L'enquête Pisa 2022 sur l'éducation vient d'être publiée. Elle souligne une "baisse inédite" des performances des élèves notamment en mathématiques. Cette matière, mal aimée, a pourtant son musée à Paris, la maison Henri Poincaré, premier musée en France entièrement consacré aux mathématiques et à leurs applications. Visite guidée.
"Il faut être curieux de tout", dit Patrice Le Gal, physicien et directeur de recherche au CNRS. "Etre curieux, c'est s'interroger sur comment les choses fonctionnent, c'est le chemin qui mène à la connaissance". "On garde souvent l'idée, un peu austère des mathématiques alors que c'est jouissif", explique-t-il, "Et c'est pour ça que le musée des maths est là, on va montrer qu'on peut s'amuser".
900 m2 en plein Paris dédiés à cette matière mal aimée. Le musée des mathématiques a ouvert cet automne au sein de l'Institut Henri Poincarré (CNRS et Sorbonne Université). Objectif explorer les maths, son histoire et ses interacations avec les autres disciplines.
On garde souvent l'idée, un peu austère des mathématiques alors que c'est jouissif
Patrice Le Gal, physicien
"Arriver à prévoir", c'est ce qui fascine le physicien. Il prépare une conférence sur les singularités en temps fini. "Lorsque vous prenez une balle de ping-pong et que vous la laissez tomber sur une table. Vous allez entendre tac, tac, tac, tac et la période entre chaque fois qu’elle touche la table va diminuer". Elle va sauter de moins en moins haut donc elle sera de plus en plus rapidement au sol", précise-t-il. Et on peut montrer mathématiquement quand aura lieu l’arrêt du rebondissement", raconte Patrice Le Gal.
"Il y a une singularité[...], les fréquences vont être de plus en plus grandes, le nombre de rebonds va être infini, théoriquement, mais en un temps donné, on sait que c'est n secondes après avoir lâché la balle". "Je trouve ça fantastique que l’on puisse prévoir ça", se réjouit, le physicien.
Selon lui, l'apprentissage des mathématiques passe par la démonstration par l'exemple. "Quand on est curieux, on apprend, on fait et on repousse les limites."
Un musée flambant neuf dédié aux mathématiques
Voulu par l'ancien député et mathématicien Cédric Villani il y a une dizaine d'années, le musée s’étend sur 900 mètres carrés dans le bâtiment Jean-Perrin de l'Institut Henri-Poincaré (IHP), centre international de recherche rattaché au CNRS et à Sorbonne Université.
Patrice Le Gal a contribué à la création d'un projet pédagogique. Directeur de recherche à l'Institut de recherche sur les phénomènes hors équilibre, il a développé un prototype de chaîne de pendules couplés pour illustrer le concept de "soliton".
Le soliton "est une onde solitaire qui se propage sans se déformer dans un milieu non-linéaire et dispersif", explique le chercheur. Le transport par soliton, expliquerait que les tsunamis puissent naître d'un séisme sur une côte de l'océan Pacifique, et avoir des effets sur la côte opposée. Une manip' qui devrait être prochainement installée, précise la directrice du musée.
Le projet du musée est de rendre les maths accessibles à tous et pourquoi pas, de susciter des vocations. Le musée ouvre "dans un contexte où les enjeux sociétaux sur les maths sont plus présents que jamais", rappelle la directrice de l'IHP, Sylvie Benzoni, qui a concrétisé le projet de Cédric Villani.
Un enjeu de société
"Depuis un an ou deux, les mathématiques sont venues sur le devant de la scène, en raison des réformes du lycée et parce que les élèves français ne se débrouillent pas très bien dans les tests internationaux". En réintroduisant les mathématiques dans le tronc commun au lycée, "le ministère a pris acte qu'il s'agit d'un enjeu sociétal" étant donné que "trop peu d'élèves s'orientent vers les carrières scientifiques". "Nous voulons contribuer à augmenter le niveau général de culture mathématique en France qui est assez modeste voire bas", dit-elle.
Parvenir à débloquer ceux qui sont rebutés par cette matière
Sylvie Benzoni, directrice de l'Institut Henri-Poincaré
"Notre idée est d'arriver à faire dialoguer les scolaires, le public, avec les chercheurs qui fréquentent notre institut", dit la mathématicienne, professeure à l'Université Claude-Bernard Lyon 1. "D'ouvrir un lieu qui va permettre à tout le monde, et en particulier aux élèves de voir les maths, telles qu'ils ne les voient pas à l'école et peut-être parvenir à débloquer ceux qui sont rebutés par cette matière", espère, Sylvie Benzoni.
L'ouverture est prévue ce week-end
Lancé dès 2011, et après avoir vu son ouverture repoussée plusieurs fois, le musée des mathématiques veut faire aimer une discipline réputée austère. Son objectif "montrer les maths en action", "les voir, les entendre et les toucher "à travers des vidéos, des jeux, des manipulations et des dispositifs audio", précise l'IHP.
