Attentats du 13-Novembre : l’opération de secours des pompiers racontée par le Général Philippe Boutinaud

Alors que le procès des attentats du 13 novembre 2015 s’est ouvert cette semaine, l’ancien chef de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris revient sur la soirée des attaques. La plus grosse opération de secours pour la BSPP depuis la Seconde Guerre mondiale.

Cette nuit-là, 430 pompiers avaient été mobilisés pour secourir des centaines de victimes, du côté du stade de France, des terrasses et du Bataclan. Le Général Philippe Boutinaud était alors à la tête de la BSPP. Tandis que le procès des attentats a débuté mercredi 8 août, en présence de nombreux médias mais aussi de public, le tout sous haute surveillance policière, quel souvenir en gardent ceux qui ont vécu cette soirée ?

Dans un entretien accordé à France 3 Paris Île-de-France, l’ancien chef de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris raconte l’opération de secours menée le 13 novembre 2015. Une nuit au cours de laquelle les attaques terroristes ont fait 131 morts, et des centaines de blessés.

Le 13 novembre 2015, au moment où les premières explosions ont retenti, vous étiez au Stade de France. Comment avez-vous réagi ?

Philippe Boutinaud : Le match vient de commencer depuis quelques minutes, puis on entend une explosion, qui était quand même assez forte. Tout le monde se demande ce que c’est. Très honnêtement, j’ai moi-même pensé que c’était un genre de pétard agricole, quelque chose de puissant. Mais je n’ai pas imaginé une seule seconde que c’était de l’ordre de la bombe, parce que le souffle a été absorbé par le bâtiment du Stade de France.

Après, ça s’est un peu compliqué… Je reçois un appel du centre de commandement de la BSPP et là, on me dit qu’il y a une fusillade dans un restaurant du XIe arrondissement. Donc d’abord, je demande si c’est un règlement de comptes ou si c’est plus grave que ça. Le garçon qui m’appelle me répond : "Non, je pense que c’est plus grave que ça mon général, parce qu’a priori les gars ont ouvert le feu avec des kalachnikovs". Je dis : "Ok, j’arrive". C’est au moment où je vais vers la sortie du stade, qu’a lieu la deuxième explosion. Beaucoup plus forte, et j’étais beaucoup plus proche.

Je sors du stade, et là devant moi, à cinq mètres, il y a une jambe. La jambe d’un des terroristes qui s’est fait sauter. Évidemment mon regard est attiré par la basket qui était sur le pied, et je constate que le corps est à quelques mètres sur ma gauche. Puis je m’approche du corps, coupé en deux. Il y a des fils électriques qui sortent du T-shirt. Donc en l’espace d’une fraction de seconde, vous passez de cette interrogation dubitative à cette absolue certitude que vous êtes face à quelqu’un qui vient de se faire sauter.

A quel moment vous êtes-vous dit que c’était une attaque multi-sites ? Lorsque vous vous retrouvez à l’état-major, il y a de nombreux appels… 

Les 40 premières minutes, on a répondu à 700 appels, c’est exceptionnel. Non pas 700 appels reçus, mais 700 appels auxquels on a décroché. On sentait une très grande confusion. Et c’est tout à fait normal. Les gens sont sous une pression énorme. Ils ne savent pas forcément où ils se situent. Quand vous allez au cinéma, au restaurant ou au Bataclan, si vous n’êtes pas du quartier, vous ne savez pas forcément comment s'appellent les rues.
 

Dans ces situations-là, il y a toujours une phase chaotique.

Le Général Philippe Boutinaud, ancien chef de la BSPP

Il faut dire très clairement les choses : dans ces situations-là, il y a toujours une phase chaotique. Vous recevez de l’information et vous n'avez même pas le temps de l’analyser. Nous avons eu une succession d’attaques qui se sont étalées sur à peu près 40 minutes. Donc il faut reconstituer un peu ce puzzle.

