Le premier Forum économique des banlieues est organisé ces mardi 17 et mercredi 18 septembre à Paris. Stéréotypes, accès aux réseaux, besoin d’investissements… Entretien avec deux entrepreneurs qui ont fondé leurs projets en région parisienne, sur les défis qui touchent les quartiers populaires.
Il s’agit du premier "Davos des banlieues", en référence à la commune suisse qui accueille chaque année l’élite économique mondiale. L’ex-Premier ministre Gabriel Attal, les anciens ministres de l’Économie Bruno Le Maire et Jean-Louis Borloo, le milliardaire Xavier Niel (fondateur du groupe de télécommunications Iliad, maison mère de l'opérateur Free), l’ex-président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux… De nombreuses personnalités politiques et du monde de l’entreprise se réunissent à l’occasion de la première édition du Forum économique des banlieues (FEB).
Un événement créé par l'entrepreneur franco-marocain Aziz Senni, qui a grandi dans la cité du Val Fourré à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. L'association Quartiers d'affaires, qu’il préside, accompagne 250 000 TPE et PME installées dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Il explique à franceinfo vouloir "mobiliser les plus grands dirigeants économiques, politiques et acteurs associatifs pour réfléchir à un livre blanc" et prouver que "la banlieue est rentable".
Yasmine Iamarene fait partie des entrepreneuses qui participent au forum. Âgée de 37 ans, elle a fondé il y a 3 ans et demi MiPi, "une société de transport spécialisé dans le dernier kilomètre, autrement dit les livreurs et les livreuses qui viennent sonner à votre porte avec un colis", qui met notamment l’accent sur la féminisation du secteur. "L’entreprise est en pleine croissance. Au début j’étais toute seule sur le projet, aujourd’hui on a 250 collaborateurs. Le siège est à Cergy, et on est présent à Lille, Bordeaux et on est en train d’ouvrir d’autres régions", raconte-t-elle.
Passée par le secteur du textile, elle a grandi à Cergy, dans le Val-d’Oise. "Il ne faut pas stigmatiser les talents. Je venais de banlieue, personnellement j’ai fait des études mais autour de moi je connais plein de gens brillants qui n’en ont pas fait. Quand on vient des bons milieux, il y a l’opportunité de faire de grandes écoles, d’accéder à des réseaux, de comprendre certains codes. Quand on vient des banlieues ou des zones rurales, on n'a pas les mêmes contacts via la famille ou les études. Donc quand on se lance, on n’a pas les mêmes leviers pour réussir", explique-t-elle.
"Les talents viennent de partout, donc il faut donner la même chance à tout le monde. Se lancer dans l’entrepreneuriat, c’est comme marcher dans un désert, on a besoin d'une main tendue pour nous guider. On a notamment besoin d’exemples pour s’inspirer. C’est l’un des objectifs du forum : montrer que le chemin de la réussite est accessible à tous", ajoute-t-elle.
Âgé de 31 ans, Youssef Koutari, lui, est né au Maroc avant de "venir très jeune en France", à 5 ans, en grandissant à Échirolles près de Grenoble, en Isère, puis aux Clayes-sous-Bois, une commune de 17 000 habitants des Yvelines. "Après avoir travaillé comme ingénieur d’affaires dans une entreprise des hautes technologies, j’ai fondé Kout que Kout : une école de commerce basée dans plusieurs villes, qui forme des jeunes venus des quartiers populaires et des milieux ruraux vers des métiers du numérique. Il y a un établissement à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, un second à Montpellier, et bientôt un troisième à Avignon", raconte-t-il.
"Il faut reconnecter les quartiers et le monde de l’entreprise"
"Il y a une image négative des banlieues d’un point de vue économique qui est largement diffusée. Sur le terrain, on constate qu’il y a beaucoup de jeunes motivés, qui ont envie d’avancer. Mais ils ont besoin de mentors - de 'role models' visibles - et d’un accompagnement, et ils ne font plus confiance aux institutions. Il faut reconnecter les quartiers et le monde de l’entreprise, pour donner de vraies opportunités à tout le monde", indique Youssef Koutari.
"On ne va pas dire que les banlieues sont complètement délaissées, mais on ne fait pas totalement confiance aux quartiers. Il y a beaucoup de talents et de projets d’entreprise dans les quartiers populaires. Ils méritent d’avoir un meilleur accès à l’information et d’obtenir la confiance des institutions, des grandes entreprises et des pouvoirs publics", poursuit-il.
Le "Davos des banlieues" a notamment pour objectif de rassembler 100 millions d'euros de commandes publiques et privées pour les entreprises installées dans les QPV. "Les investissements, c’est utile pour créer des opportunités et c’est essentiel pour faire du business, réagit Yasmine Iamarene. Il faut avoir l’opportunité de faire les bonnes rencontres, personnellement j’ai fait en sorte de faire ces rencontres dans certains incubateurs. Et on ne parle pas de charité : aucun contrat n’est signé pour faire gentil, il faut générer de la croissance."
"Il faut oser provoquer sa chance, ajoute-t-elle. Quand on parle des stéréotypes, personne ne doit être mis dans une case. Personnellement je suis une femme et je suis née en Algérie, avant de grandir en banlieue. Je suis une femme intelligente, acharnée, avec un projet qui crée de la valeur. Il ne faut pas créer de plafonds de verre."
De son côté, Youssef Koutari souligne "les difficultés à trouver de l’argent quand on se lance dans l’entrepreneuriat". "Trouver des investisseurs, ça demande des connaissances bien particulières. Un événement comme le forum peut faire prendre conscience aux personnes qui ont les fonds qu’il y a plein de projets super intéressants en banlieue, avec un impact positif sur la société. Sans réseau, lever de l’argent peut vite être insurmontable. La chose la plus importante pour entreprendre, c’est de trouver des fonds. Sinon, impossible d’installer ses locaux, ou de recruter une équipe", souligne-t-il.
Le FEB a lieu les 17 et 18 septembre, au Palais d’Iéna.