BD Angoulême : des albums au féminin pluriel

Qu'elles soient scénaristes, dessinatrices - voire les deux, 16 autrices sont en lice pour le 48ème Festival d'Angoulême 2021. Pas encore la parité, mais rapport il y a 5 ans, un quart de femmes sélectionnées, c'est déjà un net progrés. Sélection de trois bandes dessinées marquantes de cette année.

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Depuis 2019, trois ans après la polémique sur leur absence (une sélection 2016 à 100% masculine), les femmes sont devenues désormais incontournables au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême. Du Fauve d’or (Emil Ferris - Moi ce que j'aime ce sont les monstres) à celui de la jeunesse (Jen Wang - Le Prince et la couturière), du grand prix (Rumiko Takahashi - Juliette, je t’aime) à la révélation de l’année (Emilie Gleason - Ted Drôle de coco), elles ont notamment dominé le palmarès de la précédente édition de ce grand rendez-vous de la bande dessinée. Cette année encore les oeuvres de femmes sont de nouveau bien présentes : sur les 44 albums en compétition pour le prix 2021, toutes catégories confondues, 16 femmes en sont les autrices. Ce n'est certes pas encore la parité ; mais c'est en progrès chaque année. Parmi tous ces récits qui mêlent l'intime, l'autobiographie ou le fantastique, nous en avons choisi trois.

  • Flipette & Vénère de Lucrèce Andreae (éditions Delcourt)

Pourquoi le lire : Flipette est vénère ou Vénère flippe. Le titre est à double sens comme est double le chemin que les deux soeurs, Clara (Flippette) l'artiste photographe tendance bobio, et Axelle (Vénère) la boule d'énergie tendance anar, vont parcourir l'une vers l'autre pour se découvrir et mieux se comprendre. Peut-être aussi les deux faces de la personnalité de Lucrèce Andreae, autrice de ce premier roman graphique. 

Ces deux soeurs sont le reflet de ce qui m'anime moi et qui me pose question au quotidien. C'est comme si j'avais dupliqué en deux ma propre personne pour la faire dialoguer et se confronter.

Lucrèce Andreae

Depuis sa sortie des écoles Estienne et des Gobelins à Paris, Lucrèce Andreae est multiprimée pour ces court-métrages (festival d'Annecy en 2011, césar du meilleur court en 2018…). Si les couleurs acidulées et les dessins lisses surprennent dès les premières planches, c'est en réalité un choix osé et assumé qui tranche avec les BD aux traits noirs très (trop) souvent utilisés pour décrire une réalité sociale.Les deux personnages féminins mènent chacune un combat entre rêve, doute et lucidité. Un bouillonnant concentré de notre époque et de sa jeunesse, bien raconté, dans le contexte d'une société traversée par les débats sur le harcèlement sexuel, les écarts de plus en plus grand entre riches et pauvres et l'urgence de la catastrophe écologique. Si Flipette & Vénère (éditions Delcourt) est sa première bande dessinée, Lucrèce Andreae s'est fait connaitre auparavant avec succès dans l'animation. Regardez a bande annonce de son court-métrage césarisé en 2018, Pépé le Morse :- Le résumé de l'éditeur : Comment la jeunesse envisage-t-elle sa place dans ce monde à l'avenir incertain ? Entre doutes et certitudes, Flipette et Vénère cherchent désespérément à donner du sens à leur petite existence...
Le monde actuel, sa complexité, son absurdité, ses horreurs... Flipette, c'est Clara. Mesurée et réfléchie, elle est tétanisée, incapable de trouver du sens à sa pratique de photographe. Vénère, c'est Axelle. Plus prosaïque, elle préfère se retrousser les manches et aller au front. Les disputes entre les deux soeurs reflètent la souffrance d'une génération qui oscille entre résignation et espoir obstiné.
Pour découvrir les premières pages, c'est ici : Flipette & Vénère de Lucrèce Andreae (éditions Delcourt)
 
  • Baume du Tigre de Lucie Quéméner (éditions Delcourt)

- Pourquoi le lire : Le Baume du tigre, c'est une pommade au camphre bien connue de la pharmacopée des petits bobos. C'est ici la métaphore d'une BD d'apprentissage et de sororité qui n'est pas sans rappeler le très beau film Mustang de la cinéaste Deniz Gamze Ergüven, sur la survie de cinq soeurs en lutte contre le patriarcat en Turquie. Comme les personnages de son roman graphique, la dessinatrice Lucie Quéméner est partie étudier et vivre loin de sa famille, une très grande famille aux origines mixtes : bretonnes et chinoises. La jeune autrice a suivi les cours de l'Académie Brassart Delcourt à Paris dans le 11e arrondissement. Elle s'est nourrie de son expérience personnelle pour imaginer l'histoire d'une famille d'immigrés où le grand-père, garant des traditions, règne en patriarche tyrannique sur trois générations. C'est surtout l'histoire de quatre soeurs entrainées dans une sorte de révolte vis-à-vis de leur mère, oncles et tantes. Le refus de l'ainée de reprendre le restaurant grand-paternel et son désir de devenir médecin la guide vers une indépendance qui concilie son héritage culturel.

