Le collectif Obvious expose jusqu’au 14 janvier une série de tableaux inspirés des Sept Merveilles du monde à la galerie Danysz, dans le XIe arrondissement de Paris. Des œuvres d'art créées à l’aide d’algorithmes d’IA.
C’est l’une des premières fois que des toiles créées avec de l’IA sont exposées dans une galerie internationale. 7.1, la nouvelle série du trio d’artistes Obvious présentée à la galerie Danysz, regroupe 14 œuvres au total. On compte d’abord sept peintures pour chacune des Sept Merveilles du monde : la pyramide de Khéops à Gizeh, les jardins suspendus de Babylone, la statue de Zeus à Olympie, le temple d'Artémis à Éphèse, le mausolée d'Halicarnasse, le colosse de Rhodes et le phare d'Alexandrie.
"On a travaillé avec un historien pour essayer de rassembler toutes les descriptions architecturales des Sept Merveilles du monde dans les textes antiques, pour créer notre propre interprétation des monuments. Puis à partir d'un document d'une centaine de pages, on a construit les scripts pour les algorithmes", raconte Gauthier Vernier, membre du collectif Obvious.
Les artistes ont alors créé leurs "prompts" : les suites de mots utilisées par l’IA pour générer des images. Le collectif a ainsi travaillé avec des versions modifiées d’algorithmes accessibles à tous comme DALL-E et Midjourney, en ajoutant leurs propres paramètres dans le code. Ces programmes dits "de texte-à-l'image", dont la popularité a explosé ces derniers mois sur internet, permettent de transformer des légendes textuelles en visuels, en "s’entraînant" à partir d’une immense base de données en ligne.
"Un nouveau langage homme-machine est en train de se développer, explique Gauthier Vernier. L'exemple le plus simple, c'est la requête Google. Quand on fait une recherche, on ne pose pas la question à Google comme si on s'adressait à un être humain. On va organiser la phrase pour avoir la meilleure réponse possible de l'algorithme."
"Quand on crée avec les nouveaux algorithmes de texte-à-l'image, c'est un peu le même principe mais en beaucoup plus précis, poursuit-il. On va aller chercher certaines esthétiques et certains formats. Et on va pouvoir forger des mots, en essayant par exemple de faire comprendre la notion de 'coloré' à un algorithme pour demander des résultats spécifiques."
"La technologie a évolué tellement vite qu'on a dû reprendre trois fois le projet à zéro"
Le collectif a ensuite travaillé avec un atelier de peintres copistes "pour passer du format digital, de l'image qu'on obtient sur ordinateur, vers le format physique avec des copies à l'huile sur toile".
Le projet, complexe, a été lancé il y a un an et demi. "La technologie de ces algorithmes a évolué tellement vite qu'on a dû reprendre trois fois le projet à zéro. Là, on est arrivé à un point où on est satisfait du résultat, et on se dit qu'aller chercher plus de réalisme ne serait pas forcément plus intéressant. On aime garder un aspect un peu trippy, on voit que l’esthétique a été créée à l’aide d’algos. Par exemple sur la statue de Zeus, le visage est un peu effacé", indique Gauthier Vernier.
"Le processus demande un gros travail, ajoute-t-il. Ça s'appelle le prompt-engineering, l'art et la technique de créer des 'prompts' pour optimiser l'utilisation de ces algorithmes et lui faire comprendre ce qu’on veut vraiment créer. On est toujours un peu surpris, c'est difficile de prédire ce qui va sortir de l'algorithme. Il y a une part d'aléatoire et d'externalisation de la création, en gardant la main mise sur le message et l'esthétique. C'est un dialogue avec l'algorithme."
Le membre du collectif Obvious met en avant les multiples choix artistiques qui ont joué sur leurs représentations des Sept Merveilles du monde : "Typiquement pour les pyramides, des textes évoquent les reflets de lumière sur les parois - avec une pierre très claire et lisse qui recouvrait ce qu'on voit aujourd'hui. On a décidé de souligner ce phénomène, plutôt que de coller à une construction géométrique 'réelle'."
"Quand on a commencé, beaucoup de gens nous disaient : 'Les robots vont remplacer les artistes', 'C'est comme Terminator'..."
Gauthier Vernier répond d’ailleurs aux critiques que suscite le développement de ces algorithmes : "Avec l'apparition de ces algos, se pose la question des données qui sont utilisées pour les entraîner. Potentiellement, n'importe quelle œuvre d'art publiée sur internet peut être concernée. Nous-même, on ne peut pas savoir quelles images ont été utilisées pour entraîner les algos qui génèrent nos visuels. Mais si aucune donnée n’est reconnaissable dans le résultat final, on peut considérer que c’est une œuvre d'art à part entière, les droits d'auteur sont respectés. L'idée, c'est justement de jouer avec ces algorithmes pour créer une esthétique nouvelle, transformatrice, c'est de l'expérimentation."
"Quand on a commencé, beaucoup de gens nous disaient : 'Les robots vont remplacer les artistes', 'C'est comme Terminator'... On sait qu'une partie de notre travail, c'est aussi d'expliquer comment tout ça marche vraiment, pour dédiaboliser l'IA en faisant de la pédagogie", avance l’artiste.
Des arguments soutenus par Magda Danysz, qui a fondé la galerie en 1991 : "Certaines personnes sont sceptiques vis-à-vis de l’art avec IA, craignant que la machine remplace l’homme, alors que c’est un champ artistique très intéressant avec un potentiel marché. Avec le succès des smartphones, certains prédisaient la mort de la photographie traditionnelle. Comme pour d’autres domaines, l’IA est un complément, qui peut aider l’inspiration d’artistes talentueux qui savent utiliser les outils du moment. Le rôle de notre galerie est d’accompagner ces artistes en leur donnant les moyens de rencontrer leur public. Notre mission est d’embarquer les gens vers de nouvelles formes de créations extrêmement contemporaines."
Au-delà des toiles, la série du collectif Obvious comprend aussi sept œuvres digitales conçues comme des extensions des Sept Merveilles du monde, vendues sous la forme de NFT. "Ce sont des œuvres digitales qu’on peut découvrir en téléchargeant une appli de réalité augmentée et en scannant les tableaux. L’idée est de faire le lien entre art traditionnel et art numérique. On a créé ces œuvres avec des algos qui permettent de faire de l''outpainting'. On part d'une image et on peut étendre son environnement en créant des visuels autour, carré par carré, en décrivant avec du texte ce que l'on veut voir apparaître", indique Gauthier Vernier.
Pionnier dans la création artistique à l’aide d’IA, le collectif Obvious a notamment vendu en 2018 chez Christie's un portrait créé avec des algorithmes qui ont analysé des milliers d'œuvres, pour près d’un demi-million de dollars. Les Français ont également créé d’autres séries centrées sur des estampes japonaises et des masques africains. Le prochain projet du collectif : lancer un labo de recherche pour imaginer de nouveaux outils de créativité avec l’IA.