Alors que la trêve hivernale prend fin ce dimanche 31 mars, les associations qui défendent les locataires expriment leur inquiétude face à la multiplication des expulsions. Une situation d’autant plus compliquée en région parisienne à l’approche des Jeux olympiques.
"La Fondation Abbé Pierre redoute une forte hausse des expulsions à l’avenir, alors qu’elles ont déjà augmenté de 52 % en 10 ans", alerte un communiqué qui propose un bilan national à l’approche de la fin de la trêve hivernale, et liste les propositions de la fondation. "C’est toujours une période difficile, les expulsions pourront reprendre dès mardi, après le week-end et le lundi férié", explique Eric Constantin, directeur de la Fondation Abbé Pierre en Île-de-France.
"Des personnes isolées et des familles peuvent se retrouver à la rue ou sans solution, après l’arrivée des forces de police. On a un lieu d’accès au droit à Paris, en moyenne on accompagne chaque année entre 600 et 700 ménages parisiens en situation d’expulsion. On essaye de les rencontrer avant l’assignation, plus la situation est traitée en amont plus il y a de chance d’obtenir des résultats positifs : un échelonnement de la dette, des délais, un maintien dans les lieux, des dossiers de surendettement… Parfois ça marche", raconte-t-il.
"Sur les 600-700 logements, on obtient un maintien dans le logement dans 60% des cas. Malheureusement pour de nombreux ménages, on arrive à la situation où le propriétaire demande le concours de la force publique. On compte déjà une soixantaine de convocations au commissariat sur Paris, pour des ménages qu’on accompagne et où le concours de la force publique a été accordé. On n’a jamais vu un tel chiffre", poursuit Eric Constantin.
"Il y aura encore moins de places d'hébergement cet été avec les Jeux"
"Nous sommes très inquiets, explique le directeur de la Fondation Abbé Pierre en Île-de-France. Les derniers chiffres officiels de la préfecture de police remontent à 2022 : cette année-là, 83% des demandes de recours à la force publique avaient été accordées, contre 76% en 2021 et 69% en 2020. En 2019, avant le Covid, c’était 80%. Depuis la fin de la crise sanitaire, on observe une reprise des expulsions, accordées de plus en plus facilement par les préfets."
Il note aussi la forte augmentation des expulsions dans le Val-de-Marne. "En 2022, les chiffres du département ont dépassé ceux de la Seine-Saint-Denis, indique-t-il. On comptait ainsi 1042 ménages expulsés après l’arrivée des forces de police à Paris, 810 en Seine-Saint-Denis et 994 dans le Val-de-Marne, qui se place d’habitude derrière au bilan."
"Il y a également de moins en moins de mises à l’abri, poursuit-t-il. En 2022, 16% des ménages parisiens expulsés étaient pourtant reconnus prioritaires au titre du Dalo (droit au logement opposable). C’est une incohérence, ce n’est pas normal. Nous sommes en colère. Le parc d’hébergement classique est complètement saturé. Et l’impact des JO va aussi beaucoup jouer. Les mises à l’abri passent souvent par les hôtels. Il n’y a déjà pas beaucoup de places, il y en aura encore moins cet été avec les Jeux."
L’association DAL dénonce une "impunité" face aux expulsions illicites
Du côté de l’association DAL (Droit Au Logement), Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole, se dit aussi "très inquiet". "Il n’y a jamais eu autant d’expulsions, pointe-t-il du doigt. Et ce dans un contexte d’inflation et d’augmentation du coût de la vie, alors que les ménages avec des revenus modestes ont de plus en plus de mal à payer leurs loyers."
Jean-Baptiste Eyraud dénonce aussi "les congés frauduleux délivrés par des propriétaires qui espèrent gagner beaucoup d’argent pendant les JO en expulsant le locataire juste avant les Jeux". "Ils donnent congé à leur locataire pour pouvoir revendre les lieux ou y habiter. Ils n’ont pas le droit de le relouer, mais il n’y a pas de contrôle réel. Il y a une forme d’impunité face à ce type de fraude. Et encore faut-il que le locataire attaque le bailleur et envoie un huissier", indique-t-il.
Le porte-parole de l’association pointe également du doigt la loi Kasbarian, votée en juillet, qui "criminalise les locataires avec de lourdes amendes". "Le système est de plus en plus injuste. La situation est de plus en plus tendue pour les expulsions, alors qu’on compte plus de 300 000 logements inoccupés en région parisienne. On marche sur la tête. C’est une véritable brutalité sociale. Cette crise est la conséquence des mauvaises politiques du logement", souligne-t-il. L’association DAL organise une manifestation ce lundi à 15h à Paris, sur la place de la Bastille.