Jean-Louis Périès, l'homme du procès des attentats du 13 novembre 2015

Le "V13" a certainement été l’un des procès les plus marquants de sa carrière. Le plus long, le plus dense, l’un des plus difficiles à gérer aussi émotionnellement. A 66 ans, Jean-Louis Périès, le président de la cour d’assise spécialement composée du procès des attentats de novembre 2015, vient de prendre sa retraite, la tête encore dans le procès.

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Novembre 2019. Jean-Louis Périès préside le procès de l’attaque des policiers de Viry-Châtillon. Sur les bancs des accusés, treize hommes sont jugés pour avoir lancé des cocktails Molotov et grièvement blessé quatre policiers qui patrouillaient devant la cité de la Grande Borne le 8 octobre 2016. L’affaire, qui avait provoqué un mouvement de colère sans précédent dans la police et fait l’objet de nombreuses réactions politiques, reste sensible. Pour accueillir l’audience qui se tient à huis clos, le tribunal d’Evry s'est transformé en forteresse : plusieurs portiques de sécurité ont été installés, près de 200 policiers contrôlent les accès.

Au même moment à Paris, après quatre ans d’enquête, les juges d’instruction du pôle antiterroriste s’apprêtent à boucler le dossier des attentats de novembre 2015. Un dossier d’un million de pages, de 542 tomes. Le procès se profile et une première date est désormais envisagée. Ce sera en janvier 2021. Reste à construire une salle d'audience capable d’accueillir les 1800 victimes et proches des disparus qui se sont déjà constitués. Les travaux doivent débuter en janvier, au sein du Palais de justice de l'Île de la Cité. Reste aussi à trouver le juge qui présidera cette audience criminelle, la plus grande jamais organisée en France, annoncée comme historique. Une mission qui nécessite de l’expérience, de l’endurance, une certaine capacité à gérer la pression. "Il y avait peu de candidats vue effectivement l’énormité du dossier, se remémore Jean-Louis Périès. Je ne m’étais pas manifesté car j’étais en train de finir le procès concernant les policiers de Viry-Châtillon. Un procès où on craignait des débordements. Je n’étais pas du tout parti pour ça."

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Jean-Louis Périès, l'homme du procès des attentats du 13 novembre 2015 ©France 3 Paris Ile-de-France

"Je compte sur toi pour V13"

Jean-Louis Périès, qui a débuté sa carrière en 1981 comme juge d’instance à Aubagne, est alors âgé de 63 ans. Il est considéré par ses pairs comme un magistrat particulièrement aguerri après avoir été en charge de plusieurs dossiers délicats et médiatiques. Il y a eu, en tant que juge d’instruction, la mise en examen des époux Tiberi pour fraude électorale, puis des affaires de grand banditisme. Ou encore le sordide meurtre de la jeune Sofia, brûlée vive par son petit-ami dans un pavillon de Seine-Saint-Denis. Un curriculum vitae qui n’a pas échappé au premier président de la cour d’appel Jean-Michel Hayat qui va le solliciter. "Nous sommes en novembre, il me dit 'je compte sur toi pour V13'. Je le regarde avec des grands yeux, je ne m’attendais pas à ça." Le juge Périès va longuement soupeser la proposition, "un honneur", en consultant d'abord son entourage, conscient des risques sécuritaires que lui et les siens pourraient encourir. Des risques réels puisque le magistrat sera effectivement la cible de menaces terroristes pendant le procès. "Sur le coup, ça m’inquiète, je réfléchis. Et puis finalement je me dis que c’est bien parce que je vais pouvoir aller au fond du dossier pour tenter de comprendre pourquoi, quand et comment ces événements absolument épouvantables ont pu être décidés et mis en application par des jeunes qui sont venus tirer sur d’autres jeunes pour la plupart."

