Surconsommation d’huile, perte de puissance, casse du moteur… Des centaines de propriétaires de voitures du groupe Renault-Nissan-Dacia, confrontés à des problèmes prématurés de moteur, ont rejoint une action collective. L’avocat chargé du dossier dénonce la "politique de déni" du constructeur.
Plus de 1200 automobilistes, dont près de 330 en Île-de-France, ont rejoint l’action collective "Motorgate" à ce jour. Propriétaires de véhicules Renault, Nissan ou Dacia, ils pointent tous du doigt le moteur 1.2 TCE, qui présenterait selon eux des défauts de conception.
Pour Simon, qui habite du côté de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), les problèmes ont commencé en 2018. "La voiture avait 60 000 km au compteur, elle était entretenue régulièrement, raconte l’automobiliste à propos de son Nissan Qashqai. Et je suis un papi au volant. Alors que j'étais parti avec ma famille en vacances au Portugal, le moteur a explosé, sur l’autoroute. C’était une galère à l’étranger, mais on m’a changé le moteur. Un an et demi plus tard, même comportement sur une autoroute : plus de puissance. J’ai failli me faire couper en deux par deux poids lourds, j’ai juste eu le temps de m’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence."
"On m’a annoncé une boîte de vitesses cassée, contrairement à ce que je pensais, poursuit-il. Je n'étais plus sous garantie, mais on me l’a changée à 100%, j’étais surpris. Six mois plus tard, le moteur m’a de nouveau lâché. A partir de là, je me suis débarrassé du véhicule en perdant beaucoup d’argent. Je l’avais acheté 27 000 euros, je l’ai revendu dans les 5 000. Et j’ai dû me débrouiller pendant huit mois sans voiture, on ne m’a jamais dédommagé."
"Le véhicule a ralenti d’un coup, en passant de 100 à 30 km/h"
Problème similaire pour Laurent, un automobiliste de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) : "C’est arrivé en 2021. Mon Dacia Duster, entretenu, présentait depuis quelque temps une surconsommation d’huile. En revenant de weekend, par temps de pluie, le véhicule a ralenti d’un coup, en passant de 100 à 30 km/h. Il y avait un camion juste derrière. On a eu du bol, il n'y a pas eu d’accident. Un voyant qui pouvait apparemment indiquer un bouchon d’essence mal fermé s’est allumé. Après avoir vérifié, j’ai appelé une dépanneuse. Le remorqueur puis le garagiste m’ont indiqué qu’il s’agissait d’une casse moteur. Au début, je me suis dit que ce n’était pas possible."
Après de nombreux allers-retours entre des garages, des "diagnostics flous" et des réclamations, il reçoit "un chiffrage de presque 10 000 euros pour une voiture achetée à 17 000" : "Renault ne prenait rien en charge, on a payé le rapatriement à 800 euros de notre poche. On a dû faire pendant cinq mois sans véhicule. Depuis, la voiture dort."
Martine, de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), a aussi rejoint la procédure. "C’était avec une Mégane achetée neuve en 2013 chez un concessionnaire Renault. En partant en province, alors qu’il y avait 2 000 km au compteur, le voyant de l’huile s’est allumé. On est allé dans un garage Renault où on nous a remis de l’huile, en nous disant de ne pas s’inquiéter. Le problème s’est répété tous les 2000 km, et à 20 000 au compteur, il y a eu la panne. Chez Renault, on nous a changé le joint de culasse."
"Ils n’ont jamais voulu changé le moteur ou la voiture, dans laquelle on avait investi 20 000 euros. A 30 000 km, rebelote : des fuites d’huile. Cette fois-ci, on nous a dit qu’il s’agissait de fuites d’eau et on nous a changé la pompe. A 40 000 km, encore des fuites d’huile. Un autre mécano nous a alors expliqué qu’il s’agissait bien d’un problème moteur, et qu’il allait péter. A 60 000 km, la voiture est invendable. Et ça nous a coûté un fric fou, on est dégoûté. On nous a pris pour des idiots."
"Renault connaît depuis longtemps le problème"
Au total, 400 000 unités du moteur en question ont été fabriquées de 2012 à 2016, d’après Me Christophe Lèguevaques, qui défend les automobilistes dans le cadre de l’action collective lancée en début d’année. "Des véhicules sont encore aujourd’hui vendus sur le marché de l’occasion alors que Renault connaît depuis longtemps le problème", déplore-t-il. Le conseil, qui examine en ce moment avec quatre collègues les pièces envoyées par ses clients, demande le rappel des voitures concernées, en raison de leur dangerosité potentielle. D’après des notes internes consultées par UFC-Que Choisir, qui a alerté sur le sujet dès 2019, Renault était au courant des problèmes depuis 2015.
Me Christophe Lèguevaques explique qu’une lettre de mise en demeure doit être envoyée cette semaine à Renault : "S’ils veulent discuter, on entre en phase de négociation. Sinon, il peut y avoir une phase de référé probatoire sous contrôle du juge, pour demander la communication d’un certain nombre de documents." D’autres procédures pourraient alors suivre vers la fin d’année, "pour saisir les juridictions compétentes et sanctionner le comportement abusif voire délictueux de Renault". "On parle de vices cachés. Et, en fonction des éléments qu’on va obtenir, ça peut aller jusqu’à de la tromperie", indique l’avocat.
De son côté, Renault affirme avoir "pris en charge totalement ou partiellement plus de 90% des cas identifiés" via son réseau de distribution et son service après-vente. 133 000 véhicules sont concernés en France selon la marque, "et moins de 10% ont rencontré un phénomène de surconsommation d'huile". Renault explique gérer la situation "au cas par cas" : "On fait un diagnostic, et on le traite de manière individualisée. Il n’y a pas de rappel, ça ne touche pas un organe de sécurité." La marque précise que le programme de prise en charge est toujours ouvert.
Alors que Renault ne parle pas de problème systémique, Me Christophe Lèguevaques dénonce une "politique de déni" : "Renault a tout intérêt à éteindre l’incendie avant qu’il se propage. Mais ils refusent de voir la réalité en face."
A noter qu’au-delà de l’action collective, un groupe Facebook d’automobilistes intitulé "Casse moteur Renault/Nissan" rassemble aujourd’hui près de 6 000 membres.