Procès du crash Rio-Paris : "J’ai ce sentiment de perte immense et d’un futur qui ne sera plus"

Cela fait 13 ans qu'ils attendaient que justice soit rendue, allant d'espoirs en déconvenues. A la veille du procès de l'accident du vol AF 447 Rio-Paris qui a fait 228 morts le 1er juin 2009, des proches de victimes ont accepté de nous raconter leurs 13 années de combat et nous confier leurs attentes.

Le 1er juin 2009, il est environ 11h10, heure française, lorsque l’avion AF 447 disparaît des radars. L’appareil, un Airbus A330 affrété par la compagnie Air France, a décollé 4 heures plus tôt de Rio à destination de Paris. A son bord, 16 membres d’équipage, 212 passagers dont 7 enfants et un bébé. Parmi les 33 nationalités différentes, 61 personnes sont françaises.

Le physicien Ivan Lorgéré, 41 ans, qui enseigne à Orsay (Yvelines) et le chimiste Olivier Guillot-Noël, 37 ans, qui travaille au sein du Laboratoire de chimie de la matière condensée à Paris font partie des passagers. Tous deux reviennent d’un colloque à Salvador de Bahia. Il y a aussi Serge Anidjar, 47 ans. Marié et père de trois enfants, il est le directeur des affaires financières du groupe Keyrus, société internationale spécialisée dans le développement des systèmes d'information dont le siège est installé à Levallois (Hauts-de-Seine). Levallois où vit Nicolas Toulliou, 27 ans, lui aussi en déplacement professionnel au Brésil. Le jeune homme vient tout juste de se fiancer.

Caroline Soulas, 24 ans, a quant à elle, pris place rang 27. Elle voyage avec son mari Sébastien, steward chez Air France, épousé deux ans auparavant. Tous deux vivent en Seine-et-Marne et ont profité d’un week-end prolongé pour faire la fête à Rio. "Ils s’étaient rencontrés en 2003 dans un avion pour San Francisco, raconte Corinne Soulas, la mère de Caroline. C’est là que leur histoire d’amour a commencé. Et c’est malheureusement là qu’elle s’est terminée."

 

« On regarde sur internet s’il n’y a pas une île où ils auraient pu se poser »

Corinne Soulas se souvient du choc en allumant sa télévision ce 1er juin 2009. Des reportages en boucle sur la disparition du vol AF 447. "J’ai fait une crise de panique. Personne ne nous avait appelés pour nous prévenir." Comme beaucoup de proches de passagers, elle décide alors de se rendre spontanément à l’aéroport de Roissy pour obtenir des informations. "On n’apprend pas grand-chose et on garde encore espoir", se remémore-t-elle. "On regarde sur internet s’il n’y a pas une île où ils auraient pu se poser. On a une imagination débordante même si dans le fond, on sait que c’est fini." Ophélie Toulliou a elle aussi guetté pendant plusieurs jours un signe de son frère Nicolas. 

A l’époque, je ne savais pas ce que ça voulait dire un avion qui sort des radars. Je ne me rendais pas compte de la signification. Et puis, au fur et à mesure des heures et des jours, l’espoir diminue jusqu’à ce sixième jour où on a retrouvé des traces de la carlingue en mer.

Ophélie Toulliou, la soeur de Nicolas Toulliou

Le samedi 6 juin 2009, en milieu d'après-midi, l'armée brésilienne repère des débris appartenant à l'Airbus A 330 à 650 km au nord de l'archipel de Fernando de Noronha : un siège, une bouée, une sacoche en cuir, des parties de l’aile… Une cinquantaine de corps sont repêchés dont celui du commandant de bord. L’épave, elle, reste introuvable.

Il faudra quatre phases de recherches, étalées sur près de deux ans, pour la localiser à 3900 mètres de profondeur. A l’intérieur, certains corps semblent intacts, protégés par le froid, l’absence de lumière et la faible quantité d’oxygène. Une opération inédite et délicate est alors entreprise pour les remonter, divisant les familles. "Retrouver des corps au fonds de l’eau après deux ans, on ne pensait même pas que c’était possible. On a suivi ça à la télévision. Ça a été très violent à vivre, car il s’agissait de nos enfants, de nos pères, nos mères, nos frères", explique Ophélie Toulliou.

Certaines familles avaient exprimé la volonté de récupérer les corps de leurs proches pour pouvoir les enterrer. D’autres, le souhait de les laisser là où ils étaient sans rien toucher. "C’est la juge d’instruction de l’époque qui a pris cette décision, dure décision, de remonter tout ce qui pouvait l’être. Dans cette opération, des couples ont été séparés et cela a été très mal vécu par les familles." Un moment qui reste très douloureux aujourd’hui encore pour Corinne Soulas et son mari. "Caroline n’a pas été retrouvée mais Sébastien son mari, oui. Mon vœu initial, c’était qu’ils restent ensemble. Ça n’a malheureusement pas été le cas."

Lors de cette opération d’envergure, 104 corps sont remontés, ainsi que deux des enregistreurs de vols. Malgré les deux ans passées immergés dans l’océan Atlantique, ils ne sont pas endommagés. Audibles et exploitables, ils vont permettre de comprendre l’enchaînement fatal qui a conduit au crash de l’appareil.

Le givre des sondes Pitot et le décrochage

C’est le Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA) qui est en charge d’étudier ces fameuses boites noires. Elles contiennent les données des deux dernières heures du vol avec les conversations de l’équipage et retracent un drame qui s’est joué en quelques minutes seulement.

Cela fait presque quatre heures que l’AF 447 a quitté Rio lorsqu’il affronte des turbulences au niveau de la zone de convergences intertropicales appelée "pot au noir". Des perturbations que d’autres avions ont décidé de contourner cette nuit-là. Dans la tempête, les trois sondes Pitot, des petits capteurs situés sur le nez de l’appareil, givrent entraînant la perte des données de vitesse et le désengagement du pilotage automatique. Le pilote effectue alors une série de manœuvres qui ont pour conséquence de modifier l’assiette de l’avion qui vole désormais au-dessus de 38 000 pieds, bien au-delà du domaine de vol connu.

Des vibrations se font sentir, elles sont trompeuses car le pilote pense "avoir atteint une vitesse de fou". Or, en montant, la vitesse de l’appareil n’a fait que diminuer pour atteindre les 340 km/heure. Il commence à décrocher, une situation dont les pilotes ne semblent pas prendre conscience malgré les alarmes répétées dans le cockpit. Au bout de 4 minutes 30, l’AF 447 chute et percute l’océan. C'est la catastrophe la plus meurtrière de l'histoire d'Air France.

Dans son rapport en 2012, le Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA) conclut que l’accident résulte d’une conjonction d'erreurs humaines et de défaillances techniques : "l'obstruction des sondes de vitesse Pitot et la non reconnaissance du décrochage" par les pilotes. Deux autres rapports parviennent aux mêmes résultats les années suivantes.

Sur la base de ces éléments, le parquet de Paris demande en 2019 un procès devant le tribunal correctionnel contre Air France pour "négligence" et "imprudence". Et se prononce en revanche pour un non-lieu concernant Airbus. Mais les juges d'instruction ont une autre lecture du dossier. Ils ordonnent finalement un non-lieu pour le constructeur et pour la compagnie aérienne, au grand désarroi des familles de victimes. "A ce moment-là, très clairement, on a perdu foi dans la justice", raconte Ophélie Toulliou. "On n’a pas compris cette décision au vu des éléments dans le dossier." Robert Soulas, le père de Caroline, est plus critique encore. 

Toutes ces années d’expertises, de contre-expertises, d’appels à la chambre de l’instruction. Il y a eu trois collèges d’experts en plus du BEA. C’était fou, on n’en sortait plus. Et tout cela pour quel résultat ? Ca a été le fiasco de la justice.