"Satellite, chou Romanesco, valise à roulette, roue de vélo, tous ces objets que vous voyez font partie de notre quotidien", dit Sally Secardin, médiatrice scientifique. "Et ces objets vont nous servir à illustrer soit des principes, soit des théories mathématiques", indique-t-elle.
Tout au long de la visite, en rattachant les mathématiques à des objets ou des problèmes du quotidien, la médiatrice tente d'éveiller la curiosité des visiteurs.
Un ballon de football à la main, elle interroge le public et l'amène à réfléchir sur les formes qui le composent. "Pour faire un ballon rond, il faut à la fois des hexagones et de pentagones", explique-t-elle, "car s'ils n'y avaient que l'un ou l'autre on ne pourrait pas les coudre ensemble". Après avoir laissé le temps aux visiteurs de réfléchir et de proposer des explications, elle donne la solution. "C'est un problème de pavage de plan, et mon ballon de foot, ce n'est pas un plan, c'est une surface ronde". Pour expliquer sa théorie, elle la met en pratique. Elle pose sur une surface courbe des pentagones et des hexagones et montre que pour que les angles des hexagones et des pentagones qui constituent le ballon, puissent être reliés, il faut alterner pentagones et hexagones. Démonstration par l'exemple !
La visite avec un médiateur est un vrai plus, mais on peut aussi découvrir le musée seul
Le musée est installé dans ce qui fut l’ancien laboratoire de Jean Perrin, prix Nobel de physique 1926 et créateur du CNRS et du Palais de la découverte. Sur 600 m2, sept salles d'exposition permanente sont proposées (connecter, devenir, inventer, modéliser, partager, visualiser, respirer). Les visites avec un médiateur nécessitent une réservation mais on peut visiter le musée en solo, grâce aux cartels explicatifs.
Au sein du musée, les visiteurs découvrent l’histoire des maths sur tous les continents, la démarche des scientifiques et l’influence de cette discipline dans notre société. Dans la salle "partager", une carte lumineuse permet de visualiser les grandes découvertes des chercheurs et de les localiser sur une carte du monde.
Des traces mathématiques anciennes mais aussi modernes. Ainsi le codex Maya du 13e siècle partage ce planisphère avec une découverte récente, en 2020. Celle d'une jeune doctorante qui démontre que "le nœud de Conway n'est pas bordant".
Pour montrer l'omniprésence des maths dans notre quotidien, le musée installe un jeu interactif "rentrez vos moutons". Il invite les visiteurs à chercher les meilleures solutions pour fluidifier la sortie des moutons de leur enclos. L'objectif est à travers des simulations d'appréhender dans le réel le mouvement des foules.
Les maths, une science en interaction avec d’autres domaines de connaissances
L'étude des mouvements collectifs est un sujet mêlant biologie, physique, mathématique, informatique. Il consiste à tenter de comprendre voire reproduire les déplacements de bancs de poissons, de nuées d’oiseaux, d’essaims d’insectes ou encore de colonies de bactéries, explique la médiatrice.
D'autres expériences sont proposées. Une expérience auditive d'immersion dans le langage mathématique avec un "chuchoteur de formules". Ailleurs, le public est invité à comprendre la composition d'un son. Les visiteurs peuvent écouter des sons et leurs variations sous différents effets, tout en les visualisant sous forme de "spectrogrammes". L’outil mathématique derrière ce dispositif, c’est la "transformée de Fourier", précise la médiatrice, permettant ici de décomposer les sons en fréquences, d’autant plus grandes que le son est aigu.
L’histoire des mathématiques est traversée par des grandes figures des mathématiques d'aujourd'hui et d'hier, comme Jean Perrin et Yvette Cauchois qui dirigea le laboratoire de chimie physique pendant 25 ans. La jeune génération férue de mathématiques est également représentée. Trois jeunes mathématiciens sont mis en avant.
David Louapre, docteur en physique connu pour son travail de vulgarisation des sciences avec sa chaîne YouTube Science étonnante. Adam Ouorou, pour le déploiement de la fibre optique pour un grand groupe de télécommunications. Ou encore, Tadashi Tokieda, un mathématicien qui pratique une approche ludique des sciences à partir de la manipulation d'objets simples ou de jouets.
"Les mathématiques sont souvent là où on ne les attend pas"
La Maison Poincaré a encore d'autres cartes dans son jeu. En parallèle seront organisées des expositions temporaires, des conférences, des ateliers. La première exposition thématique sera "Entrez le monde de l’IA", une exposition interactive sur l’intelligence artificielle destinée au public à partir de 12 ans.
A venir, l’expérience de réalité mixte Holo-Math, le premier épisode portera sur le mouvement brownien, qui est à la fois un phénomène physique et un concept mathématique... Alors si vous avez toujours été un cancre en mathématiques, et que vous n'avez pas compris l'intérêt des cours de math, ce musée est (peut-être) fait pour vous.
- La Maison Poincaré, 11, rue Pierre-et-Marie-Curie, Paris Ve. Fermé le mercredi et le dimanche.