Une équipe de chercheurs dont fait partie le politiste Antoine Mégie étudie le procès des attentats du 13 novembre 2015. Un large projet collectif mené sur plusieurs années, qui analyse l’évolution de la justice française en matière de terrorisme.
A chaque jour d’audience, au moins trois membres de l’équipe se déplacent pour suivre le procès du 13-Novembre, sur l’île de la Cité. Le collectif, qui réunit au total une quinzaine de scientifiques, mène en parallèle deux projets de recherche axés sur les procès antiterroristes. "Le premier est centré sur la place des parties civiles", résume Antoine Mégie, enseignant-chercheur et politiste à l’université de Rouen.
"Le second a d’une part une approche ethnographique, avec pour objectif d’analyser les différents acteurs présents à l’audience, et leurs interactions, poursuit-il. Et, d’autre part, une approche qui vise à constituer une base d’archives autour du récit et de la médiatisation du procès."
Financé par la Mission de recherche "Droit et Justice", ce double-projet implique à la fois l’université de Rouen, l’université de Limoges, l'Institut des sciences sociales du politique (ISP), les Archives nationales, l'Association Française pour l'Histoire de la Justice (AFHJ), l'Institut National de l'Audiovisuel (INA) et la Bibliothèque nationale de France (BnF) Des étudiants sont aussi associés aux travaux.
Une étude étalée sur trois ans, lancée avec le procès des attentats de janvier 2015
Archives, dessins de justice, entretiens, questionnaire diffusé auprès des parties civiles, archivage de tweets… Pour travailler, l'équipe utilise de nombreuses sources mais aussi l’observation, par exemple sur la thématique de la captation vidéo du procès. "Cela pose notamment la question de ce qu’on ne voit pas, selon les angles, la technique et la manière de filmer, commente Antoine Mégie. "Les caméras ne captent pas tout : certaines réactions dans la salle ou des personnes qui quittent l’audience y échappent. On restitue ça par l’observation. Ça interroge notamment quand on pense au projet de filmer et diffuser la justice. Ce procès est un laboratoire."
Hormis le recueil de données sur le terrain, les chercheurs produisent également des rapports, publient des articles, préparent des présentations pour des conférences, travaillent sur des livres ou encore des podcasts. L’étude, qui s’étale sur trois ans, ne se limite pas au 13-Novembre. Elle s’appuie aussi sur le suivi des attentats de janvier 2015 à Paris, et du 14 juillet 2016 à Nice. Plusieurs enquêtes (au sein des tribunaux correctionnels puis des cours d'assises spécialement composées, sur la question des "revenants") ont précédé le projet, depuis 2015.
De nouvelles pratiques et normes sont testées ou confirmées par ce procès
Antoine Mégie, enseignant-chercheur et politiste à l'Université de Rouen
Mais comment analyser un procès aussi "hors norme" que celui du 13-Novembre ? Large dispositif de sécurité, 140 jours d'audience, une salle construite sur mesure avec 550 places, une dizaine de salles de retransmission, plusieurs centaines de parties civiles… "Ce procès apparaît fondamentalement comme hors norme, avec par exemple le nombre de parties civiles, le dispositif de filmage et la mise en place d'une webradio, répond Antoine Mégie. Il y a un engagement financier et mémoriel très fort. De nouvelles pratiques et normes sont testées ou confirmées par ce procès, et les sciences sociales permettent de les étudier."
"Ce procès appelé 'V13' s’inscrit dans l’histoire de la justice antiterroriste, et la construction d’une expérience judiciaire particulière", poursuit-il. "Les procès liés au terrorisme sont souvent qualifiés d’'exceptionnels'. C’est par exemple le cas du procès Chalabi, qui s'est tenu en 1998 dans un gymnase de Fleury-Mérogis, à côté de la prison. Et quand on remonte au procès des attentats de janvier 2015, on retrouve par ailleurs exactement les mêmes qualificatifs, comme 'hors norme' ou 'exceptionnels'."
Un reflet des transformations au sein de la justice française
"On doit essayer de comprendre ce qui s’est passé depuis 2015", ajoute l’enseignant-chercheur. "Le procès des attentats du 13-Novembre illustre beaucoup d’adaptations. Ça concerne par exemple l’évolution du filmage, quand on pense au procès dit Merah. Un dispositif de ce type avait alors été refusé." Le politiste évoque également les membres de la cour, les avocats et les parties civiles qui ont participé à plusieurs procès antiterroristes, avec "une spécialisation", "une forme d’habitude et des débats répétitifs d’un procès à un autre".
A noter enfin que le projet est mené par une équipe composée à la fois de chercheurs titulaires et vacataires. "Le sujet qu’on traite est intégré à l’actualité, et il intéresse, que ce soit auprès des étudiants ou des médias, mais il y a toujours une logique de précarité", déplore Antoine Mégie. Les statuts ne sont pas les mêmes dans l’équipe, avec notamment des doctorants qui doivent travailler sur leurs thèses, et des chercheurs postdoctoraux, dont les contrats s’arrêtent au bout de 12 ou 18 mois. Comme toujours, les vacataires font fonctionner le système universitaire."
A l’avenir, Antoine Mégie explique que l’équipe travaillera sur les données déjà recueillies, mais aussi sur le procès de l’attentat de Nice. "La recherche demande du temps, ce qui est devenu un luxe en raison de la question des financements de la recherche publique", souligne-t-il.