Fleur de peau : un conte urbain qui vous marquera dans la chair au théâtre de l'Essaïon à Paris

Fleur de peau, un conte urbain est une histoire de tatouage, un de ces multiples miracles inattendus que l'on vit les oreilles aux aguets, les yeux écarquillés et la peau en éveil. Dans le théâtre de l'Essaïon, on découvre un conte ancestral qui se frottre à la beauté graphique d'un amour urbain.
 

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A quoi reconnait-on un spectacle fort ? Sans doute, à la première image offerte aux spectateurs, celle qui donne la tonalité. Un imprimeur affirmait que vous n'aurez peut-être "pas une seconde chance de faire une bonne première impression". Dans la salle voutée, en pierres naturelles, du théâtre de poche de l'Essaïon, (succès prolongation jusqu'au 14 mars 2020) lors la scène d'ouverture, les deux comédiens de la Fleur de peau vous attrapent d'emblée droit dans les yeux pour ne plus jamais vous lâcher jusqu'à l'ovation finale. Elle craque une allumette ; il s'enflamme ; elle l'éteint ; le rallume … L'histoire de leur corps à coeur incandescent sur le ring de l'amour peut commencer.

Une union, fruit du sirop des rues

Lilas, une sirop des rues, est tatoueuse et nouvellement installée dans le quartier. Adam, son voisin, est flic et s'improvise porte-parole de ceux que l'on appelle désormais à Paris, comme partout ailleurs, les NIMBY (Not In My Back Yard - pas dans mon jardin), ceux qui revendiquent de vivre en ville sans naissance et refusent toute activité bruyante. Le tatouage, c'est bien connu, c'est comme une canette de 8°6. Dans l'imaginaire collectif, c'est l'univers de la street culture et des fêtards, celui des punks à chien et des zonards. Une sale image qui lui colle à la peau en France. Lilas et sa boutique ne sont donc pas les bienvenus. Avec Adam, son voisin le flic, c'est donc tout de suite épidermique.

Adam, il lui a tout de suite déplu et excité à la fois.

Le jeu des deux comédiens, Sandie Masson et Eric Savin, est tout en énergie, parfaitement maitrisée et chorégraphiée. Ils se reniflent, se jaugent et s'affrontent à coups de mots servis comme des uppercuts. Une rencontre difficile dans laquelle il n'est pas facile de conjuguer ses blessures. Ses bras couverts de dessins de nénuphars le révulsent - superbe travail de Marty tatoo. Le métier qu'il a choisi d'exercer n'est pas le bienvenu aux yeux de la tatoueuse. Mais dans le même temps, cette fille cabossée et cet homme s'attirent comme deux aimants aux polarités bouleversées.

Une mise à nu des sentiments pour un défi scénique

Patrick Azam, le metteur en scène, fait le choix - comme il l'explique dans le dossier de presse - d'un "plateau épuré, brut comme un lieu de combat qui s'offre pour ce corps à corps sauvage, où peaux et mots s'affrontent et se percutent." Au début, comme il se doit, chacun se tient sur son tabouret retranché dans son camp, mais au fil des rounds rythmés par le gong, la parole se libère. L'histoire de Lilas et Adam n'est pas celle d'un conte de fée classique ; ici "pas de Blondinet prince charmant bien coiffé" et pas d'avantage de Belle au bois dormant. Ici, c'est plutôt Juliette-Lilas qui, ne supportant pas que Roméo-Adam maltraite ses plantes, grimpe la nuit venue sur son balcon pour les arroser - ni vue ni connue ! Comme le raconte Sandie Masson (l'autrice du texte en collaboration avec Catherine Feiss), les références revendiquées sont plutôt à chercher du coté des contes ancestraux, ceux des Femmes qui courent avec les loups, ceux qui bouleversent les positions hommes-femmes au profit de rencontres amoureuses moins sages et d'une féminité plus libre. Dans l'antre voutée du théâtre, c'est à la naissance d'un conte urbain qu'assiste le spectateur.

Un corps à coeur dans un univers graphique

Telle une fleur de pavés, Lilas la tatoueuse, dissimule plusieurs jardins secrets. Sur le mur du fond de scène, des projections lumineuses, des films d'animation comme autant de révélateurs de ses sentiments cachés, de reflets poétiques de son monde enténébré. Du flot de son encre, on devine le destin de cette pieuvre aux membres aussi habiles que tactiles. Réalisés avec talent par Laurent Rojol, ces intermèdes tirés de son univers graphique intriguent. Au fil du spectacle, d'abord objet de préjugés, le tatouage devient "le trait d'union de cet improbable rencontre", comme le souligne le scénographe Patrick Azam. Au son d'une musique electro-rock bien sentie de Mickaël Françoise, défilent les chapitres de ce conte. On frissonne, on rit, on s'encanaille. Au final, on est bouleversé car la présence animale des comédiens imprime durablement nos rétines et nous invite "à colporter du beau" - tout juste à Fleur de Peau.En bonus le texte de la chanson originale Le Tatouage, écrite pour le spectacle par Sansévérino, le chanteur de Montreuil-Menphis et grand amateur de tatouage :

Je pique, je pique 
Les punks les rockers les gothiques
Je pique les folles 
Les hypsters les traders les cagoles
Je pique je pique
Les mamans les marins, et maintenant, les flics!
 
Elle te rentre dans la peau
L’encre qui sort du p’tit pot
Ici c’est pas l’hôpital
Pas d anesthésie ca fait mal
Les contours c’est que de l’amour
C’est une somme de p’tits détours
Comme Une carte aux trésors,
A la surface de ton corps
Sois prêt pour le voyage 
J’attaque le remplissage
Pour une belle couleur, tu vois
Il faut repasser plusieurs fois.

Je pique je pique les punks les rockers les gothiques
Je pique les folles 
Les hypsters les traders les cagoles
je pique, je pique
Les mamans les marins, et maintenant, les flics!
 
Souvent j’ai la main légère
Tranquille l’aiguille se balade
Si ca s’avère nécessaire
J’appuie comme une malade
Je ne fais pas les croix gammées
Ni les portraits d Hitler
Je préfère les prénoms rayés
De toutes les rombières
La tête a kiki d’ Montparnasse
Ou un gros « fatalitas » !
« À maman » au dessus d une fleur
Sur la nuque « merde au coiffeur »
Pause! 
Je pique, je pique, 
Les punks les rockers les gothiques
Je pique les folles 
Les hypsters les traders les cagoles
Je pique je pique
Les mamans les marins, et les flics!
 
Tu vois bien qu’à la fin c’est tout enflé
Qu’il faut bien nettoyer
Je passe un sopalin
Rêche comme un parpaing
Il est sec comme le désert
On dirait du papier de verre
Je frotte très très dur
A la toile émeri ta blessure
Mais après 4 heures de souffrance
C’est ta délivrance
Je pique je pique
Les mamans les marins et les flics. 
Fleur de peau, un conte urbain
Ecrit par Sandie Masson avec la collaboration avec Catherine Feiss
Théâtre Essaion
6, rue Pierre au lard - Paris 4ème
Les vendredis et samedis à 21h00
Durée 1h20 environ
Succès prolongation jusqu'au 14 mars 2020
 
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