Elle attend toujours d’avoir des réponses pour faire son deuil. Laurence Dezélée ne sait toujours pas quel sort a été réservé au corps de sa mère, cédé au centre du don des corps de l’université Paris-Descartes. Elle a décidé d’écrire un livre pour témoigner : "Pardon Maman pour ce qu’ils t’ont fait", aux éditions Plon.
"Au nom de sa mère et pour tous les autres". Pour que cesse le silence, elle a décidé de mettre des mots pour ne pas oublier. Des phrases glissées dans un livre "Pardon maman pour ce qu’ils t’ont fait",(Edition Plon).
Raconter, c’est maintenant son leitmotiv pour laisser une trace. Car comme de nombreuses familles, Laurence Dezélée ne sait toujours pas ce qu’il est advenu du corps de sa mère, confié au centre du don des corps de l’université Paris-Descartes. Ce funeste lieu que l’on a surnommé "le charnier". Près de 600 corps par an, depuis une trentaine d’années, seraient passés par ce centre, l'un des plus grands d'Europe.
Plus de 3 ans après le scandale des révélations sur les conditions déplorables de conservation des dépouilles mortuaires, nous avons recueilli le témoignage de cette femme, Laurence Dezélée. Elle a fait de cette découverte traumatisante, un combat personnel pour la vérité et la justice.
Retrouvez Laurence Dezélée, invitée du JT de France 3 Paris Île-de-France à 19 heures ce lundi 24 avril.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
Laurence Dezélée : Tout a commencé par la découverte de ce charnier immonde en 2019 dans la presse. À l’époque, je n’ai pas du tout pensé écrire un livre. J’étais tellement dans la douleur, dans le chagrin. Et puis, il se trouve que je suis moi-même journaliste sur RFM. Et à l’occasion, j’ai croisé dans la station le chroniqueur Philippe Legrand. Je lui ai raconté l’histoire de ma mère, le charnier, ce que j’avais découvert, ma douleur… Il m’a écoutée et m’a dit : "Mais Laurence tu ne peux pas garder cela pour toi, il faut que tu fasses un livre". Je lui ai répondu : "Mais je n’ai jamais écrit de livres". Il m’a rétorqué : "Moi j’en ai écrit. Donc si tu as besoin, je peux t’aider". Et puis un jour, le téléphone retentit. C’est Philippe Legrand. Il me dit : "mon éditeur veut te rencontrer". Et c’est comme ça que l’aventure de ce livre a débuté.
Dans le livre vous racontez cette découverte traumatisante, lorsque vous prenez conscience que votre mère fait partie des victimes de ce centre des dons de Paris-Descartes ?
Laurence Dezélée : Cela a été très violent. C’est un euphémisme. Je savais que ma mère avait donné son corps. Elle me l’avait signifié avant de mourir. Elle m’avait dit de surtout respecter son choix et de faire en sorte, une fois qu’elle ne serait plus là, que son corps aille au centre du don des corps de Paris-Descartes. Je n’étais pas d’accord, mais je l’ai fait quand même. Je lui ai promis. J’ai été au bout de ce qu’elle voulait. Et arrive le 27 novembre 2019. J’ai une notification sur mon téléphone. J’ouvre la dépêche. C’est l’article de l’Express. Et là, je découvre ce qu’il s’est passé. C’est un séisme. Je relis plusieurs fois, car je n’y crois pas. Je me dis : "ce n’est pas possible ! Elle ne peut pas en faire partie".
Il n’y a plus personne pour la défendre, il n’y a que moi
Laurence Dezélée, auteur
Je vois les dates. Je les relis. Cela coïncide avec l’année où ma mère a donné son corps. Donc forcément, elle est dedans. Ma vie a basculé à ce moment-là. Je me suis dit : "il n’y a plus personne pour la défendre, il n’y a que moi". Donc on rassemble ses forces, on se mobilise, on cherche comment on va faire, on cherche un avocat… C’était le début de mon combat pour la vérité et la justice.
Votre livre, c’est finalement comme un hommage à votre mère et à toutes ces victimes ?