Etre auteur de BD, finalement, pour moi, c'est quand même un peu l'accomplissement de plusieurs générations de sacrifices, avec mes grand-parents qui sont arrivés en France et n'avaient pas d'autres optiques que leur survie.

Lucie Quéméner

Avec cet album tout en en crayonné particulier, Lucie Quéméner signe son tout premier projet, un projet très personnel, Baume du tigre aux Éditions Delcourt, dès l’obtention de son diplôme. Elle y parle avec talent et subtilité du poids de la réussite sociale que transmettent les immigrés à leurs enfants et leurs petits-enfants, de l’émancipation du cercle familial et des conséquences des choix d’une génération sur les suivantes. Un roman graphique que son actrice qualifie de "post émigration" et aussi un magnifique récit féministe, d'émancipation féminine : "On présente souvent l'émancipation féminine comme quelque chose qui devrait se faire complètement à l'opposé des traditions familiales, comme si les femmes devaient renier leur héritage culturel pour pouvoir mieux s'émanciper. Moi je pense que c'est une vision d'un féminisme très "blanc" et que normalement les deux doivent s'accorder et aller ensemble. on ne peut pas traiter ces questions de manière séparée."- Le résumé de l'éditeur : Dans une famille d'immigrés asiatiques, trois générations de femmes tentent chacune à leur manière de fuir le poids des traditions, abandonnant la protection du clan, pour conquérir leur liberté.
Ald, immigré asiatique et patriarche tyrannique, veille sur son clan avec autorité. Aussi, lorsque sa petite-fille aînée, Edda, annonce qu'elle veut être médecin plutôt que de travailler dans le restaurant familial, sa colère prend des proportions terribles. Bien décidée à s'émanciper, Edda entraîne alors ses soeurs Wilma, Isa et Etta dans un périple loin de chez elles. La route vers l'indépendance se fera-t-elle au prix de leur héritage culturel ? 
Pour découvrir les premières pages, c'est ici : Baume du Tigre de Lucie Quéméner (éditions Delcourt)

Ma BD a obtenu le prix France Culture BD des étudiants ! Partagée entre beaucoup de fierté et un peu honte à cause de la photo ahah Merci au jury !!

Publiée par Lucie Quéméner sur Lundi 8 juin 2020
  • Peau d'homme de Hubert et Zanzim - éditions Glénat

- Pourquoi le lire : Vous l'aurez noté ! Peau d'homme n'est pas le fruit d'une collaboration de deux autrices. Nous avons cependant choisi d'inclure cette bande dessinée dans notre sélection, pour sa portée symbolique : l'homme peut-il être une femme comme les autres ?
Le scénariste Hubert est parvenu à composer un album poétique et engagé sur l'identité sexuelle. Il conte en effet l’histoire d’une jeune femme qui revêt - au sens propre du terme - une "peau d’homme", et peut ainsi s’introduire dans la société des hommes et apprendre à mieux connaître son futur époux. L'histoire se situe dans une époque historique revisitée, la Renaissance, mais elle n'en est pas moins très actuelle par sa résonance. Un album également testatmentaire : Hubert Boulard, son nom complet, est décédé à Paris le 12 février 2020 avant la parution de Peau d'Homme, dessiné par Zanzim.

Un jour Hubert m'appelle et il me dit, écoute je vais écrire un brulot parce que là tout ce qui se passe à Paris avec les manifs anti mariage gay ce n'est pas possible. Tu es prêt à le dessiner ?

Zanzim

Un conte merveilleux 
Cette peau d’homme est donnée en cadeau par la sœur de sa mère, présentée comme une marraine. Une peau qui est en fait un costume que les femmes de cette famille se transmettent de génération en génération avant de se marier pour connaître le monde en passant inaperçue, c’est-à-dire en entrant dans le corps d’un homme. Les seuls habilités à aller où bon leur semble dans une société où le pouvoir économique, politique, religieux et social est aux mains des hommes.La séparation des sexes
Un travestissement donc ou plutôt un changement de sexe qui est d’abord vécu sous le signe de la curiosité : avoir accès à cet univers des hommes par nature caché aux femmes, puisque hors du domestique, hors du confinement de la maison familiale.
Mais très vite cet univers s’avère une illusion : où est ce courage tant vanté par les hommes, et qu'ils présentent comme leur apanage ? En quoi consiste au juste la virilité ?
La peau d’homme devient un costume qui permet de mettre à jour les hypocrisies de mœurs, de mentalités qui ne sont établies que pour maintenir sous cloche les femmes, en leur refusant notamment la même liberté sexuelle qu’aux hommes. Car, ce que découvre l'héroïne, c'est qu'il existe une tolérance sociale vis-à-vis de l’homosexualité masculine, même si elle est condamnée par le personnage du prédicateur, véritable Tartuffe, obnubilé en fait par le sexuel.
Mais nullement une homosexualité féminine, revendiquée par la protagoniste, Bianca.De l'acceptation des genres
Cet album se présente donc comme un apologue situé historiquement à la Renaissance en Italie, moment où les mentalités sont le plus en tension entre un grand désir de libertés et un carcan moral religieux. Mais au delà de ce cadre temporel, un récit qui se veut en écho aux questionnements actuels sur l’amour, les relations homme/femme, la question du couple, les droits des LGBTQIA+.

