Les policiers sont en première ligne pour faire appliquer les mesures de confinement. Sur le terrain mais aussi au sein des commissariats, certains sont inquiets, d'autres en colère. Sous couvert d'anonymat, ils témoignent et nous racontent leur quotidien au temps du coronavirus.
Depuis la mise en place du confinement, des fonctionnaires de police s'inquiètent de leurs conditions de travail. Ils ont décidé de témoigner.
Au commissariat de Guyancourt dans les Yvelines, Francis, (son prénom a été modifié) ne décolère pas: "Depuis le début des événements, on ne nous a donné qu'un seul masque mais mardi soir dernier, une directive interne est tombée, en interdisant le port du masque sur la voie publique ou à l'accueil du public". Motif invoqué par la hiérarchie, selon Francis : "ça va causer de la panique lors des contrôles, il n'y a aucune légitimité sanitaire à cela!", s'emporte le policier trentenaire. "Et les gens ne sont pas contents quand on les contrôle sans masque!"
Un autre policier, Stéphane (son prénom a été modifié), souvent en poste au tribunal de Versailles, au contact de détenus, pointe le sentiment accru de vulnérabilité des fonctionnaires en cette période : "On travaille au contact de gens qui connaissent très bien nos points faibles alors maintenant, c'est : 'si tu t'approches, je te tousse dessus, ou me touche pas, je suis infecté' ", témoigne ce fonctionnaire de 38 ans. "On nous a donné deux masques périmés depuis 2000 mais quand on les a mis, l'élastique a lâché", dit-il. "Et on nous a donné une fiole de 10 cl de gel hydroalcoolique pour 12... Le soir même y'en avait plus"
"L'interdiction de nous protéger est un scandale!", s'est insurgé le syndicat de policiers Unsa dans un communiqué. "Nous ne sommes pas des supers héros ", estime-t-il.Aller à la guerre sans arme, c'est une hécatombe
Les inquiétudes sanitaires se doublent sur le terrain d'une incompréhension face au non-respect des consignes de confinement. "Il y a énormément de gens dans les parcs qui font des pétanques, qui se retrouvent en groupe, même en zone résidentielle où les gens ont pourtant des jardins", réprouve Francis. Dans le département, limitrophe du Val-d'Oise, c'est une "cause perdue" de faire rentrer les gens chez eux s'il n'y a pas de confinement total instauré", estime une policière qui préfère rester anonyme. Cette fonctionnaire a le sentiment de "s'égosiller pour rien": "Des gens qu'on a vus hier, avant-hier, on les revoit aujourd'hui.' On n'est pas en prison' !, voilà ce qu'on nous sort".
Sophie (son prénom a été modifié) a fait dès vendredi dernier des démarches pour se mettre en arrêt de travail. Car pour elle, "pas de masque, pas de contrôle". Et "ça ne va pas aller en s'arrangeant", prédit-elle. "Tous les jours, on a des collègues qui abandonnent. A la fin du mois, il n'y aura plus personne."
3 questions à : M. un policier qui à souhaité conserver l'anonymat.
M. est policier. Il fait partie du corps d’encadrement et d’application de la police nationale. Ce sont les gardiens de la paix et les gradés (brigadier de police, brigadier-chef de police et major de police). Il travaille depuis 10 ans. Contacté par téléphone, il nous parle de son quotidien dans un commissariat de la petite couronne au temps du coronavirus.
Chez nous, dans la police, la gestion actuelle de la crise est inquiétante. Les instructions qui viennent de l’Etat ne sont pas claires. Les supérieurs ne savent pas vraiment quelles consignes il faut appliquer. Il n’y a pas de stratégie concernant la gestion des effectifs à long terme. Nous ne pouvons pas appliquer les mesures barrières.Chez nous, dans la police, la gestion actuelle de la crise est inquiétante
Qu’entendez-vous par stratégie ?
On pourrait scinder les effectifs, mettre certaines personnes en disponibilité chez eux, modifier nos horaires, pour de ne pas être tous présents au même moment de la journée. Notre hiérarchie nous demande d’être présents. Le problème c’est que si nous sommes tous présents en même temps et que l’un d’entre nous est contaminé, on va tous être contaminés. Les mesures barrières ne sont pas respectées. La « distanciation sociale » n’est pas appliquée dans mon commissariat. Certes, c’est compliqué mais c’est faisable.Les mesures barrières ne sont pas respectées
Etes-vous inquiets pour votre santé ? Disposez-vous de masques, de gel hydroalcoolique ?
Dans mon commissariat il y a 30 cas suspicieux. Certains collègues ont été en contact avec des gens contaminés et on leur a demandé de venir tant qu’ils n’avaient pas de symptômes. Quand on est dans une voiture à 4, on se sent exposés. Si l’un est malade… On n'a rien pour se protéger un minimum. Il y a des collègues qui ont des gants mais ça c’est à eux. Je crois que nous allons avoir des masques mais pas en quantité suffisante. Cela va prendre du temps pour qu’ils arrivent. On a toujours un train de retard.Je ne me sens pas protégé. Je m’attends à tomber malade.
Dans un message, l’Etat-Major a demandé aux effectifs qui sont affectés à la circulation de retirer les masques au contact de la population. Je ne comprends pas.
Quel est le sentiment de vos collègues dans votre commissariat ?
Même si je ne parle qu’en mon nom, je peux vous dire que cette situation pèse sur tout le monde. Forcement.Pour l’instant on est toujours opérationnel mais pour combien de temps encore?
On nous demande de faire toujours plus avec toujours moins. L’Etat se repose sur la police, sur nous. Depuis plusieurs années nous sommes en première ligne. Les forces de l’ordre sont extrêmement sollicitées. Il y a eu les attentats en 2015, les Gilets Jaunes, aujourd’hui le coronavirus. Les forces de l’ordre sont toujours présentes mais n’y a pas de considération pour les effectifs.
Pour l’instant on est toujours opérationnel mais pour combien de temps encore? Tout le monde risque d’être infecté.