Il est l'auteur de ces trois mots. Une phrase et un logo postés sur le web qui seront repris dans le monde entier. Entretien avec Joachim Roncin, le créateur du slogan "Je suis Charlie".
"C'était un message extrêmement personnel", explique Joachim Roncin. "Moi, je suis quelqu'un qui pratique l'image et donc j'ai commencé à dessiner, à écrire Charlie, Charlie, Charlie... Et à un moment donné, j'ai juste écrit "Je suis" au-dessus. Cette phrase représente bien finalement mon ressenti", raconte-t-il au micro de Jean-Baptiste Pattier dans l'Entretien sur France 3 Paris Ile-de-France.
"Pour moi, Charlie Hebdo, c'est la nostalgie de l'enfance, de l'insouciance des années 70-80 que j'ai vécu en tant qu'enfant", confie-t-il. "C'était ce magazine un peu contestataire que mon père avait sur la table basse de son salon. Alors quand je publie ces trois mots, c'est donc l'expression de quelque chose d'extrêmement personnel."
Le 7 janvier 2015, moins d'une heure après l'attentat qui décime la rédaction de Charlie Hebdo, Joachim Roncin, alors directeur d'un magazine, poste à ses 400 followers sur le réseau Twitter ses trois mots en lettres blanches sur un fond noir.
Un tourbillon médiatique
Le message devient rapidement viral, se transforme en un slogan, attire l'attention de la presse. Un journaliste de l'AFP l'appelle puis Le Monde, le Daily Mail, le Huffington Post, le Süddeutsche Zeitung, La Repubblica, les médias internationaux, comme le relate le graphiste dans son livre : Une histoire folle : Comment j'ai créé "Je suis Charlie" et le voyage en Absurdie qui a suivi, (éditions Grasset).
#JeSuisCharlie n’oubliez jamais la barbarie #10ans pic.twitter.com/8FDwOWrQzK
— Zooropalg (@Zooropalg) January 6, 2025
24Dans la rue, le slogan est affiché partout, tagué, dessiné sur les murs, sur les abribus, brandis sur des pancartes ou des feuilles A 4 et parfois accrochés à des supports inattendus. "Dans la vitrine d'une pâtisserie, "des cupcakes, coiffés d’un "Je suis Charlie" en pâte d’amandes affichaient aussi leur solidarité", se rappelle Joachim Roncin.
Le slogan est désormais un cri de ralliement de marches républicaines à Paris le 11 et 12 janvier. "C'était un sentiment un peu bizarre parce que quelques heures auparavant, je travaillais à mon bureau", se remémore-t-il.
"Quand je vois des gens place de la République avec ses pancartes "Je suis Charlie", c'est déjà pour moi hallucinant, je trouve ça touchant personnellement, mais je n'en suis pas fier. Ça serait trop horrible d'avoir de la fierté avec un tel événement."
Le slogan traverse les frontières. Il est brandi lors de manifestations de soutien dans le monde. Georges Clooney sur la scène des Golden Globes s'en empare le 12 janvier. Il se retrouve affiché dans un cadre accroché aux murs du siège de Twitter aux USA entre des posts de Barack Obama et du pape François. Dans son livre, Joachim Roncin raconte qu'il est un jour sollicité par le président ukrainien de l’époque. Ce dernier lui propose de rejoindre un Think Thank avec Bernard-Henri Lévy pour travailler sur l'image publique de son pays.
Redoutant une récupération commerciale, Joachim Roncin s'emploie à protéger la phrase et le visuel "Je suis Charlie", 120 demandes dont plusieurs dans la catégorie armement, ont déjà été déposées à l'INPI, l'Institut national de la propriété industrielle. Bienvenue en Absurdie.
Une plainte déposée contre le RN
Le slogan est aujourd'hui, dit-il, "indéposable", mais il aura eu mille vies depuis 2015. Il a alimenté des débats : 'Être ou ne pas être Charlie', servi des causes idéologiques et exploités à des fins politiques. "Par exemple, il a été utilisé pour des idées xénophobes et racistes qui ne sont pas du tout les miennes. C'est pour ça aussi que récemment, pour la première fois, j'ai porté plainte auprès du Procureur de la République contre le Rassemblement national lors des européennes. Ils avaient encore une fois utilisé ce slogan", annonce-t-il.
""Il y a dix ans, il y avait dans ce message l'idée d'une volonté de vivre ensemble, l'idée d'une fraternité, d'une défense de la liberté d'expression, mais je pense qu'il y a d'autres personnes qui l'emploient aujourd’hui différemment pour peut-être valoriser des idées qui sont trop loin des idées d'origine", déplore-t-il.
10 ans plus tard
10 ans après, Joachim Roncin "s'est reconstruit","a pris du recul". Il s’est engagé aux côtés de Reporters sans Frontières pour la défense de la liberté de la presse. "J’avais besoin de trouver un sens aussi dans ma vie. La liberté d'expression, le droit au blasphème, la laïcité, tout ça, ce sont des sujets qui sont importants à traiter et avec Reporters sans Frontières, ça m'a permis de justement un peu plus de prendre la parole", explique-t-il.
Quant au slogan, "Je suis Charlie", Joachim Roncin souhaiterait qu'il continue à véhiculer le même message initial, les mêmes aspirations. "Les gens y ont mis dedans : la liberté d'expression, la liberté de la presse, le droit à la caricature bien sûr, c'est ça qu'il faut préserver parce que ça fait partie des fondements de notre société."