CARTE. "Si on n'informe pas mieux les citoyens sur les Zones à faibles émissions, il y a un risque comparable à celui des gilets jaunes", assure le député Bruno Millienne

La ZFE, Zones à Faibles Emissions, a été instaurée en 2019 dans la métropole du Grand Paris. En 2025, 45 autres grandes agglomérations y seront contraintes également. Bruno Millienne, député des Yvelines, a co-écrit un rapport dans lequel il fait plusieurs propositions pour faciliter leur mise en place.

Depuis 2019, 11 agglomérations, dont Paris, sont concernées par ces zones dont l'objectif est de réduire drastiquement la pollution de l'air. En 2025, 45 grandes agglomérations devront les mettre en place. 44 % de la population française sera alors concernée.

Bruno Millienne, député des Yvelines (Modem), et Gérard Leseul, député de Seine-Maritime (PS), ont rendu leur rapport le 12 octobre proposant des mesures d'accompagnement pour mettre en œuvre les Zones à Faibles Emissions (ZFE).

Lors des questions au gouvernement ce mardi 18 octobre, Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a salué ce rapport et a déclaré que ces conseils inspireront les travaux du ministère pour la mise en place des futures ZFE.

Quel est l'objet de votre rapport ? 

Bruno Millienne : On a voulu faire ce rapport pour avoir une photographie à l'instant T du déploiement des ZFE et des problématiques qu'on pouvait rencontrer. Il y a des problèmes d'acceptation sociale et d'acceptation économique. Gérard Leseul s'est emparé du sujet et je l'ai suivi. On a été nommé tous les deux pour une "mission flash". C'est une mission très courte d'à peine deux mois et dont le rapport n'excède pas 4 à 6 pages. C'est un rapport très synthétique : peu de bavardage et beaucoup de solutions. C'est le format qu'il fallait parce qu'il y a urgence sur ce sujet.

Pourquoi y a-t-il urgence ? 

45 métropoles seront concernées en 2025. Cela représente 44% de la population française. Il était temps qu'on regarde ce qui s'est fait dans les premières métropoles comme Strasbourg, Paris, Lyon, etc. On a mis ça dans la main des métropoles, comme c'est elles qui doivent déployer ce plan, mais on s'aperçoit que les métropoles travaillent sans se parler entre elles. Elles n'essayent pas d'échanger les bonnes pratiques et les problématiques.

Quelle conséquence peut avoir ce manque de communication entre les métropoles ?

Les disparités sur les territoires nuisent à la lisibilité du dispositif. Par exemple, Grenoble Lyon et demain Saint-Etienne, pour l'instant ne sont pas parties pour avoir des restrictions communes. Or, les gens qui habitent ce bassin vont assez facilement d'une métropole à l'autre. On préconise donc un comité de suivi national des ZFE afin de piloter la mise en œuvre. C'est un endroit où les gens pourront échanger les bonnes pratiques, les problématiques et peut-être mettre un travail d'harmonisation entre les différentes ZFE. Il faudrait aussi créer un portail gouvernemental sur les ZFE, un site pour que le public puisse se repérer.

Quels problèmes avez-vous constaté ?

Il y a une première problématique, c'est l'information des citoyens et la lisibilité nationale des ZFE. Sur la métropole du Grand Paris, si vous prenez des gens qui sont à la périphérie de la grande couronne, personne ne sait que la ZFE a été mise en place à l'intérieur du Grand Paris, à l'intérieur de l'A86. On en a parlé au début, mais aujourd'hui les gens ne savent pas. Ils circulent même s'ils sont en théorie interdits de circulation. Il faut vraiment une campagne d'information nationale et renforcer les dispositifs d'information au niveau local.

La mesure principale des ZFE est la limitation de circulation des voitures trop polluantes dans les métropoles concernées. Des solutions sont-elles mises en place pour remplacer ce mode de déplacement ? 

On a un problème de déploiement des mobilités alternatives à la voiture. Le problème de circulation dans les ZFE n'est pas tant pour ceux qui habitent à l'intérieur de ces zones, car en général ils sont pourvus de transports en commun, mais plutôt pour ceux qui habitent en périphérie Ceux-là ont besoin de leur véhicule parce qu'ils n'ont pas d'alternative à la mobilité automobile pour aller dans les ZFE.

