Du Théâtre de Paris vers le Off d'Avignon : ne plus vieillir, le rêve de beaucoup de femmes et pourtant !

Avec son roman "La femme qui ne vieillissait pas", Grégoire Delacourt avait réussi à arrêter le temps. La comédienne Françoise Cadol, de son côté, réussit brillamment l'adaptation au théâtre dans un seul en scène taillé pour elle. Entretien croisé comédienne/auteur avant sa programmation à Avignon.

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Comme nous l'expliquions lors de la sortie de ce conte réaliste en 2018, "arrêter le temps qui passe quand il est encore temps" est le rêve de beaucoup de d'hommes et de femmes. "C'est une femme du Nord, comme je les aime toujours, qui va découvrir à 35 ans que depuis plusieurs années elle ne vieillit plus..." C'est avec ces quelques mots que Grégoire Delacourt présentait son roman La Femme qui ne vieillisait pas (JC Lattès). Un septième roman qui, comme les précédents, a divisé la critique. Bien peu pardonnent à l'ancien faiseur de pub d'être devenu un des écrivains qui compte dans la famille de la littérature française, dont chaque nouveau livre se retrouve en tête des ventes. 

Vieillir comme on a vécu

Betty, l'héroïne du roman, s'est subitement arrêtée de vieillir à 30 ans. Ce qui, en apparence, pourrait constituer une bénédiction se trouve finalement être un fardeau. 

À quarante-sept ans, je n’avais toujours aucune ride du lion, du front, aucune patte d’oie ni ride du sillon nasogénien, d’amertume ou du décolleté ; aucun cheveu blanc, aucun cerne ; j’avais trente ans, désespérément.

Extrait de La Femme qui ne vieillisait pas de Grégoire Delacourt

Son mari, tout comme son fils devenu jeune homme, vivent la situation difficilement. Le premier la quitte et le second ne la présente plus comme sa mère.

La comédienne Françoise Cadol est une des grandes voix française connu à l'écran pour le doublage notamment de Sandra Bullock ou Angelina Jolie. Elle l'a prêtée aussi pour l'adaptation en audiolivre de La femme qui ne vieillisait pas. Le personnage de Betty l'a tant interpelée qu'elle a décidé de l'interpréter sur scène. La mise en scène est signée par Tristan Petitgirard, l'auteur-comédien-metteur en scène​ primé pour La Machine de Turing. Il a choisi comme décor unique de recréer l'atelier du photographe dans lequel Betty se rend chaque année, à date fixe, pour faire tirer son portrait.

Françoise Cadol s'avère bouleversante au fur et à mesure qu'elle découvre sur chacun des nouveaux clichés les conséquences d'un visage figé dans le temps. L'adapation qu'elle propose du roman est une réussite, les coupes condensent le propos de l'auteur avec maestria.

Quand Grégoire Delacourt a accepté le projet du seule en scène, c'était à une condition : "n'ajouter aucun mot" à son texte. De cette contrainte est née la liberté joyeuse et communicative de la comédienne : "J’ai coupé, monté, mis le focus sur telle situation, tel moment de vie d’un personnage, sur certains silences, j’ai tressé des passages entre eux, en ai mis d’autres en miroir, j’ai cherché des rythmes, créé des mouvements et des atmosphères différentes dans un lieu unique, un studio de photos, afin de porter l’histoire de Betty à la scène."

Le spectacle est à découvrir au théâtre Buffon à Avignon. Avant ces débuts au festival, nous avons profité d'une présentation parisienne pour poser à la comédienne et à l'auteur quelques questions.

Bande-annonce " La femme qui ne vieillissait pas" from Tristan Petitgirard on Vimeo.

  • Françoise Cadol, après la lecture à voix haute du roman de Grégoire Delacourt, vous avez souhaité l’adapter pour la scène et jouer le rôle seule sur scène de cette "femme qui ne vieillissait pas". Qu’est ce qui dans le personnage de Betty fait écho en vous ?

