“C’est comme une pièce de théâtre” : Grégory Bodo, un "architecte" de parcours de saut d’obstacles au Longines Paris Eiffel Jumping

"Metteur en scène", "artiste", ou encore "architecte" les adjectifs ne manquent pas pour qualifier Grégory Bodo, l’un des meilleurs chefs de piste de sa génération. Durant trois jours, il dessine et installe les parcours du Longines Paris Eiffel Jumping. Près de 30 000 visiteurs et au moins 200 chevaux vont fouler la pelouse du Champ-de-Mars ce week-end.

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Grégory Bodo est de toutes les compétitions. “Il est en concours tous les week-ends, il les enchaîne !”, souffle l’attachée de presse de l’événement. Mais le chef de piste l’assure, il va devoir réduire la voilure à l’arrivée des Jeux olympiques de Paris 2024, où il a été nommé co-chef de piste par la Fédération équestre internationale (FEI).

Son rôle ? Dessiner le parcours et positionner les obstacles sur “la piste”. C'est ce qu'il fera ce week-end au Longines Paris Eiffel Jumping, installé au pied de la tour Eiffel de ce vendredi 23 au dimanche 25 juin. “C’est un cadre idyllique”. Ce Mosellan en est convaincu, le prestige du lieu va attirer néophytes et fins connaisseurs à l’événement. “Le sport hippique sera vu sous un autre angle, non pas celui d’une structure qui accueille tout au long de l’année des événements hippiques. Ici, on est sur un oneshot”, clame-t-il.

"Imaginez le travail en amont pour construire cette piste et avoir ce cachet-là"

Grégory Bodo

chef de piste du Longines Paris Eiffel Jumping 2023

La piste, qui va trembler sous le poids des sabots, est installée au-dessus de la fameuse fontaine du Champ-de-Mars. Celle-ci a été complètement bouchée et recouverte de blocs de polystyrène. Le sable a ensuite été déposé sur un tapis plastique. “Imaginez le travail en amont pour construire cette piste et avoir ce cachet-là”. “Paris est la plus belle ville du monde. Je l’affectionne tout particulièrement”, confie le chef de piste de 44 ans, ravi de pouvoir témoigner aux spectateurs parisiens, l’amour qu’il dédie au sport hippique. “C’est très important vis-à-vis des personnes qui n’ont pas de notions particulières de notre sport, et notamment de l’équitation de saut d’obstacles de haut niveau", livre-t-il. "C’est une manière de pouvoir le présenter, de le faire pérenniser et de le démocratiser, même s’il l’est déjà largement au niveau de l’initiation en centre équestre”. En France, l’équitation est le troisième sport français en nombre de licenciés.

Le chef de piste “doit procurer de l’émotion”

"Pourquoi ils m'ont mis les barres là ?", "Non, sur le numéro 1 !". À quelques minutes du démarrage du "warm-up" – une épreuve de "mise en condition" des chevaux la veille de la compétition, Grégory Bodo scrute la position des obstacles. Il guide son équipe au gré des arrivées des composants d'obstacles. "Le double-décamètre me permet d'avoir la distance en mètres et ainsi faire de belles lignes droites. J'ai également un odomètre qui me permet de mesurer la distance exacte du parcours". Avec un simple mètre en bois, il mesure aussi la hauteur des barres par rapport au sol, au millimètre près. "C’est un travail d’architecte, il ne faut pas l’oublier". Quelques secondes et deux pas en arrière, c'est ce qui lui est nécessaire pour bien visualiser la position et l'orientation de l'obstacle. "L'équipe de construction me donne les barres et je les pose. Personne d'autre que moi approuve l’emplacement définitif des obstacles".

"C’est un travail d’architecte, il ne faut pas l’oublier"

Grégory Bodo

chef de piste du Longines Paris Eiffel Jumping 2023

Le chef de piste est le chef d’orchestre d’une compétition équestre. Grégory Bodo n’hésite pas à comparer sa discipline à un art : le théâtre. “Ma scène, c’est notre terrain, la piste. Le metteur en scène, c’est le chef de piste, avoue-t-il. Il va choisir quel va être son cadre, ses comédiens, soit le couple cavalier-cheval. La scène, je la monte avec mes équipes”. Tel un artiste ou un peintre face à sa toile, le chef de piste a-t-il sa patte ? “Bien évidemment. Bien sûr que chaque chef de piste, malgré qu’il soit un technicien, a un côté artistique. Il a un style. À travers ces parcours, on va remarquer qu’il y a une empreinte qui lui est propre. Lié au type de tracé ou à la fluidité du parcours. C’est là qu'un cavalier va pouvoir retrouver ce qui différencie un chef de piste d’un autre.” 

"Ma scène, c’est notre terrain, la piste. Le metteur en scène, c’est le chef de piste"

Grégory Bodo

chef de piste du Longines Paris Eiffel Jumping 2023

Si des outils numériques sont aujourd’hui à la disposition du chef de piste, il n’y a qu’une seule chose qui fait la loi dans son sport : c’est le terrain, et rien d’autre. “Il n’y a absolument rien de mathématique, c’est de l’humain. Il n’y a aujourd’hui aucune machine qui peut remplacer ce que l’on fait. Nos plans [de parcours] sont publiés en ligne, c’est uniquement du visuel, pour un aperçu professionnel".