On recommande, entre autres, la création de postes de conseiller mobilités dans les maisons France Services. Ils pourraient expliquer aux gens quelles sont les alternatives qui existent sur le territoire pour voir si, éventuellement, les transports en commun qui existent déjà, pourraient leur convenir.

Comme construire des rails, ça prend du temps, on préconise de développer des voies réservées pour des lignes de bus express, le covoiturage et l'autopartage. Par exemple, en région parisienne, une expérience a été menée avec le bus Express A14. Au départ, il y avait un aller le matin, et un retour le soir. Aujourd'hui, c'est un aller-retour par heure donc, c'est qu'il y a un vrai besoin. Il faut ainsi augmenter la fréquence et l'amplitude horaire des bus, mais aussi des TER et des RER. On pourrait aussi expérimenter une tarification particulière des transports, mais c'est à la discrétion des régions.

Au moyen terme, c'est les infrastructures et les réseaux de transports publics, notamment les investissements ferroviaires, avec en particulier les projets de RER métropolitain. On est très en retard. Il y a des collectivités qui n'ont pas encore fait leur plan de mobilité, donc c'est un problème. Il y a aussi le déploiement des parkings relais sécurisés, en périphérie des ZFE. 

Pour les tarifs des alternatives à la mobilité en voiture, il y a aussi l'adoption d'une TVA à 5,5% pour les transports publics (actuellement à 10%, Ndlr). Ce sont des choses pour inciter les gens à ne plus prendre leur voiture.

Est-ce que l'Etat vient assez en aide aux métropoles et aux régions pour que les ZFE soient respectées ? 

L'Etat vient forcément en aide aux collectivités puisqu'on vote une dotation globale du fonctionnement des régions tous les ans à l'Assemblée nationale. Les régions ont une part de financement sur la TVA, c'est donc un financement dynamique. Ils engrangent un peu plus d'argent tous les ans grâce à ça. Pour Île-de-France Mobilités, quand on voit que Valérie Pécresse dit que l'Etat ne fait rien, franchement elle se 'fout de la gueule du monde' ! Qu'elle apprenne à gérer Île-de-France Mobilités d'abord, et après on verra ! On n'arrête pas d'être en soutien, et Île-de-France Mobilités devient un puits sans fond. Je ne nie pas les problèmes, mais il faut aussi que certains exécutifs locaux assument leurs responsabilités.

Au niveau des aides au particulier, pensez-vous qu'il y a des choses à corriger ?

Une fois qu'on aura fait tous ces travaux, ça n'empêchera quand même jamais personne de prendre sa voiture. Les gens sont tellement attachés à leur voiture. Il faut donc qu'on travaille sur la question du ciblage des aides à l'acquisition d'un véhicule propre. Il n'y a que comme ça qu'on peut s'en sortir.

Il faut cibler sur ceux qui ne peuvent pas changer malgré les aides. Les aides nationales sont assez compréhensibles, tout le monde peut facilement savoir à quoi il a le droit. En revanche, les aides locales, c'est plus compliqué. D'une région à l'autre, ce n'est pas la même chose, d'un département à l'autre, non plus. Par exemple, à Rouen, le département de Seine-Maritime donne une subvention à l'achat de véhicule propre, mais le département de l'Eure qui est juste à côté n'offre aucune aide alors que des gens de l'Eure vont travailler sur Rouen. C'est très diffus et inégal. Il faut regrouper ça sous forme d'un guichet unique, où on aurait à la fois, les offres nationales et territoriales. Peut-être qu'au sein même de ce comité on pourrait voir si une aide cohérente unique par métropole pourrait être mise en place.

On préconise d'élargir les aides aux véhicules Crit'air 2 d'occasion. Il y a un pallier jusqu'au Crit'air 3. C'est-à-dire que les personnes qui ont un véhicule Crit'air 4 ou 5 arrivent à acheter du 3 mais le passage compliqué c'est vers Crit'air 2. Un passage de Crit'air 4 ou 5 vers 1 ou 0, on oublie pour l'instant ! Les ménages les plus modestes n'y ont pas accès. Mais une aide ciblée pour arriver en Crit'air 2 leur permettrait quand même d'aller dans les ZFE.