Laurence Dezélée : La dédicace qui est au début du livre s’adresse à ma maman, mais aussi à tous les donneurs qui sont passés par la faculté Paris-Descartes. C’est une sorte d’hommage parce que je pense qu’ils le méritent largement. Je suis désolée pour tous, pas que pour ma mère, mais aussi pour tous ceux qui ont fait ce choix généreux du don, et à qui on a menti. On les a trahis. Je trouve que c’est lamentable ce qu’il s’est passé. C’est immonde. On ne peut pas faire cela à des humains, c’est inimaginable. Comment des hommes ont pu se comporter de cette façon avec d’autres humains, même morts ? Le respect et la dignité ne cessent pas avec la mort. Un corps qui est mort a été un corps vivant auparavant. On doit respecter ce corps. Et ce que je veux faire passer comme message via ce livre, c’est plus jamais cela. Je ne veux pas que cela se reproduise. Jamais. Nulle part. Donc j’espère que la justice va bouger et que les coupables vont être punis. J’espère qu’on va tous aller les chercher un par un. Parce que pour le moment il y a très peu de mises en examen. Donc je voudrais vraiment que les auditions avancent et que des mises en examen soient prononcées même sur des gens importants et même s’ils se croient intouchables.
Le respect et la dignité ne cessent pas avec la mort
Laurence Dezélée, auteur
À côté de cet aspect-là, je souhaite aussi témoigner dans ce livre de l’importance du don du corps. Il ne faut pas que cela s’arrête malgré tout. Heureusement il n’y a pas des Paris-Descartes dans toute la France. Il y a des endroits où le don du corps se passe dans la dignité. Et puis surtout, le don du corps est important pour faire avancer la médecine et la science. On ne peut pas s’en passer même si on a des robots très perfectionnés qui imitent le corps humain ; au final ce ne sera jamais un corps.
Que dénoncez-vous dans ce livre ? Que ces corps aient servi pour des expériences, voir même des trafics ?
Laurence Dezélée : Oui tout à fait. On n’était pas au courant. Personne n’était au courant. Même les donneurs n’étaient pas au courant. Les donneurs pensaient qu’ils allaient donner leur corps pour servir dans les classes de dissection pour les futurs médecins et futurs chirurgiens ou chercheurs. Moi c’est ce que ma mère m’avait expliqué en tout cas. Jamais elle n’aurait imaginé que son corps pourrait servir pour des expériences. Qu’on allait la faire exploser sur un champ de mines ou qu’on allait la balancer dans un mur à toute vitesse. Pas du tout. Elle n’a pas su tout cela. Personne ne la sut. C’est ce manque de transparence et d’information que l’on reproche. Et puis le problème c’est que cela ne s’arrête pas là. Apparemment il y avait aussi du trafic de corps. Ce n’est pas possible, ni même entendable. On ne peut pas imaginer un truc pareil au XXIème siècle, dans une faculté de médecine reconnue, le plus grand centre de don des corps d’Europe…
Tous ces donneurs étaient généreux, ils pensaient à autrui, et on détourne leur don
Laurence Dezélée, auteur
De plus, quand on voit dans quelles conditions travaillaient les préparateurs de corps : tout cela est inadmissible. Qu’on ne leur ait pas dit à quoi ils allaient servir, ce n’est pas normal, mais qu’en plus il y a eu du business sur des gens qui ont donné généreusement leur corps à la science. Certains même ont payé pour donner leur corps, parce qu’il y a quelques années, il fallait payer pour être donneur. Tous ces donneurs étaient généreux, ils pensaient à autrui, et on détourne leur don. C’était lucratif. Ces gens-là ont agi pour leurs intérêts personnels, pour se faire de l’argent. De nombreuses personnes étaient au courant de ces pratiques, mais c’était l’omerta qui régnait dans cette faculté. J’espère un jour que la justice passera, pour nous permettre à nous les familles d’être en paix.
Depuis la mise en lumière de cette affaire, est-ce qu’il y a eu des avancées pour les familles des victimes ?
Laurence Dezélée : Pas vraiment. Enfin juste une petite avancée. Avant de partir de son poste, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, a fait paraître un décret pour encadrer le don du corps. Mais celui-ci a été fait vraiment rapidement avant qu’elle ne parte. La plupart des directeurs de centre de don des corps nous disent qu’il n’est pas applicable en l’état. Il y a plein de choses qui n’ont pas été prévues comme le financement des centres. C’est une avancée que le don maintenant soit gratuit, mais qui va financer la conservation des corps, les crémations etc…? Où trouver l’argent ? Rien n’est prévu. Nulle part il est écrit qu’il va falloir des contrôles inopinés de ces centres.
Cette histoire de Paris-Descartes peut très bien se reproduire ailleurs, s’il n’y a pas de contrôles surprises.