Pour faciliter les échanges entre les passants et les personnes vivant à la rue, une start-up a décidé de mettre en place un nouveau système de cartes. Une phase test de quelques mois commencera cet hiver, elle permettra d'établir la viabilité du projet.
Les pièces de monnaie sont-elles vouées à disparaître ? C'est la tendance qui semble se dessiner depuis plusieurs années, à la faveur de la carte bancaire. En mars dernier, un bulletin de la Banque de France révélait qu'entre octobre 2021 et juin 2022, "la part des espèces [apparaissait] en déclin, perdant sept points de pourcentage [...] en trois ans".
Une baisse qui n'est pas sans conséquence pour les personnes vivant à la rue et qui constatent une diminution croissante des dons. C'est ce que confie Drew Kendall Chilton, qui a vécu près de dix ans au contact des sans-abris lorsqu'il était lui-même moine dans un ordre mendiant : "Les sans-abris nous disent que depuis cinq ans, les passants ne donnent presque plus d'argent. Ils constatent un manque d'empathie et une froideur qu'ils n'avaient jamais vécu avant".
Pour pallier les difficultés inhérentes à ce phénomène, l'Américain, basé à Paris depuis cinq ans, a décidé d'agir. "Le but est de toucher les personnes les plus fragiles et les plus isolées dans notre société", confie-t-il.
C'est pourquoi il a fait appel à Obole, une start-up qui accompagne depuis 2015 les entreprises et les associations "à fort impact social" dans leurs levées de fonds. Depuis près d'un an, ils travaillent de concert à la mise en place d'un projet ambitieux.
Une carte et un QR code
"Cet hiver, nous allons expérimenter dans certains quartiers de Paris un système de cartes. Elles seront données par des associations partenaires, qui organisent des maraudes, à destination des personnes vivant à la rue", explique François Jacob, associé chez Obole. "Ces cartes seront munies d'un QR code. Les passants, en le scannant, pourront faire un don d'un maximum de cinq euros depuis leur téléphone qui sera ensuite reversé sur la carte", détaille-t-il.
Avec cette carte, il ne sera pas possible de dépenser plus de 50 euros par achat. Un moyen de prévenir d'éventuels abus. "Nous ne voulons pas que d'autres personnes que des sans-abris prennent le contrôle de ces cartes et que cela donne lieu à des dérives, comme du blanchiment d'argent", indique Drew Kendall Chilton, à l'origine du concept. Avec une carte plafonnée et facilement identifiable, les porteurs du projet souhaitent rassurer les donateurs et les bénéficiaires.
Au-delà d'aider financièrement les personnes les plus précaires, ce système permettra également de recréer du lien, estime Drew Kendall Chilton. "Les personnes qui vivent à la rue sont souvent très seules. Quand vous leur donnez de l'argent, c'est l'occasion d'un échange, d'un contact qui est très important pour eux. Cela permet d'humaniser leur quotidien difficile, car nous ne nous rendons par compte de la violence et du stress qu'ils vivent chaque jour."
Des difficultés à surmonter
"Le principe se veut simple, mais dans les faits, c'est toute une aventure", confie François Jacob. Pour la start-up Obole, qui incube le projet, il a fallu réunir plusieurs acteurs financiers pour parvenir à un système viable et qui ne contrevient pas aux règles des opérateurs financiers.
"Les banques ne veulent pas d'utilisateurs sur lesquels elles n'ont pas d'informations. Elles veulent connaître le porteur final de la carte", souligne-t-il. "Or, nous voulons garantir l'anonymat à nos utilisateurs. C'est la condition de confiance pour qu'ils n'aient pas à ouvrir un compte bancaire, ou qu'ils n'aient pas à le communiquer. Nous voulions la solution la plus universelle possible."
Après plus d'un an de réflexion, le défi semble bientôt relevé. D'ici la fin de l'année, une cinquantaine de personnes vivant à la rue seront dotées de ces cartes pour une expérimentation de plusieurs semaines.
Si l'opération est un succès, elle pourrait permettre, à terme, d'aider les quelque 330 000 personnes sans domicile en France, selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre.