Une maison d’édition parisienne lance le premier concours de mini-romans écrits à l’aide de l’intelligence artificielle. Les auteurs sont incités à utiliser sans modération l'IA pour documenter et construire leur récit. Mais leur texte doit être original et avoir du style, ce que l'ordinateur a bien du mal à produire.
Prérequis du concours lancé par la maison d'édition parisienne Edilivre : l’action doit se dérouler dans le futur, dans un monde post-apocalyptique, où la culture a entièrement disparu. Le tout en une quinzaine de pages.
Avec une intelligence artificielle, rien de plus simple pour écrire une nouvelle. Quelques lignes de texte sur l'ordinateur pour planter le cadre du récit, et le tour est joué ! La requête est lancée sur ChatGPT. En quelques dizaines de secondes, le texte apparaît à l’écran. Il est alors possible de donner des instructions supplémentaires. Par exemple, préciser que le héros doit trouver un moyen pour faire revivre les livres. Nouvelle requête. ChatGPT s’exécute, et modifie sa première mouture.
La tentation est alors grande de faire un copié-collé, et d’envoyer le tout à l’éditeur. L’opération n’aura pas pris plus d’une demi-heure ! Mais est-ce vraiment aussi simple que cela pour s'avouer écrivain ?
"J’ai complètement réécrit"
Chantal Payrard est auteure de plusieurs romans. Elle participe au concours, et s'est amusée à utiliser l'IA développée par la société américaine OpenAI. "J’ai imaginé un monde détruit par des tempêtes. Un groupe d’étudiants tente de rejoindre un dôme, construit dans le désert, en Namibie", résume-t-elle. Lors de leur voyage vers l’Afrique, ses héros se retrouvent sans argent et doivent travailler. "J’ai tapé une question sur l’économie du Cameroun. ChatGPT m’a généré un article sur l’agriculture et le tourisme. J’ai donc fait travailler mes héros dans un grand-hôtel", ajoute-t-elle.
Mais elle précise : "J’ai réécrit complètement. C’était trop technique et froid. Je suis plus du côté de l’imaginaire. Pour moi, c’est seulement un outil." Chantal Payrard indique qu'elle s'est servie de l'agent conversationnel comme source documentaire : "L’intérêt de ChatGPT c’est que ça condense un peu tout, beaucoup plus rapidement qu’en faisant des recherches sur Google."
Un pavé dans la mare
La maison d’édition parisienne Edilivre à l'origine du concours, cherche à montrer les avantages et les inconvénients à l’utilisation d’une intelligence artificielle en littérature. "Les maisons d’édition sont très réfractaires à l’utilisation des IA. Nous, on veut les essayer. L’objectif est de tester les limites, et démontrer que ChatGPT ne peut pas aujourd’hui produire seul un texte convainquant sans l’aide d’un humain", explique Victoria Marchand, assistante en relations publiques chez Edilivre.
Pour la maison d’édition, c'est plutôt un outil d’aide à la rédaction. "Il faut voir l’IA comme une base de données, qui va générer des idées pour l’auteur. Si l’auteur veut faire évoluer son héros dans une forêt dans le futur, l’IA va aller chercher les éléments qui constitueront les forêts dans le futur, par exemple, quelles essences d’arbres ou quels animaux. C’est une source d’inspiration", analyse Victoria Marchand.
Des textes trop parfaits
Alexandre Gefen, directeur de recherche au CNRS, décortique le processus de création de l'IA dans un webinaire publié par Edilivre : "C’est un ordinateur qui fait un calcul statistique sur les mots qui sont les plus fréquents en correspondance avec les mots que vous lui donnez. Lorsque vous lui demandez : invente-moi un texte, ChatGPT va faire des calculs et trouver dans son immense bibliothèque toutes les fois où il a vu "écris-moi un texte", dans un roman, un dialogue ou un article. Il va imiter les enchaînements de mots les plus probables. Il connaît les combinaisons de 100.000 milliards de mots entre eux."
Résultat, le texte généré rassemble de vraies informations, et des enchaînements d’idées souvent justes, mais le récit s'avère froid, sans saveur. "ChatGPT c’est très troublant. Lorsque vous lisez un texte, vous avez le sentiment qu’il y a quelque chose qui ne va pas", constate Alexandre Gefen. "Paradoxalement, le texte est trop normal. La génération se fait selon toutes les normes des pratiques linguistiques, des règles de la grammaire. D’où ce sentiment très étrange, que ces textes sont trop parfaits."
Le concours de nouvelles est ouvert à tous, jusqu’au 6 octobre. Le texte doit faire une quinzaine de pages. Un comité de lecture sélectionnera les 15 meilleures nouvelles, qui seront publiées dans un recueil en fin d’année. Les lecteurs jugeront si les humains – inspirés par la machine – peuvent encore les émerveiller.