Robert Soulas, le père de Caroline

Mais quelques mois plus tard, nouveau coup de théâtre. Le parquet de Paris fait appel et en 2021 Air France et Airbus sont renvoyés en correctionnelle pour homicides involontaires.

La cour d'appel a en effet estimé qu'il existait des charges suffisantes contre Air France pour s'être "abstenu de mettre en œuvre une formation adaptée (et) l'information des équipages qui s'imposait" face au givrage des sondes, "ce qui a empêché les pilotes de réagir comme il le fallait". 

De multiples défaillances de sondes auparavant 

Airbus est renvoyé pour avoir "sous-estimé la gravité des défaillances des sondes anémométriques équipant l'aéronef A330, en ne prenant pas toutes les dispositions nécessaires pour informer d'urgence les équipages des sociétés exploitantes et contribuer à les former efficacement".

Les défaillances de sondes s'étaient en effet multipliées dans les mois précédant l'accident. "Il y a eu une minimisation du danger du gel des sondes Pitot et de ses conséquences", estime Ophélie Toulliou. "Il y avait eu plus de 40 incidents l’année précédent le crash sur ces sondes-là et le sujet n’a pas été traité, ni par Airbus ni par Air France, alors que d’autres compagnies avaient fait le choix de clouer leur flotte au sol en demandant en urgence à Airbus de faire changer leurs sondes. Notamment Air Caraïbes ou XL Airways. Pourquoi Air France ne l’a pas fait et n’a pas informé ses pilotes de ce problème récurrent en rappelant la procédure à appliquer au cas où cela se produisait ? Et pourquoi Airbus n’a pas agi de son côté de manière plus urgente ?"

Pour Robert Soulas, le rôle des pilotes décédés ne doit pas non plus être minimisé dans le déroulement tragique de l’accident. Cet ingénieur de formation a passé ces treize dernières années à éplucher tous les rapports sur le vol AF 447, les manuels d’Air France en les comparant à ceux d’autres compagnies, allant jusqu’à rédiger ses propres synthèses. "Ma première impression, c’est qu’on avait un équipage très dilettante. Des pilotes qui malgré la météo ne font pas de contournement. Un commandant qui dit "ça va turbuler" et qui part se coucher car il n’a dormi qu’une heure la nuit d’avant (…) Lorsque l’avion décroche, l’alarme va retentir plus de 70 fois, mais ils ne l’ont pas compris, pas entendu. Le pilote monte toujours plus haut et perd de la vitesse. Mais un avion qui vole à 300 km en croisière, ça vole pas, c’est pas possible, ça chute. Pour moi, la responsabilité incombe essentiellement aux pilotes du fait d’un manque de formation chez Air France et j’espère que la justice reconnaitra cet état de fait."

De leur côté, Air France et Airbus ont toujours rejeté toute faute pénale et devraient plaider la relaxe face aux faits qui leur sont reprochés. En tant que personnes morales, ils n’encourent aucune peine de prison mais risquent 225 000 euros d'amende. "Qu’ils soient condamnés ou pas, ça ne me ramènera pas ma fille. J’ai ce sentiment de perte immense et d’un futur qui ne sera plus. Et ça, c’est une douleur qui ne guérira jamais", conclue Corinne Soulas. Au-delà des discussions qui devraient être très techniques, cette mère espère que ce procès de deux mois lui apportera un peu de soulagement.

Moi, ce que je voudrais savoir, c’est le ressenti au moment de l’impact et quand les choses ont commencé à se dégrader. Ils ont dû ressentir de la frayeur. Et c’est ça qui me perturbe énormément.

Corinne Soulas, la mère de Caroline

Pour répondre à ces interrogations qui taraudent chaque famille depuis 13 ans, l’association de victimes "Entraide et solidarité AF 447" a prévu de demander l’écoute des boites noires avec les dernières conversations des pilotes.  

476 personnes se sont constituées parties civiles et feront face, jusqu'au 8 décembre, à Airbus et Air France, poursuivis pour homicide involontaire.

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