J'ai demandé à Hubert  : j'aimerai bien que tu racontes un truc plus personnel, lié à toi, à ton homosexualité, un truc plus proche de ton histoire.

Zanzim

Avec au final un dénouement qui, très clairement, est à lire dans cette perspective - avec une solution qui invite à respecter les désirs et les choix de chacun.
Pour découvrir les premières pages, c'est ici : Peau d'homme de Hubert et Zanzim - éditions GlénatPeau d'Homme

Mais aussi des autrices féministes et des héroïnes à foison

En 2016, un fort débat avait secoué le festival puisqu’aucune créatrice n'était retenue parmi la sélection officielle. Devant ce déni flagrant, un collectif avait appelé au boycott. Depuis cette prise de conscience, la compétition 2021 comporte 16 autrices sur 61 participants, soit un quart. Pas encore la parité mais cela va dans le bon sens depuis le mouvement #MeToo.  Tout d'abord nous remarquons la sélection de la dessinatrice Lisa Mandel, féministe, drôle et engagée. Elle est une des initiatrices du Collectif des Créatrices de Bande Dessinée Contre le Sexisme.
Avec Une année exemplaire, elle propose un projet pharaonique : réaliser une page par jour pendant une année afin de régler toutes ses addictions. Son journal de bord est publié en auto-édition et truffé d’autodérision.
Les héroïnes sont aussi là. La sélection a mis à l'honneur l'écrivaine Anaïs Nin, l’une des personnalités les plus fascinantes du XXe siècle, racontée par Léonie BischoffSur la mer des mensonges (éditions Casterman) réussit à faire revivre l’artiste et célèbre à travers elle l’émancipation par la création.

GOUSSE & GIGOT from misma on Vimeo.

Avec ce quatrième tome des Contes du Marylène (éditions Misma), la créatrice Anne Simon retrace la fabuleuse histoire du pays de Gousse et Gigot, "un univers fantaisiste gouverné par un humour noir, politico-absurde et délicieusement décalé. Les deux sœurs inséparables forment le tandem fétiche de cette épopée grinçante, miroir burlesque d’une condition féminine tragique."

? Prix Les Inrockuptibles de la bande dessinée 2020 pour Pucelle de Florence Dupré la Tour ?

Publiée par Dargaud sur Mardi 17 novembre 2020
Avec Pucelle (t1) Débutante (éditions Dargaud), Florence Dupré La Tour explore les tabous de la sexualité. Après Cruelle, Elle continue d’explorer la part sombre de son enfance, marquée par l’omniprésence d’un tabou familial : la sexualité, considérée comme « la chose qui ne doit pas être dite ».
Parmi les autres albums sélectionnés, nombreuses sont celles qui traitent de thèmes sensibles et d'actualité : les minorités sexuelles, le thème du handicap et du racisme. Comme avec Black Out (éditions Futuropolis), de la scénariste et romancière Loo Hui Phang (magnifique autice de Nuages et pluie ainsi que de L'odeur des garçons affamés). Une BD en noir et blanc qui est décrite comme un « négatif hanté par la mémoire du racisme aux origines d’Hollywood ».  Et puis avec Battue (éditions Six pied sous terre) la cinéaste  Marine Levéel signe son premier scénario de bande-dessinée, le récit angoissant d'une traque en pleine nature dans des paysages de montagne. Une partie de chasse avec Camille, infiltrée au sein des Blanchistes, un groupuscule néo-fasciste. Pour Battue, l'actrice dit s'être inspirer "des odeurs de chasse de son enfance, mais aussi du monde d'aujourd'hui."
Par ailleurs avec Invisible Kingdom (t1) Le sentier (éditions Hicomics), Gwendolyn Willow Wilson (créatrice de Ms. Marvel) a su faire éclater son talent dans une industrie du comics qui n’a malheureusement que peu de représentantes parmi ses scénaristes, encore moins de femmes musulmanes. Enfin peut-être un des albums au masculin des plus détonnants : Dragman (éditions Denoël Graphic), qui n’est pas un super-héros comme les autres. "Pour être capable de voler, il doit se déguiser en femme. Mais il n’a pas envie de ternir sa réputation d’homme marié et bon père de famille, même s’il adore se travestir… Cruel dilemme pour le héros de cette fantaisie à l’esprit typiquement british, qui renouvelle avec humour le genre super-héroïque." A noter un détail qui a toute son importance, l'auteur Steven Appleby est fasciné depuis toujours par le transvestisme, le fait d'adopter des mœurs, des vêtements et le comportement du sexe opposé. Ainsi il vit depuis le milieu des années 90 habillé en femme.Dragman
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