Kamal Haussmann et l’époque bénie du rap des années 90

Il a la quarantaine et a fait partie du légendaire crew de rappeurs parisiens "Time Bomb". Parmi ses proches : Booba, Oxmo Puccino ou encore Lunatic. "Time Bomb" c'est aussi le nom du livre de Kamal Haussmann qui raconte le parcours d’une partie de la jeunesse des quartiers populaires sous Chirac.

Salut Kamal ! Tu peux nous parler de ton livre ?

Kamal Haussmann : Ce livre, c’est l’histoire de ma vie. Plutôt que de faire un travail journalistique pour raconter le rap de cette époque-là, je me suis dit qu’il était plus intéressant de raconter mon histoire car elle permet de rentrer dans l’envers du décor de cette scène. C’est une immersion dans les premières années du rap des 90's, la deuxième génération du rap français.

Qu’est-ce qu’on fait ici ?

Kamal Haussmann : On est à Ménilmontant parce que c’est un quartier où on a passé beaucoup de temps à écrire, à décortiquer le rap et à pondre des titres qui, dans la tête de beaucoup de gens, sont devenus mythiques. Avec mon groupe, les Jedi, on se réunissait chez Ill, membre des X Men, en compagnie de Oxmo Puccino et Booba. On y composait ces titres qui, pour nous, étaient une vraie échappatoire. On écrivait à longueur de journée.

Ça t’évoque quoi, de remonter la rue de Ménilmontant ?


Kamal Haussmann : Je l’ai fait un bon millier de fois. Être ici, ça me rappelle tellement souvenirs ! J’avais quatorze ans, je portais un baggy et j’étais convaincu qu’on allait révolutionner la musique. C’est pour ça qu’une grosse partie du livre se déroule à Ménilmontant.

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Parle-nous de Time Bomb, le collectif cette fois-ci.


Kamal Haussmann : Time Bomb est un collectif de rap des années 90 qui réunissait plusieurs groupes et artistes : les Jedi, dont moi et mon frère étions les plus jeunes, Pit Baccardi, Oxmo Puccino, les Lunatic et les X Men. Cette écurie a complètement révolutionné le rap en apportant une nouvelle manière de rapper en France : en s’inspirant du rap américain, on a mis l’accent sur la technique. On voulait que notre musique sonne comme la musique anglophone, alors on sélectionnait nos mots français pour qu’ils aient la bonne sonorité. Ça a tout de suite plu au public français, parce que les gens écoutaient déjà du rap américain.

Vous rêviez d’Amérique ?

Kamal Haussmann : On était tellement branchés rap U.S qu’on rêvait d’aller aux États-Unis. J’ai eu la chance d’y faire un voyage avec mon pote Étienne, le petit frère de Ill. C’était un vrai choc culturel, la France faisait office de petite province à côté. On a halluciné, d’autant plus que le rap y passait beaucoup en radio, c’était hyper démocratisé. Il y avait des affiches gigantesques sur les buildings pour annoncer des sorties d’albums. Quand j’ai vu tout ça, j’ai su que je voulais devenir rappeur. C’était trop cool.

Vous avez pu explorer la scène rap new yorkaise ?

Kamal Haussmann : Pendant le voyage, on a appris que les membres du mythique Wu Tang Clan donnaient un concert gratuit dans leur quartier d’enfance. Et en bons fanatiques, on a totalement ignoré le fait que Staten Island était un ghetto. Plus on s’en rapprochait, plus on comprenait qu’on s’embarquait dans un joyeux bourbier. Avec Étienne, on s’est regardés et on a su que ça allait être chaud. Au concert, on était aux anges : on a vu Method Man, tous les membres du Wu Tang… Mais après trente minutes de concert, des coups de feu ont résonné derrière nous et tout le monde s’est mis à courir. On se serait crus dans un clip [rire]. J’en ris aujourd’hui, mais sur le moment c’était quand même assez flippant. Et, cerise sur le gâteau, une fois parvenus à la station de bus pour rentrer chez nous, on s’est fait braquer par des gamins du coin pour nos chaînes.

Parle-nous de « Time Bomb explose ! », le morceau mythique du collectif.

Kamal Haussmann : « Time Bomb explose ! », pour moi, c’était un enregistrement assez mémorable. On voulait impressionner, prouver aux autres membres du collectif qu’on était meilleurs qu’eux avant même de vouloir impressionner le public. Autant que possible, on voulait enregistrer en one shot, pour montrer qu’on était tellement bons qu’on avait besoin d’une seule prise pour enregistrer notre texte. C’était une forme de concurrence saine qui régnait au studio. Une fois le morceau fini, on savait qu’on tenait quelque chose qui allait marquer les esprits.

Tu peux nous raconter l’histoire de « Le crime paie », le morceau qui a fait exploser les Lunatic ?

Kamal Haussmann : Booba et Ali ont enregistré « Le crime paie » pour la compilation Hostile Hip Hop. C’était la première occasion que nous donnait l’industrie du disque de nous faire entendre. Il fallait frapper fort, alors ce sont eux qui ont été sélectionnés puisqu’ils avaient déjà fait pas mal de bruit en radio. On savait que c’était l’occasion de rentrer dans l’histoire, tout le monde était hyper concentré et on peut dire que les Lunatic ont fait le boulot : ils ont sorti un passe-passe d’anthologie, Booba et Ali se donnant la réplique tout au long du morceau. Au moment de l’enregistrement, on avait déjà conscience qu’ils tenaient un titre qui allait rentrer dans l’histoire. Ils n’avaient pas d’idée de refrain, alors ils nous ont demandé de les aider et chacun a pris un stylo et commencé à se creuser la tête. Il me semble que c’est Oxmo qui a été le plus rapide et qui a trouvé ce refrain qu’on connaît tous. Après ça, c’était dans la boîte.

Vous aviez vraiment conscience de ce que ce morceau allait lancer ?

Kamal Haussmann : On sentait qu’on écrivait une page de l’histoire. La preuve : par la suite, Booba a eu le destin qu’on connaît tous.

Tu peux nous lire un passage de ton livre ?

Kamal Haussmann : « Aujourd’hui, mon père a tenté de me tuer. J’ai quelques jours et ma mère rentre de la maternité. Je suis frêle, pas vraiment beau. « Comme la plupart des nouveau-nés » tu me dirais, si tu étais honnête. […] Complètement fou de rage, mon père a décidé de me massacrer. Il ne veut pas de moi dans sa vie, donc il veut prendre la mienne. La violence est au moins autant psychologique que physique. Voici mes premières heures sur Terre. Installe-toi confortablement, je vais te raconter mon histoire. »

Qu’est-ce que le rap représente, dans ta vie ?

Kamal Haussmann : Rencontrer le rap, ça m’a sauvé la vie. C’est aussi pour ça que j’ai écrit ce livre : il m’était insupportable d’entendre inlassablement les mêmes critiques que l’on connaît tous, au sujet d’un art qui nous a sauvés. Je dis « nous » parce qu’on est beaucoup dans mon cas. Des gens qui, grâce à cette discipline, ont trouvé un sujet sur lequel travailler et se concentrer en oubliant leur réalité difficile. Un art qui a même évité la délinquance à certains. Pour moi, ça en fait une musique noble.

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