Dans le cadre de la loi contre les séparatismes, l’assemblée a voté vendredi 12 février l’article 21 encadrant plus strictement l‘instruction à la maison qui sera soumise à autorisation. Les parents qui ont fait le choix de l’école à la maison s’inquiètent.
À 14 et 11 ans Lou-Ann et Morgane ne sont jamais allés à l’école. Leur scolarité se fait à la maison, un pavillon dans le Val-d'Oise. En guise de professeur, leur maman. Ce choix de l'instruction en famille (IEF) a été voulu et assumé par les deux parents. "Mon mari travaillant dans l’hôtellerie et la restauration, il avait des horaires complètement décalés par rapport au rythme scolaire et comme c’est un papa qui voulait s’investir dans l’instruction et l’éducation des enfants..." explique Marie-Gabrielle Chupiet-Kedachi pour justifier leur choix. Pour Lou-Ann et son petit frère Morgane, le matin est consacré à l’apprentissage et les après-midi, à partir de 16 heures pour la plus grande, à des activités culturelles ou sportives.
La famille dit avoir trouvé un équilibre et les enfants ne regrettent en rien l’école ou le collège. "Ça ne me manque pas. Je peux voir mes amis le samedi ou le dimanche. Je vais dehors, je les vois, on discute, on va au parc ensemble" assure Morgane, 11 ans. Sa grande sœur, Lou-Ann, âgée de 14 ans explique travailler à son rythme et prendre tout le temps qu’il lui est nécessaire pour assimiler le programme.
L'Article 21 voté par l'Assemblée nationale
Le vote de la loi à l'Assemblée nationale « confortant le respect des principes républicains » et son article 21 qui concerne l’école à la maison pourrait ébranler cet équilibre familial.
Jusqu’à présent, seule une déclaration annuelle est nécessaire pour instruire les enfants à la maison. A la rentrée 2024, l’IEF (Instruction en famille) sera soumise à autorisation. Elle devra répondre à des critères comme des impératifs de santé ou de handicap, l'éloignement géographique de tout établissement scolaire, le sport ou l'art pratiqué à haute intensité, et "un besoin particulier de l'enfant".
Un projet pédagogique, validé par l’Education nationale, sera également demandé aux parents. Ils devront justifier de leur "capacité matérielle et intellectuelle d'accompagner leurs enfants" selon le ministère. En attendant 2024, les contrôles seront plus stricts pour s’assurer que l’école à la maison ne cache pas des pratiques séparatistes ou des dérives sectaires. Objectif : lutter contre le séparatisme et le radicalisme en ramenant dans les établissements des enfants inscrits dans des écoles clandestines.
Le vote de l'Article 21 inquiète les parents de Lou-Ann et Morgane qui refusent l’amalgame fait avec la lutte contre le séparatisme.
Aujourd’hui on ne veut pas que le retour à l’école nous soit imposé
"J’ai peur que mes enfants soient malheureux à l’école. Ma fille fait beaucoup de danse, de musique, elle a une liberté d’apprentissage. Je ne la vois pas du tout assise sur une chaise toute la journée noyée dans une classe où il y a bien souvent plus de 30 élèves, où l’enfant n’est pas tellement pris en considération", déplore Claude Chupiet-Kedachi.
"Nous ne sommes pas des parents fous. Nous sommes là pour éduquer et instruire nos enfants. Nous avons fait des choix et quand j’entends mes enfants s’exprimer quand je vois leur niveau de culture générale, je suis très content d’avoir fait ce choix. Ils sont bien dans leurs baskets et dans leur tête, ça fera de bons citoyens", affirme-t-il.
Pour les convaincus des bienfaits de l’IEF, il n'y avait pas besoin de nouveaux textes législatifs et encore moins au sein de la loi contre les séparatismes. "L’État a déjà tous les outils pour faire des contrôles aujourd’hui. Ça me paraît complètement démesuré", dénonce Claude Chupiet-Kedachi. "On est contrôlé par la mairie, par l'Inspection académique. Les enfants ne vont pas à l'école mais ils ne sont pas sous les radars. Nos enfants ne sont pas du tout séparés comme on peut l'entendre dans le terme séparatisme. Ils font partie prenante de la société", témoigne Marie-Gabrielle Chupiet-Kedachi.
Il y a un amalgame entre l’instruction à la maison et les problèmes religieux
Même son de cloche pour Clémentine Challal du collectif Félicia, la Fédération pour la Liberté du Choix d'Instruction et des Apprentissages, qui milite pour l'instruction en famille. "Nous sommes pour la suppression de cet article 21 car l’arsenal législatif existant est suffisant. On sait bien que l'instruction à la maison n'est pas parfaite mais ce n’est pas la majorité des familles et il y a également aucune raison que cet article soit dans cette loi contre le séparatisme. Il y a un amalgame entre l’instruction à la maison et les problèmes religieux", regrette-t-elle.
"Les parents instructeurs estiment être les victimes collatérales d’un projet de loi qui ne les visent pas", déclare Jean-Baptiste Maillard, porte-parole de l’association Liberté éducation.
Hier à Paris comme partout en France, parents et associations ont manifesté contre le vote de l'article 21 par l'Assemblée nationale. Le Sénat devrait se pencher sur le texte le 30 mars.
Difficile de savoir combien d'enfants suivent leur scolarité en famille. Lors d'un discours, le Président de la République Emmanuel Macron a évoqué le nombre de 50 000 élèves.