Pour préparer le procès du "V13" comme vendredi 13, surnom donné à ce procès, Jean-Louis Périès est détaché en avril 2020. Il est rejoint par deux assesseurs, les chevronnées Frédérique Aline et Xavière Simeoni. Puis par d'autres juges. Commence alors pour eux la plongée dans l’horreur des scènes de crime. Des documents qu’ils vont étudier pendant 18 mois. "C’était très dur, les descriptions et puis les photos. Il y avait des moments où il fallait que l’on s’en détache. Mais ça imprime..." Alors que la crise de la Covid a retardé les travaux de la salle d’audience, les juges s’échangent leurs synthèses et bâtissent pas à pas un planning pour ce procès prévu pour durer huit mois. "On a formé une équipe extraordinaire, très soudée, et c’est pour cela qu’on a pu arriver à terme. Il n’y avait pas que le président là-dedans."

Le 8 septembre 2021, le procès s’ouvre finalement avec quatorze accusés, des centaines de parties civiles présentes, 400 avocats. Un millier de journalistes sont accrédités. Les attentes sont immenses, l’émotion déjà palpable. "Ce que je craignais, c’était la charge émotionnelle vis-à-vis de toutes les victimes et de tous les ayants droit : 130 morts, deux suicides depuis, des centaines de victimes physiques et des centaines de victimes psychologiques très atteintes… Ce que l’on craint dans ces cas-là, c’est de perdre un petit peu de neutralité vis-à-vis des accusés, raconte le magistrat. Mais une fois rentré dans la salle d’audience, que l’on retrouve son rôle de président, je ne dirais pas qu’on oublie le risque mais cette perte de neutralité n’existe plus."

Pendant toute la durée du procès, la robe d’hermine rouge de Jean-Louis Périès, héritée de son père lui-même magistrat, sera sa protection, son armure. Chaque jour, de nouveaux problèmes se posent et il faut les régler : les incidents de procédure soulevés par les avocats, des accusés libres bloqués dans les transports, les malades… Chaque jour, le juge garde comme mantra de faire "respecter la norme" dans un procès pourtant hors norme à bien des égards. Un rôle salvateur notamment lors des six semaines de témoignages des parties civiles. A l’automne puis au printemps, près de 400 d’entre elles vont défiler à la barre, livrant des récits bouleversants, pas toujours faciles à écouter, pas toujours simples à retranscrire non plus pour les journalistes. "J’ai su que certains témoignages avaient fait pleurer des gens mais moi, je n’en n’avais d’abord pas le droit et j’avais cette espèce de protection. J’étais un peu comme dans un couloir, je regardais la personne qui était à la barre. En même temps, je regardais ceux qui étaient dans la salle, les accusés pour voir leurs réactions, le public. Donc, ça protège quelque part." A ce moment-là, le juge n’imagine pas encore l’empreinte que laissera sur lui ces dépositions, l’effet boomerang une fois la robe raccrochée. "C’est après, oui c’est après que l’on ressent le syndrôme vicariant dont a parlé le professeur Thierry Baubet pendant le procès. Les troubles du sommeil, les pensées intrusives qui reviennent, je peux aujourd’hui tout cocher… C’est étonnant."

Avec des mots d’encouragement pour chacun, avec bienveillance, le juge Périès va écouter des semaines durant les survivants du 13-Novembre, leurs proches et les parents endeuillés. "On a beau être magistrat, d’essayer de garder de la sérénité, cette émotion-là emportait tout le monde. Elle a emporté beaucoup d’accusés aussi. Certains étaient en pleurs. D’autres ont tenu à prendre la parole pour dire ce qu’ils ressentaient et franchement, ce n’était pas forcément opportuniste comme démarche, il n’y avait pas de stratégie. En tout cas, c’est ce que j’ai ressenti."

La crainte du silence des accusés

Parmi ces quatorze hommes jugés, (des Belges, Français, Tunisiens, Pakistanais ou encore Suédois), certains risquent la prison à perpétuité. Au début de l’audience, personne ne sait s’ils vont s’exprimer. Pas même le juge qui les a rencontré en prison avant le procès. Depuis son arrestation à Bruxelles le 18 mars 2016, Salah Abdeslam, le dernier membre en vie des commandos, a notamment fait du silence sa stratégie judiciaire. Douze interrogatoires sans qu’il ne livre aucun de ses secrets. D’autres, au contraire, se sont montrés très bavards lors de l’instruction. "Dans les procès de cette ampleur et vu les enjeux, je redoutais que l’un ou plusieurs d’entre eux refusent de venir ou profitent de l’audience comme d’une tribune. Mais ça n’a pas été le cas. Ils ont tous joué le jeu."

