CARTE. Réchauffement climatique, les forêts urbaines sont-elles une solution en Île-de-France ?

La mairie de Paris porte plusieurs projets de création de forêts urbaines dans la capitale. Objectif : rafraichir la ville, de plus en plus touchée par des épisodes de fortes chaleur. Mais certains militants associatifs sont sceptiques, prédisant l'échec de ces initiatives et souhaitent la préservation des arbres existants.

Se balader en forêt permettrait une diminution du stress et rendrait heureux. A Paris, la mairie promet la création de trois forêts urbaines, dont une verra le jour avant les Jeux olympiques de 2024, celle située place de Catalogne dans le 14e arrondissement. Les deux autres, situées dans le quartier de Charonne (20e) le long de la petite ceinture, et place du Colonel Fabien (10e/19e), mettront plus de temps à être créées.

"On est dans des espaces fortement contraints. On a, au minimum, 800 à 1 000 m², voire 2 000 m² dans le cas de la forêt de Charonne où l'on pourra planter plus de 2 000 arbres. On est à chaque fois sur plusieurs centaines voire milliers d'arbres plantés ce qui permet d'avoir cet effet de densité de plantation. Cela permet d'avoir un effet de rafraichissement sur des îlots de chaleur urbains", explique Christophe Najdovski, adjoint à la maire de Paris en charge de la végétalisation de l’espace public.

Lors de la campagne des municipales 2020, Anne Hidalgo, maire (PS) de Paris, avait promis des "petites forêts urbaines" pour lutter contre les îlots de chaleur dans une ville très dense et urbanisée. Plusieurs sites avaient été désignés comme la place située derrière l'Opéra Garnier, le parvis de la gare de Lyon ou celui l'Hôtel de Ville. Exit les deux premières, face aux contraintes techniques et budgétaires. L'autre est encore au stade de l'étude.

Cela permet d'avoir un effet de rafraichissement sur des îlots de chaleur urbains

Christophe Najdovski, adjoint à la maire de Paris en charge de la végétalisation de l’espace public

"On peut en faire un peu partout, mais tout est question de coût et de complexité. Lorsque vous les faites sur des dalles avec des parkings en-dessous, comme c'est le cas place Henri Frenay (12e), cela nécessite des travaux de consolidation, donc des coûts, et un bilan carbone qui est plus fort et moins avantageux. Les trois projets actuels sont sur pleine terre, sans réseaux souterrains, ils sont moins chers et plus dans la sobriété énergétique", poursuit l'élu parisien.

"Ça ne sert quasiment à rien"

Des projets qui ont un certain coût : 4 à 8 millions d'euros selon leur surface. Mais selon Christophe Najdovski, ce coût est justifié par la forte demande de végétalisation venant de riverains qui se retrouvent piégés chez eux lors des canicules. Avec l'évolution du climat, les Franciliens vont devoir s'habituer à des épisodes de fortes chaleurs à répétition.

Selon Robert Vautard, climatologue et coordonnateur d’un des chapitres du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), "l'Île-de-France possède une sorte de microclimat : celui d'une région urbaine dense. Les nuits, en période de vagues de chaleur, peuvent être beaucoup plus chaudes si l'atmosphère n'est pas ventilée comme en région périurbaine ou rurale. Cela est clairement lié à l'urbanisation. Or, les températures les plus fortes ont augmenté de pratiquement 6 degrés pour les températures extrêmes depuis le milieu du siècle dernier dans les régions du nord et du centre de la France. C'est énorme."

Le concept de forêt urbaine a été créé dans les années 1980 par un botaniste japonais, Akira Miyawaki. Mais pour Thomas Brail, porte-parole du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), ces forêts urbaines ne représentent pas une réelle solution pour diminuer la chaleur dans les villes. "Nous n'avons pas énormément de reculs, notamment pour les expériences au niveau urbain. Il y a une très grande concurrence entre chaque arbre ce qui produit, à terme, beaucoup de mortalité d'arbres. Puis ces endroits deviennent inaccessibles, on ne peut pas s'y promener", déplore-t-il.

Ce que l'on créé, ce ne sont pas des forêts urbaines mais des bosquets secs

Tangui Le Dantec, fondateur du collectif Aux Arbres Citoyens

Tangui Le Dantec, qui enseigne l'écologie appliquée à l'ESAJ et fondateur du collectif Aux Arbres Citoyens, est, lui aussi, très dubitatif quant à ces initiatives. "Ce que l'on créé, ce ne sont pas des forêts urbaines mais des bosquets secs. La superficie d'une forêt est très importante et nécessaire pour conserver son humidité. Quand un arbre transpire, l'humidité est récupérée par les autres. Plus la surface d'une forêt est importante, plus elle est résiliente et résiste aux événements climatiques. Ces 'trucs' urbains, cela n'a aucune de ces fonctions écologiques qu'il y a dans les forêts."

