Le projet a été mis en place par un collectif de familles de victimes, "Tenir ta main", et inauguré le vendredi 30 avril dans l'église parisienne.
Dans l’église Saint-Sulpice (VIe arrondissement), la troisième chapelle à gauche est dédiée à Paul de Tarse, dit Saint Paul. Mais pas que. Depuis vendredi 30 avril, elle abrite également le premier mémorial de France aux victimes de la Covid-19, dont le nombre a dépassé la barre symbolique des 100 000 à la mi-avril.
Hommages, fleurs, photos
Les conditions sanitaires rendent les adieux difficiles et plus douloureux que d’ordinaire. Sous le regard attentif de Saint-Paul – reconnaissable à l’épée qu’il tient dans sa main droite – ce lieu est ouvert à tout le monde, et aux croyants de toutes les confessions. Il s’agit d’un espace de recueillement et de prière.
Le confessionnal de la chapelle a été enlevé. À sa place, se dressent deux tables. Sur celle de droite, une corbeille à papier avec des petites feuilles pliées. Elles contiennent les mots et pensées que les familles ont rédigés pour leurs proches disparus. D’autres, intactes, posées juste à côté, attendent d’être utilisées avec un petit crayon à papier rouge laissé à quelques centimètres. Sur celle de gauche, un cahier d’hommage, où les gens écrivent leur témoignage, ou une prière.
Accrochée au mur, une affiche sur laquelle on peut lire : "À la mémoire des victimes du covid-19". Une dizaine de photos de personnes décédées de la maladie ont été collées. Devant lui, un support mis en place afin d’allumer une bougie ou un cierge. En bas du mur, et au pied de la statue de Saint Paul, des bouquets de fleurs sont disposés.
Implication plus forte
Dans l’église, des curieux s’arrêtent et regardent le mémorial. Deux jeunes filles. Elles discutent entre elles, se recueillent devant les visages punaisés au mur. "C’est mieux que de faire une statue dehors qui est juste visible tout le temps. Le faire dans un lieu fermé, fait qu’on peut plus s’impliquer physiquement en écrivant des mots, en priant (…) Il y a plus que de la simple observation", nous confie l’une d’elles.
Quelques instants plus tard, deux visiteurs faisant le tour du bâtiment s’arrêtent un bref instant, sans rentrer dans la chapelle. Ils admirent à distance. Une dame vient, dans la foulée, allumer une bougie et se recueillir devant le mur. Elle semble essuyer une petite larme avant de repartir.
"Mettre des visages derrière des statistiques"
Derrière le projet du mémorial, il y a le collectif "Tenir ta main". Né en mars dernier, à l’occasion de l’anniversaire du premier confinement, il a pour principal objectif "d’alerter sur toutes les dérives éthiques qui se passent depuis un moment : notamment les interdictions de visites, le manque de respect envers les défunts et l’absence des rites mortuaires", nous explique Laurent Frémont, son fondateur et secrétaire général. Ce docteur en droit public a perdu son père en novembre dernier des suites de la Covid. L’association a également pour but de fournir des aides psychologique et juridique aux proches de victimes. "On a reçu plus de 8000 témoignages de gens qui ont été privés de visites à leurs proches (…) Beaucoup de personnes sont parties dans des conditions indignes, dans la solitude. Leurs proches ont été privés d’adieux. C’est aussi une manière de mettre des visages derrière des statistiques", explique-t-il.
Au sortir d’un énième Conseil de défense sanitaire le 14 avril dernier, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a affirmé qu’il y aura "évidemment ce moment d'hommage et de deuil pour la Nation" et que "des réflexions sont en cours concernant l'instauration d'une journée dédiée à la mémoire des victimes". L’État n’a, à l’heure actuelle, pas encore tranché. L'association a décidé de ne pas attendre.
"Véritable écoute"
Mais pourquoi une église et pourquoi Saint-Sulpice ? Celle-ci est, depuis l’incendie de Notre-Dame, l’église de Paris et la plus grande église de la ville. "Une église centrale, avec une très riche histoire (…) c’est un lieu très fréquenté et visité de Paris. Cela nous permet dans le même temps de faire revivre la chapelle", poursuit Laurent Frémont, désignant du doigt les traces de peintures manquantes sur une partie des voûtes.
Laurent Frémont nous a confié avoir rédigé une proposition de loi sur le droit des visites. Il a été auditionné au Sénat, reçu à l’Élysée et obtenu le soutien de plusieurs ministres, notamment celle en charge de la Citoyenneté Marlène Schiappa. Le collectif a également rendez-vous avec le ministre de la Santé Olivier Véran dans dix jours. "Il y a une véritable écoute de la part des pouvoirs publics, des députés, des sénateurs et des ministères", se réjouit-il, ajoutant toutefois qu’il "faut maintenant des actes".