Au cours des quatre interrogatoires prévus pour chaque accusé, le franco-marocain de 31 ans continue de parler parfois, provocant, souvent maladroit. "Je l’ai laissé s’exprimer, c’était intéressant aussi. Ça nous a permis de savoir à qui on avait affaire, explique Jean-Louis PérièsPuis il a évolué. Il a coopéré. Je ne m’attendais pas vraiment à ça. Tous les accusés ont évolué même ceux qui ont refusé de s’exprimer sur le fond. Ils étaient là, ils écoutaient. On a senti qu’ils étaient concernés par le procès. Et c’est parce qu’il y a eu le temps. Cela, ça a été fondamental."

Le temps, un allié pour appréhender la complexité du dossier. Un ennemi lorsque les audiences commencent à prendre du retard. Dès le mois de décembre, les cas de Covid se multiplient. Il faut suspendre les audiences alors que des dizaines d'experts, d’enquêteurs belges et français doivent encore être entendus. "On a dit que j’étais très obnubilé par le planning. Oui, bien sûr ! On était partis pour huit mois. On est passé à neuf, puis dix. En mai, je commençais à être inquiet. Il fallait que l’on termine fin juin parce qu’après, il y avait des problèmes de personnel au niveau de la pénitentiaire, de la police et de la gendarmerie. Il fallait surtout que les accusés soient fixés sur leur sort, que les parties civiles aient une réponse. Pour les avocats, pour nous, il fallait que l’on s’arrête."

Après le réquisitoire et les plaidoiries de la défense, l’audience parvient finalement à son terme le 29 juin. A 18h, les parties civiles qui ont piétiné une bonne partie de l’après-midi place Dauphine, devant le Palais de justice, pénètrent pour la dernière fois dans la salle d’audience du "V13". Jamais il n’y aura eu autant de monde que ce soir-là. De son côté, le juge Périès et ses assesseurs eux aussi se préparent à rendre leur verdict, fébriles. 

Au début on se dit huit mois, comment on va faire pour tenir ? Et puis ça passe, c’est passé… À la fin on s’est dit "Ah, c’est terminé".

Le juge Jean-Louis Périès

Après 149 jours d’audience, les condamnations tombent : de 2 ans de prison à la perpétuité incompressible pour Salah Abdeslam, une peine rarement prononcée. "C’est fort symboliquement mais il faut savoir qu’il y a une disposition législative qui oblige le juge d’application des peines à réexaminer son cas au bout de 30 ans pour voir s’il n’y a pas lieu justement de revenir sur cette décision d’incompressibilité. C’est fort, oui, mais je crois que le 13 novembre, il s’est passé des choses très fortes aussi."

Ce verdict n’a pas été frappé d’appel. A la surprise du magistrat. Puis il y a eu l’arrêt civil du 25 octobre avec cette dernière décision : la reconnaissance comme victimes d’actes de terrorisme les habitants de l’immeuble de Saint-Denis où s’était déroulé l’assaut du Raid. Une décision venue clore définitivement le procès des attentats du 13 novembre 2015 et qui a également sonné l’heure de la retraite pour Jean-Louis Périès. "Il y a un grand soulagement d’avoir mené le bateau à son port. Une grande satisfaction d’avoir fait œuvre de justice pour arriver jusqu’au bout parce qu’il y en a eu beaucoup qui en doutaient."

Le magistrat avoue un seul regret, celui que certains des accusés qui étaient très impliqués ne se soient pas exprimés. "On n’a pas eu de réponses sur les faits, sur leur participation, leur implication. Du coup, ça ne nous permis pas d’aller jusqu’au bout dans la compréhension de leurs actes." De retour à l’anonymat et à la liberté de mouvement après avoir vécu pendant un an sous la protection de gardes du corps, Jean-Louis Périès n'en n'a pas totalement terminé avec cette histoire. "C’est des choses qui nous ont marqué et qui vont nous marquer à vie. Comme on rentre là-dedans, on y pense chaque nuit. Voilà, je peux en témoigner encore." 

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