Françoise Cadol : J’ai lu le livre de Grégoire Delacourt, avant de passer l’essai pour le livre audio. Déjà, l’histoire, le personnage de Betty, le style d’écriture m’ont intriguée, interpellée, intéressée… Grégoire mettait en mots ce que j’observais autour de moi. Quand, après avoir été choisie, j’ai lu le texte à voix haute, les images se sont levées dans ma tête ; adapter ce texte pour le théâtre et le jouer est devenu une évidence. 

Dans le métro, dans la rue, mais aussi dans les images, et au quotidien, je vois des visages de femmes, d’hommes, refaits, retouchés… Parfois, c’est réalisé de manière discrète. Parfois, les rides, ces mouvements de la vie, sont chassées, pourchassées, effacées les unes après les autres, par peur, par amour, par manque de confiance, par pression du système, « parce que… pour être comme… pour suivre la mode… », au nom du désir, de la beauté, de l’éternel, de la perfection etc.. Parfois encore, les visages sont « massacrés » par la chirurgie dite esthétique. On ne reconnaît plus l’autre, cet autre qui parfois, ne se reconnait plus non plus. Les souvenirs se sont floutés sur son visage à ce point que ce dernier est devenu lisse, séparé de son âme. Il ne reste alors que le regard, encore « vivant », sous ce masque d’éternité. 

Dans notre société où l’Image se veut lisse, en 8K (ultra haute définition), toujours plus lisse, plus colorée, plus écarlate, il me semble utile d’incarner Betty et son histoire, et de porter à la scène cet hommage à la femme qui se lit dans l’écriture de Grégoire Delacourt. La femme est si magnifique ! 

  • Quand vous avez eu l’accord de l’auteur pour l’adaptation, mais avec la contrainte de ne changer aucun mot, en quoi cela a modifié votre projet ?

Françoise Cadol : Il n’y a pas eu de modification, car je suis venue voir Grégoire Delacourt avec une question, et non avec un projet. Laissez-moi vous raconter ce moment de vie. Nous sommes dans un studio d’enregistrement, Grégoire finit de répondre à une interview quand je lui fais cette demande d’adaptation de son roman pour un seule en scène théâtral. Quelques jours auparavant, j’ai en effet, enregistré le livre audio de son roman. Il me regarde et me dit « oui. A une condition… vous n’ajoutez aucun mot. » Je lui souris et lui dis « d’accord ». 

J’ai coupé, monté, mis le focus sur telle situation, tel moment de vie d’un personnage, sur certains silences, j’ai tressé des passages entre eux, en ai mis d’autres en miroir, j’ai cherché des rythmes, créé des mouvements et des atmosphères différentes dans un lieu unique, un studio de photos, afin de porter l’histoire de Betty à la scène. Je me suis régalée à faire cette adaptation. Cette condition, cette « contrainte » donnée par Grégoire Delacourt, je m’y suis faufilée pour trouver ma liberté.

  • Grégoire Delacourt, vos précédents romans ont été l’objets d’adaptations cinématographiques et théâtrales. Imposez-vous toujours des contraintes à celles et ceux qui veulent s’emparer de vos œuvres pour leur donner une autre vie ? Si oui, lesquelles ? Et pourquoi ? Sinon, si c’est la première fois, pourquoi cette fois ci ? 

Grégoire Delacourt : Il y a une grande différence entre le cinéma et le théâtre. Le premier a un rapport très fort à l’image, le second à l’imaginaire. Le cinéma se fabrique aussi avec tout ce qui n’est pas dans le livre (acteurs, musique, montage, plans), il possède son propre langage. Je laisse donc une très grande liberté aux cinéastes. Le théâtre, c’est différent. C’est d’abord un texte. Aussi, et puisque ceux de mes livres adaptés sont tous écrits à la première personne du singulier - ce qui procède d’une certaine façon du monologue - je demande à ce que le texte soit respecté. Par contre, carte blanche au montage du texte, à la mise en scène, à tout ce dont l’acteur rêve. C’est à chaque fois une merveilleuse surprise. 

