Depuis plusieurs semaines, le collectif Riverains Lariboisière Gare du Nord vise sur les réseaux sociaux la salle de consommation de crack situé près de chez eux. Alors qu'ils dénoncent les nuisances au quotidien, la mairie et la communauté scientifique insistent sur l'importance de cette salle en termes de santé publique.
Sarah vit dans le 10e arrondissement de Paris. Elle habite non loin de la salle de consommation de drogue par injections située rue Ambroise Paré, près de la Gare du Nord et dans l'hôpital Lariboisière. Tous les jours, celle-ci déplore les dérives qu'engendre la présence des toxicomanes selon elle. "Ils ont un périmètre d'impunité dans lequel ils peuvent transporter une quantité limitée de crack. Seulement, les doses ne sont jamais contrôlées", explique cette membre du collectif d'habitants et de commerçants "Riverains Lariboisière Gare du Nord."
Cette association est vent debout contre cette salle depuis sa création. Une situation qui rend le quotidien des habitants compliqué selon Sarah. "Les toxicomanes nous pourrissent la vie. Plusieurs d'entre eux créent des points de deal à l'extérieur de la salle, d'autres sont tellement intoxiqués qu'ils finissent par se battre violemment", raconte cette habitante. Ouverte en octobre 2016, la salle est située à quelques centaines de mètres d'une école. "Les enfants ne devraient pas voir ça. C'est inconcevable", poursuit la riveraine.
Selon le collectif, la salle a été ouverte "sans consulter les habitants et sans étude d'impact." Depuis plusieurs semaines, les habitants demandent via les réseaux sociaux des réactions de la part des élus. "À l'ouverture, la mairie s'est assise sur notre avis et aujourd'hui nous en payons les conséquences. Certains toxicomanes n'ont plus de limites. Ils vont jusqu'à se droguer dans des halls d'immeubles dans lesquels ils entrent par effraction.", commente Sarah.
L'association de riverains estime que la salle "n'a pas sa place dans un quartier résidentiel comme celui-ci". D'après elle : "Tout le monde en a marre. Les vigiles de la salle abandonnent car ils n'en peuvent plus."
Le collectif qui se dit apolitique voit également en la présence de cette salle un problème de santé publique. "Ce n'est pas avec cette salle que l'on va aider ces gens. Cela ne fait que les conforter dans leur dépendance", affirme Sarah qui confie ressentir "de la peine pour eux." Selon elle, il faut "leur apporter des solutions pour se sortir de la toxicomanie au lieu de les encourager à continuer." Sur son compte X (anciennement Twitter), le collectif enjoint la mairie du 10e arrondissement à agir. Le secteur est "devenu invivable" selon ses membres.
"La salle répond à un problème de santé publique"
Alexandra Cordebard, maire PS de l'arrondissement, affirme qu'elle comprend les préoccupations des habitants mais estime que les conditions de vie dans le quartier se sont améliorées depuis 2016. "Tout le travail des équipes permet de limiter le trafic dans l'espace public", affirme-t-elle. "Leur consommation a baissé, leur accompagnement par les associations et les maraudes se poursuit", estime-t-elle. En plus de les accompagner pour soigner leur dépendance, les équipes de la salle leur apportent un soutien sur le plan social. L'élue cite notamment le soutien aux personnes errantes qui "a changé la physionomie du quartier" selon elle.
D'après l'édile, l'implantation de cette salle permet "d'éviter la présence de plusieurs centaines de consommateurs dans l'espace public." Selon elle, cela participe à la "politique de réductions des risques liés à la consommation de crack". D'après Alexandra Cordebard, le projet d'une salle de consommation est porté par sa mairie depuis 2008. "Ce projet avait pour vocation de répondre à un problème de santé publique énorme à ce moment-là.", justifie-t-elle. Depuis 15 ans, elle indique ne pas avoir constaté de "décrochage" concernant le soutien des habitants à cette mesure.
"Nous recevons des gens issus d'une grande précarité"
Pour le Docteur Elisabeth Avril, médecin et membre de l'association Gaia, insiste sur le fait que la salle met l'accent "sur les soins apportés aux consommateurs". L'association les accompagne sur le plan sanitaire et social. "Nous tentons de comprendre ce qui les amène vers nous. Beaucoup d'entre eux sont issus d'une grande précarité. Notre but n'est pas seulement de les amener au sevrage. Certains connaissent ces produits depuis leur adolescence. Il s'agit de leur apporter le soutien adéquat à leur situation. Chaque cas est différent", détaille la professionnelle de santé. En moyenne, 200 personnes passent la porte de la salle tous les jours.
Un flux parfois difficile à gérer pour l'association. Elisabeth Avril souhaiterait voir d'autres salles ouvrir à Paris. "On ne peut pas accueillir tous les consommateurs du Nord-Est de Paris", estime-t-elle. Elle insiste également sur le fait que l'accueil au sein de la salle n'est qu'une "première étape dans la prise en charge de ces personnes."
En septembre dernier, un rapport de l'Institut National de la Santé et de la Rechercherche Médicale (INSERM) concluait que l'accès aux salles de consommation permettait d’améliorer la santé des toxicomanes. Selon le rapport, leur présence réduirait les risques d'infection comme le SIDA ou l'hépatite C. Le rapport salue également l'utilisation de seringues stérilisées dans les salles.
"Le partage de matériel comme les aiguilles ou les seringues est un des principaux facteurs de risque de transmission" de ces infections, peut-on y lire. L'IINSERM observe également une réduction des infections cutanée liées aux injections. Sur la question de l'impact sur les habitants aux alentours, un autre rapport de l'INSERM indiquait en 2021 que "l’évaluation ne met pas en évidence de détérioration de la tranquillité publique liée à l’implantation des salles". En conclusion de son rapport, l'INSERM invite ainsi à renforcer le dispositif existant.