Pour lutter contre les "séparatismes", Emmanuel Macron souhaite "strictement limiter" l'insctruction à domicile pour les élèves. Une décision incompréhensible pour les parents d'enfants scolarisés chez eux.
Il l'a présenté comme "une nécessité", une décision qui est "sans doute l'une des plus radicales depuis les lois de 1882 et celles assurant la mixité scolaire en 1969". Lors de son discours contre les "séparatismes" vendredi 2 octobre, Emmanuel Macron a annoncé vouloir "limiter" l'instruction des enfants à domicile.
A partir de la rentrée 2021, il n'y aura plus d'école à la maison, sauf pour les élèves possédant notamment des "impératifs de santé". Le Président a alors justifié ce choix en évoquant tour à tour les parents qui refusent de mettre leurs enfants au cours de musique ou à la piscine, la "déscolarisation" et des enseignements dans des structures non-déclarées avec "presque pas de fenêtre, des femmes en niqab qui les accueillent, des prières".
Abasourdis, les parents d'élèves concernés n'ont pas tardé à réagir. "On ne comprend pas l'amalgame entre l'enseignement à domicile et le séparatisme", s'exaspère Armelle Borel, cofondatrice de l'association UNIE qui promeut l'Instruction en famille (IEF), "on est un bouc émissaire facile". Elle rappelle que l'IEF est déjà "hyper contrôlée" justement pour éviter quelconque problème.
Des inspections sont réalisées tous les ans par les académies scolaires et tous les deux ans par les mairies pour vérifier le cadre d'apprentissage et le contenu enseigné aux 50.000 enfants scolarisés à domicile. Si ce chiffre est en hausse (ils étaient 41.000 en 2019 et 35.000 en 2017), la cofondatrice d'UNIE l'explique par l'intégration au calcul des enfants de 3 ans ou encore la crise sanitaire. La proportion de ces élèves reste tout de même très faible, elle représente 0,5 % du total des élèves scolarisés en France (soit 12,4 millions).
Pour la plupart des parents, le choix de l'IEF "n'est pas du tout religieux", confirme Audrey Gaillard, mais est plutôt "un choix de vie". Il permet à cette mère d'une petite fille de 3 ans de la "protéger".
Préserver son enfant avant tout
Armelle Borel a pratiqué l'IEF pour toute la scolarité de ses trois enfants, aujourd'hui âgés d'une vingtaine d'années. Elle a commencé lorsqu'elle s'est rendu compte que son petit dernier ne présentait "pas de réponse immunitaire". C'était une question de vie ou de mort pour elle : "Si l'IEF n'avait pas existé, j’aurais dû placer mes deux autres enfants en famille d’accueil ou risquer le décès de mon autre enfant".
"Ma fille est allergique aux protéines animales". Audrey Gaillard se rappelle la mort d'un enfant allergique au lait, en 2018, alors qu'il avait mangé une crêpe, et ajoute : "Je n'ai pas confiance en l'école". La secrétaire de Senillé, près de Châtellerault, continue : "J’ai perdu mon petit garçon en 2015. Alors j’avais aussi envie de vivre et partager pleinement l’éducation de ma fille".
Parfois, ce n'est pas la santé physique mais la santé mentale qui est en jeu. L'instruction à domicile peut alors sauver des enfants harcelés à l'école. Armelle Borel se souvient d'une conversation avec un parent pratiquant l'IEF pour son enfant harcelé. Celui-ci lui aurait dit : "Si tu me remets à l’école, je me suiciderais". Une problématique qui touche d'autant plus Audrey Gaillard qu'elle a elle-même été victime de harcèlement lors de sa scolarité. "Les établissements ne sont pas à l’écoute" déplore-t-elle, "et je n'ai pas envie que ma fille vive ça".
Cultiver une diversité
Quant à l'argument selon lequel l'IEF couperait les enfants de la société, Armelle Borel le balaie rapidement. "A l'heure actuelle, mes trois enfants sont insérés dans la société et travaillent. Ils ont peut-être eu moins de relations sociales, mais elles sont de qualité et vont durer une vie". Audrey Gaillard a déjà pré-inscrit sa fille pour des cours d'équitation l'année prochaine et compte lui apprendre à nager et lui faire rencontrer d'autres enfants en IEF. "Le but n'est pas de l'empêcher d’avoir tout lien social", soutient-elle. Certes, "nous faisons des choix éducatifs différents de l’ordinaire, mais nous sommes comme les autres, affirme la cofondatrice de l'UNIE, avec l'IEF la France gagne en diversité : nous ne devons pas mettre tout le monde dans le même moule".
Le projet de loi sur les "séparatismes" sera présenté en conseil des ministres le 9 décembre. S'il est adopté, Armelle Borel en est certaine : "il risque de pousser les gens dans la clandestinité. Ils voudront déménager, se cacher, mais pas envoyer leurs enfants à l'école". Même son de cloche du côté d'Audrey Gaillard. Elle insiste, catégorique : "Ma fille n'ira pas à l’école, quoi que dise la loi."