Sur le terrain, tout ne se fait pas forcément à l'œil pour le chef de piste. “J’ai des outils très simplistes, que tout bon chef de piste doit avoir en sa possession, outre les outils numériques pour les plans”. À l’installation du parcours, il arrive avec ses équipes sur la piste avec un ‘masterplan’. “Il s’agit d’un plan de travail où j’ai moi-même dessiné le parcours, le circuit numéroté et sa distribution d’obstacles”. Grégory Bodo dessine généralement ses plans deux semaines à l’avance pour les grands événements comme celui-ci. “Parfois, je peux le faire le jour même à cause des conditions météorologiques. Une fois, on a pu garder que les ¾ du terrain à cause d’intempéries. Là, j’étais dans l’urgence.

“Si le sport est bon, cela fait du show”

Avant le début de chaque compétition, le “course designer” se réunit avec ses équipes.  Autour de lui ce week-end, trois assistants chefs de piste “qui ont un niveau international” et qui ont l’habitude de travailler avec lui. “Nous nous retrouvons tout au long de l’année sur de gros événements comme celui-ci”. Ils échangent ensuite sur les différents parcours de la compétition, notamment sur le choix des obstacles, de la décoration, ou encore des couleurs. Tout est millimétré. Un chef de piste, aussi appelé “course designer”, n’est pas un arbitre. “Ce sont les juges. Le chef de piste n’est pas habilité à juger l’épreuve”, signale Grégory Bodo. “Il met en place les conditions. Il doit procurer de l’émotion, ce qui est très important pour moi. Il doit donner un show. Il doit créer un ressenti de la part du public. Ce ressenti, c’est d’avoir vu des choses qui vous ont créé du bonheur.”

"Plus on va avancer dans le week-end de compétition, plus on va arriver sur les épreuves compliquées"

Grégory Bodo

chef de piste du Longines Paris Eiffel Jumping 2023

Il va premièrement prendre en compte les épreuves qui vont s’enchaîner dans la journée. “Plus on va avancer dans le week-end de compétition, plus on va arriver sur les épreuves compliquées”. Sur une compétition de trois jours, le premier jour va permettre “de mettre en route les chevaux”. Il va ensuite prendre connaissance du “plateau” dont il dispose, c’est-à-dire les différents couples cavalier-cheval. Enfin, il va évaluer la piste qu’il aura à sa disposition pendant la compétition.

Au Longines Paris Eiffel Jumping, nous sommes sur une piste exiguë. C’est l’une des plus petites pistes du circuit. Elle fait à peine 80 mètres par 35, c’est petit”. Pour ce qui est des obstacles, il doit prendre en compte la nature de terrain. “Chaque obstacle reflète quelque chose pour le cheval, de par sa fabrication, sa modélisation ou sa couleur, confie le chef de piste. C’est un élément qui va permettre de donner le niveau de difficulté dans l’épreuve. La conjugaison de tous ces paramètres doit permettre de faire du sport. Si le sport est bon, cela fait du show, du spectacle”. 

“Le chef de piste [...] peut apporter une certaine créativité”

Très tôt, le Lorrain a découvert l’opportunité d’imagination que permettait le métier de chef de piste. “J’ai commencé très jeune. J’avais 18 ans quand j’ai été nommé au niveau national. Onze ans plus tard, au niveau international. Et bien sûr, j’ai tout de suite remarqué qu’un chef de piste pouvait à la fois conjuguer le côté sportif mais aussi apporter une certaine créativité, souligne-t-il. C’est le seul officiel de compétition qui a l’opportunité de pouvoir créer quelque chose. Les juges, stewards ou speakers sont liés à un protocole auquel ils ne peuvent déroger”.

"[Le chef de piste], c’est le seul officiel de compétition qui a l’opportunité de pouvoir créer quelque chose"

Grégory Bodo

chef de piste du Longines Paris Eiffel Jumping 2023

Le rôle du chef de piste peut paraître prenant, mais celui qui a acquis une renommée internationale tient à le préciser : “le course-designing, ce n’est pas mon job principal”. Ce métier lui prend une grande partie de son temps, mais à ses yeux, son premier métier est d’être professeur de marketing et management en école de commerce à Metz. “J’y consacre exclusivement mon début de semaine, le lundi et le mardi. J’ai dû fortement réduire mes horaires car je devais me déplacer de plus en plus souvent et de plus en plus loin. La semaine prochaine je m’envole pour le Canada par exemple.

Si Grégory Bodo multiplie les déplacements à l’étranger, il assure avoir trouvé “le bon équilibre”. Celui qui n’a pas quitté l’enseignement depuis près de 19 ans, confie une certaine satisfaction lorsqu’il rentre de compétition le dimanche soir pour “attaquer le lundi et le mardi sur quelque chose qui va totalement rompre avec le monde des chevaux”.

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