacté, le rectorat de Paris n'a pas souhaité commenter l'annonce de la fermeture des sept lycées dont Georges Brassens, expliquant qu'"à ce stade, la réflexion est toujours en cours".