On préconise aussi d'autoriser la circulation des boîtiers bio-éthanol. Tous ceux qui ont de vieilles voitures essence pourraient mettre un boîtier bio-éthanol, et pourraient ainsi circuler dans les ZFE. Et on pourrait augmenter les aides nationales sous conditions de ressources en les ciblant mieux, et assurer les avances des frais pour les ménages les plus précaires.

Comment garantir un accès à des véhicules moins polluants à tous ? 

Il faudrait qu'on arrive à enlever le reste à charge. On a vu le Secours Populaire et l'Adie (Association pour le droit à l'initiative économique) pour les microcrédits. Si vous avez un reste à charge supérieur à 6000 euros, la banque ne vous prêtera pas l'argent. Donc, il faut vraiment que le reste à charge soit inférieur ou égal à 6000 euros pour que ça fonctionne.

Emmanuel Macron avait parlé d'un loyer à 100 euros par mois pour un véhicule propre. Ca fonctionne si vraiment les loyers sont lissés du premier au dernier. Les locations classiques de voiture sur la longue durée proposent habituellement une offre avec un premier et un dernier loyers importants. Il faut vraiment qu'on arrive à lisser pour ne pas dépasser les 100 euros par mois.

Il faudrait également une mise en place d'aide à l'achat d'un véhicule propre pour les primo-accédants. Pour l'instant, il n'y en a pas. Il y a des primes à la conversion, un bonus écologique mais ça ne suffit pas. Les étudiants, les personnes en recherche d'un premier emploi ne sont pas forcément des gens qui ont de quoi se véhiculer de manière propre.

Il faut aussi plus de bornes de recharges. Actuellement, on est à 70 000 bornes au lieu de 100 000. (Lors de son premier mandat, Emmanuel Macron avait promis la mise en place de 100 000 bornes de recharge avant la fin de l'année 2021. D'après l'Avere-France (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique), il y aurait 71 630 points de recharge en France au 31 août 2022). Donc il faut accélérer le déploiement des recharges électriques, et cela doit se faire avec une cartographie cohérente avec les ZFE.

Est-ce que vous comprenez que les particuliers ont l'impression qu'on leur demande plus d'efforts qu'aux professionnels des secteurs qui polluent ? 

Oui, on comprend très bien. C'est pourquoi on propose aussi des ZFE pour ces gens-là. A Marseille, par exemple, la ZFE s'arrête autour du port, il n'est pas concerné. Effectivement, quand on voit que les paquebots qui envoient de la fumée ne sont pas embêtés, alors qu'en tant qu'habitant de Marseille on est embêté à cause de sa vieille voiture, je comprends qu'on se dise ça. Il faut que l'effort soit partagé ! On pourrait donc créer des ZFE pour les ports, maritimes ou fluviaux, les aéroports et les sites industriels.

D'après Libération, trois véhicules de la métropole de Toulouse ont été incendiés, sous le slogan «Nike la ZFE», au début du mois d'octobre. Est-ce que ces démonstrations de tension vous étonnent ? Pensez-vous que cela peut se reproduire ?

Je pense que si c'est mal expliqué, et que si on ne trouve pas d'alternative pour que les citoyens continuent à circuler librement, il y a un risque comparable à celui des gilets jaunes. J'en suis persuadé. Vous ne leur enlèverez jamais leur voiture, et les gens veulent être propriétaires de leur véhicule. Il va falloir beaucoup de temps pour leur faire accepter le fait de ne pas être forcément propriétaire de son véhicule. 

Comment éviter une situation comme celle des gilets jaunes ? 

Il faut de la pédagogie pour vraiment informer les gens. Il faut également une sorte d'équité : c'est pour ça qu'on a rajouté dans le rapport les zones à faible émission pour les secteurs polluants de l'industrie et des transports, pour que tout le monde participe à l'effort, et que ça ne s'arrête pas uniquement aux particuliers et aux commerçants. Troisièmement, il faut proposer des alternatives à l'habitude d'avoir une personne par voiture. Il faut arrêter de promettre aux gens qu'on va mettre des alternatives, alors qu'on n'en met pas. Ils le voient, ils ne sont pas complètement idiots !

Enfin, il faut rappeler que c'est une question de santé publique : il y a entre 40 et 50 000 morts par an à cause de la pollution de l'air.

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