Extrait de La Femme qui ne vieillisait pas

« On achète alors un miroir grossissant, et l’on vacille doucement, parce que ce n’était pas là la semaine dernière : on s’aperçoit que la peau et le muscle de l’oeil se sont distendus, que la paupière supérieure qu’on adorait maquiller de gris, de bronze, de poussière d’or les nuits de fête, s’est alourdie, qu’elle altère désormais l’acuité du regard, son charme — sauf chez Charlotte Rampling —, on s’approche encore un peu plus de l’effrayant miroir pour découvrir, au niveau de la paupière inférieure, que la graisse qui se trouvait à la hauteur de l’orbite a glissé et dessine en ce matin d’effroi des poches sous les yeux, des poches remplies de larmes pour pleurer sur le temps qui s’est enfui, le combat perdu, l’éternité qui n’est plus. On se relève difficilement de la tragédie. Elle poignarde. »

  • Quel a été le point de départ de votre désir d’écrire un livre sur le regard social contraignant que notre société porte sur l’apparence physique des femmes ? 

Grégoire Delacourt : La dernière photographie de ma mère. Celle après laquelle elle ne vieillirait plus jamais puisqu’elle venait de mourir. 

  • Françoise Cadol, beaucoup de comédiennes, au cinéma en particulier, évoquent la difficulté de vieillir et de continuer à décrocher des rôles. Qu’en est-il pour vous ?

Françoise Cadol : Quel que soit l’âge, le métier de comédien est difficile. Et sans doute encore moins évident pour les femmes. Moins de rôles. L’idéologie de l’âge posée sur la femme, mais aussi sur l’homme, se confond avec l’idéologie de la beauté, des traits, donc des rides. La peau lisse est le fantasme, or les comédiens et les comédiennes incarnent des personnages de la vraie vie, marqués, brisés, heureux. Il y a des rides dans la vraie vie, car dans la vraie vie, on vieillit. Des rides d’expériences, des rides de sourires, de rides de tristesse, des rides de rires. Regardez les comédiens anglais ou nordiques. Ils ressemblent aux gens de la « vraie vie ». Ce n’est pas vieillir le problème, c’est l’idéologie d’une certaine idée du beau.

A 22 ans, des directeurs et directrices de casting me disaient déjà : « c’est trop tard pour toi en tant que comédienne, car tu n’es pas suffisamment connue ». Il nous est demandé d’être avant d’avoir été. Un jour, une directrice de casting m’a demandé ce que je faisais dans son bureau puisqu’elle cherchait des « beautés » et que moi, j’étais belle à l’intérieur mais pas assez à l’extérieur (sic). Pour ma part, j’aime jouer les gens de la vraie vie. 

  • Grégoire Delacourt, vous venez du monde de la publicité, un univers qui participe de ce poids que la société fait peser sur les femmes, qui contribue à créer le diktat de l’éternelle jeunesse comme corolaire de la beauté. Aviez-vous à cette époque-là le même regard critique que celui que vous souhaitez transmettre implicitement dans votre roman ? Et si oui, comment cela se traduisait-il dans vos décisions ou choix professionnels ? 

Grégoire Delacourt : Ce n’est pas tant la publicité qui participe de ce diktat que d’abord le regard des hommes. Que la vitrine de soi qu’est Instagram. Que les Une de magazines qui, à la fin de chaque printemps, promettent des méthodes pour retrouver une silhouette de 20 ans sur la plage, pour ne pas faire son âge. C’est la peinture qui depuis des siècles a épousé les canons de la beauté afin qu’on s’y conforme. Tout comme la mode qui crée des représentations parfaites des femmes. Alors non, la publicité n’est pas responsable, ça serait lui prêter trop de pouvoir ! 

Quant à mon regard sur cette « dictature » de la beauté et du jeunisme, il n’a pas changé. Les annonces que j’ai créées pour les marques de beauté ont toujours été respectueuses des femmes, jamais contraignantes, à l’exemple de ce que j’avais réalisé pour Clarins. J’ai toujours par contre refusé de travailler pour des produits menteurs. 

 

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