Il prédit ainsi un échec cuisant de ces initiatives au bout de quelques années, en particulier celle de la place de Catalogne (14e) car les arbres vont se battre pour avoir de l'eau. "Pourquoi il y a une mortalité importante ? Quand on prend une vraie forêt, il y a 300 arbres par hectares. En moyenne, un arbre a besoin de 33 m² pour se développer convenablement. Dans ces expériences, il y a 3 m², ce qui ferait 30 000 pieds par ha dans une forêt. Le rapport est de 1 à 100. Si on prend l'hypothèse d'une évolution des forêts Miyawaki, dans 100 ans, il y aurait 99% de pertes. Et les premiers retours que l'on a sur les expériences européennes montrent une mortalité à 80%. Cela donne l'illusion de faire quelque chose de bien alors que cela ne sert quasiment à rien", avance cet enseignant qui rappelle que cette méthode Myawaki a été conçue pour les climats tropicaux où il y a plus d'eau.

Selon le militant GNSA, Thomas Brail, la solution réside plutôt dans la multiplication d'espaces verts dans les villes. "Il faut absolument conserver les vieux arbres. Il ne faut pas les abattre quand ils ont une grande canopée. Je ne dis pas qu'il ne faut pas en planter de nouveaux, mais il faut avant tout conserver les vieux arbres. Les architectes et les urbanistes doivent apprendre à travailler avec le végétal existant", ajoute-t-il.

Création d'une forêt dans le Val-d'Oise

D'autres initiatives fleurissent dans la région, d'ampleurs plus ou moins importantes. La plus aboutie se situe dans le Val-d'Oise. Un groupement d'acteurs publics (la région Île-de-France, le département et plusieurs communes concernées) ont décidé de créer une forêt ex nihilo sur 1340 hectares : la forêt de Maubuisson située entre Cergy-Pontoise et la vallée de Montmorency.

"Ce territoire a reçu depuis le début du XIXe jusqu'à la fin du XXe siècle les effluents des eaux usées de l'agglomération parisienne. Ces épandages étaient considérés à l'époque comme la méthode la plus évoluée de retraitement des eaux usées et favorisaient la production maraichère. Cela a fonctionné pendant un siècle", raconte Bernard Tailly, président du SMAPP, le syndicat mixte qui est chargé de la création de cette forêt.

Mais dans les années 1990, patatras. Des études révèlent une forte pollution du site avec la présence de métaux lourds comme du zinc ou du plomb (dépassant parfois jusqu'à 100 fois les normes). Des arrêts préfectoraux empêchent la culture maraîchère et obligent les agriculteurs à faire des cultures pour l'industrie ou la consommation animale. Ce n'est qu'en 2014 que vient l'idée de créer une forêt sur ces lieux.

"Il n'y avait que peu d'hypothèses. Soit on continuait à faire de l'agriculture à utilisation industrielle non-rentable et donc de subventionner une agriculture dépréciée. Soit on laissait les friches se développer et progressaient alors les occupations illicites comme les dépôts sauvages", se remémore l'ancien élu local.

Avec le réchauffement climatique, on a volontairement varié les essences. Et en cas de maladies, la forêt résiste mieux

Bernard Tailly, président du SMAPP

Selon lui, "la forêt est apparue comme étant la seule occupation compatible. Par ailleurs, il y a une continuité avec d'autres forêts. C'est la ceinture verte de l'agglomération parisienne, il fallait la sauver".

Plusieurs années seront nécessaires au syndicat pour devenir propriétaire des terrains. Les premiers arbres sont plantés à partir de 2019 et les premiers résultats sont encourageants. L'ONF, en charge des plantations, a sélectionné une trentaine d'espèces d'arbres. "Avec le réchauffement climatique, on a volontairement varié les essences. Et en cas de maladies, la forêt résiste mieux", détaille Bernard Tailly.

Selon ce dernier, il faudra des années pour les voir grandir : 30 à 50 ans. "On avait le souci que les deux agglomérations (Cergy et la vallée de Montmorency) ne se rejoignent jamais. Il ne faut pas une continuité urbaine, seul l'arbre peut empêcher cela. Dans quelques dizaines d'années, cela participera à combattre la chaleur sur le territoire. Mais sur quel périmètre ? C'est difficile de le dire aujourd'hui."

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