Au tout début, personne ne sait ce qui se passe au Bataclan. Je pense qu’entre les standards police et les standards pompiers, on était les premiers à recevoir des appels de gens qui étaient à l’intérieur. C’était très difficile parce qu’il y avait des gens qui étaient complètement paniqués. Et on a compris tout de suite que c’était grave. Évidemment, la priorité allait à la neutralisation des terroristes. En fait, quand les policiers sont entrés dans le Bataclan, ils se sont tout de suite aperçus - en particulier les médecins présents dans les colonnes d’assaut - qu’il y avait plein de gens par terre qui étaient blessés, vivants. A partir de là, on a commencé à les évacuer.

Vous êtes entré dans le Bataclan. Les images ont dû être difficiles à gérer par la suite, pour vous et toutes les équipes...

Chaque individu gère comme il le peut, et comme il doit. C’est ce qui m’a amené immédiatement à décider de faire passer tous les hommes et femmes qui étaient intervenus ce soir-là devant des psychologues et des psychiatres. On n’oubliera jamais. On n’oubliera jamais pour plein de raisons. D’abord parce que c’est dramatique, parce que c’était essentiellement des jeunes. Il y en avait dans le tas qui avaient l’âge de nos enfants.
 

Ça ne m’obsède pas au jour le jour mais je n'oublierai jamais.

Le Général Philippe Boutinaud, ancien chef de la BSPP

Et puis quand on entre dans le Bataclan et que vous voyez tous ces corps par terre… Et qu’il y a les téléphones qui vibrent sur les cadavres. Et qu’à travers une poche vous arrivez à lire que "maman" appelle. Je n’oublierai jamais cette maman. Je ne sais pas qui c’est, mais depuis cinq ans, je pense très régulièrement à elle. C’est la maman inconnue. Et cette maman-là a perdu sa fille au Bataclan.

Même en tant que militaire, on n’est pas préparé à voir ça ?

Militaire ou pas, vous êtes un être humain. Vous n'êtes pas insensible. Alors on continue à vivre, parce qu’on est professionnel, on a été formé pour ça. Ça ne m’obsède pas au jour le jour mais je n'oublierai jamais. Ça fait partie de moi. Je suis profondément désolé pour ces gens qui n’avaient rien demandé, qui étaient simplement allés voir un concert, ou qui étaient allés manger au restaurant, et qui ont été fauchés pour des raisons complètement obscures.

Autant de sites ciblés, autant de blessés… Vous n’aviez jamais connu ça ?

Je crois qu’il faut d’abord rester extrêmement modeste : 130 familles en France sont endeuillées. Mais je pense qu’on a été assez performant vis-à-vis du fait que la régulation a été très bien ordonnée. Les gens que l’on a pris dans une rue de Paris, au Bataclan ou ailleurs, sont partis vers un hôpital où il y avait un bloc opératoire, une équipe médicalisée qui les attendait pour les soigner.
 

Ce qui m’a aussi marqué, ce sont les actes héroïques de gens ordinaires

Le Général Philippe Boutinaud, ancien chef de la BSPP

Dire qu’on ne pouvait pas faire mieux serait très présomptueux. Mais fondamentalement au fond de moi, je vous le dis : les hommes et les femmes que je commandais ont fait le maximum pour sauver des victimes. L’immense majorité des gens qui sont morts ce soir-là ne pouvaient pas s’en sortir. On ne peut pas guérir quelqu’un qui a pris une balle dans la tête, même en 2015. Voilà. Quand vous écoutez les bandes dans le Bataclan, les gars tiraient au coup par coup. C'est-à-dire une balle, une tête. Leur but, c’était de tuer le maximum de gens, pas de faire des blessés. Et encore une fois, quand il y a 130 morts, il faut s’incliner devant la peine des familles.

Et on insiste toujours sur le côté dramatique, mais ce qui m’a aussi marqué, ce sont les actes héroïques de gens ordinaires. Il y a des gens qui ont fait preuve d’un courage absolument incroyable chez les pompiers bien sûr, chez les policiers, mais aussi chez monsieur et madame tout le monde. Ce genre d’événement révèle en fait le pire et le meilleur de l’homme.

► L’entretien du général Philippe Boutinaud, réalisé par Aude Blacher et Louise Simondet, est à retrouver ici.

 

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