Depuis septembre dernier, la compagnie théâtrale gestionnaire du Lavoir Moderne Parisien est sommée de quitter les lieux par son bailleur social. Incompréhensible pour ses membres, alors que la mairie de Paris avait préempté le théâtre il y a deux ans.
"On joue notre peau." Pour Julien Favart, co-directeur de la compagnie Graines de soleil, le devenir du théâtre du Lavoir Moderne Parisien est incertain. Depuis septembre dernier, la troupe, en charge de ce théâtre du quartier de la Goutte d'Or dans le 18e arrondissement de Paris depuis 2014, est menacée d'expulsion par son bailleur social, Habitat Social Français (HSF), qui n'est autre qu'une filiale de la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP).
Une mauvaise surprise pour la compagnie qui a comme un goût de bis repetita. "En 2020, nous avions déjà eu une procédure similaire. La mairie de Paris avait alors décidé de préempter les lieux pour sauver le théâtre de la destruction. Depuis, la ville est propriétaire des murs, mais c'est Habitat Social Français (HSF) qui est notre bailleur social", explique Julien Favart.
Selon la compagnie, qui a décidé de lancer une pétition en réponse à cette menace d'expulsion, la mairie chercherait à leur faire avaler des couleuvres. "La Ville nous dit assurer la médiation avec le bailleur, alors qu'HSF est une filiale de la Régie immobilière de la ville de Paris .(RIVP). Cette posture n'est pas tenable." La Ville quant à elle estime qu'il ne lui revient pas "d'intercéder dans le présent litige".
Le bail, à l'origine du différend
Habitat Social Français (HSF) demande depuis plusieurs mois à Graines de Soleil de renoncer à son bail pour lancer un appel à manifestation d'intérêt (AMI) qui décidera du nouvel occupant. "On a demandé à la Ville quelles garanties nous avions de remporter cet appel à projets. Ils nous ont dit que nous n'en avions aucune, mais qu'il n'y avait pas de raison que nous ne le remportions pas", explique Julien Favart. "Difficile de faire confiance dans ces conditions-là."
Contactée, la mairie se défend et avance l'ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, qui conduit la Ville à "soumettre à une mise en concurrence l’octroi des titres d’occupation du domaine public, en vue d’une exploitation économique", afin de faire respecter l'"égalité de traitement entre les acteurs culturels parisiens".
Pour maître Philippe Péricaud, avocat de Graines de soleil, cet argument n'est pas recevable. "HSF n'a pas à demander à renoncer au bail pour être en règle avec la loi. L'ordonnance de 2017 qui dispose de la mise en concurrence ne s'applique que lorsque les locaux sont vacants." Avant de poursuivre : "HSF considère que le bail commercial a expiré, or tant qu'une décision de justice n'a pas été prononcée, il est toujours valide."
La compagnie, intégrée dans le tissu local
Pour les dix salariés du théâtre du LMP, la bataille pour se maintenir dans les lieux répond avant tout à un enjeu humain, social et culturel. "Nous sommes un théâtre 'tremplin' qui œuvre à l'émergence de nouvelles compagnies et de nouvelles écritures", raconte Julien Favart, qui est également comédien.
Dans ce quartier prioritaire de la Goutte d'Or, le Lavoir Moderne Parisien est le seul théâtre. "Nous sommes garants de la continuité au niveau local. Nous travaillons beaucoup avec les diasporas et sur la francophonie, en partenariat avec les associations de quartiers."
Un rôle important que la Ville ne nie pas: "Le travail d'implantation territoriale et de soutien aux compagnies émergentes réalisé par Graines de Soleil n’a jamais été remis en question", précise-t-elle.
Quel avenir ?
La question du devenir de la compagnie, au sein de cet ancien lavoir, se pose désormais. Même si David Belliard, adjoint à la mairie de Paris et président de la RIVP, assure qu'il y un "consensus politique sur le fait que Graines de soleil doit rester au théâtre du Lavoir Moderne Parisien".
Selon l'élu en charge de la Transformation de l'espace public, une réunion serait "en cours de calage" afin de "chercher une solution par le haut". Toutefois, si les deux parties ne conviennent pas d'un accord au moment de la médiation, il reviendra au tribunal judiciaire de Paris de délibérer.
Une procédure longue qui devrait encore prendre deux à trois ans, selon maître Philippe Péricaud. Deux à trois ans, avant que la compagnie Graines de Soleil ne baisse définitivement le rideau ?