Alors que la Grande Galerie de l'Évolution du Muséum fête les 30 ans de sa réouverture ce week-end, comment les collections d’animaux naturalisés sont-elles créées, stockées et réparées au fil du temps ? Yeux en verre, scalpels, pinceaux… Reportage au sein des ateliers de taxidermie.
Derrière une porte de l'immense nef où sont exposés les girafes, les félins et les rhinocéros de la Grande Galerie de l'Évolution du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), se cachent les ateliers de taxidermie. C’est dans ces locaux que sont créés les mammifères, les reptiles, les amphibiens, les oiseaux ou encore les insectes naturalisés.
Bœuf musqué, coati, tatou, mérione (un genre de petit rongeur)... Aux côtés des outils utilisés par l’équipe de quatre taxidermistes, des spécimens sont postés aux quatre coins des pièces. Sur une étagère, les oreilles d’un lapin en cours de naturalisation sont encore en train de sécher.
"L’un des aspects du métier, c'est la création des montages pour les expositions", explique Isabelle Huynh Chan Hang. Pas grand-chose à voir avec des chimères de cabinet de curiosités : "Une chimère, c'est une création artistique, sans but de recherche. Au Muséum, on va vraiment essayer de garder au plus possible l'aspect réel que l’animal avait à l'origine. On met les spécimens dans des poses naturelles, selon les demandes des responsables scientifiques."
Si elle est taxidermiste depuis cinq ans, Isabelle Huynh Chan Hang travaille au MNHN depuis 15 années. "J'ai eu un parcours assez atypique, raconte-t-elle. J'ai commencé en tant qu'agent d'accueil à la ménagerie du Jardin des plantes, puis j’ai été assistante de direction à la présidence du Muséum. J’ai ensuite été formée en interne pendant un an et demi pour devenir taxidermiste. Je voulais travailler avec mes mains et revenir à mes premiers amours, j'ai une formation en maquillage artistique et effets spéciaux."
"Donner l’apparence du vivant passe surtout par le regard"
Au menu du jour : la restauration d’un jeune flamant rose (dont les plumes sont encore blanches). Le volatile, exposé depuis 30 ans, doit retourner en réserve. Après avoir "repéré les dégâts" et revissé des boulons au niveau des pattes de l’oiseau, Isabelle Huynh Chan Hang commence par réparer "une petite déchirure" en haut d’une patte - une "altération" liée à la climatisation.
"Je comble avec du papier et de la colle en rembourrant la fente puis je remets les plumes comme il faut, ni vu ni connu. C'est un peu du maquillage ou du camouflage au final", décrit-elle.
La taxidermiste brosse aussi l’ensemble de l’animal, et dépoussière ses yeux à l’aide d’un coton-tige. "Avec la poussière, les yeux en verre perdent en brillance et deviennent ternes, détaille-t-elle. Donner l’apparence du vivant passe surtout par le regard, c’est très dur à retranscrire. C'est la première chose qu'on fixe en observant un animal. S’il y a un léger strabisme, on le repère tout de suite. Ça demande beaucoup de travail."
Isabelle Huynh Chan Hang en profite également pour "recoiffer" le flamant rose, en redressant les plumes une à une avec une pince.
Munie d’une palette et de plusieurs pots de peinture, la taxidermiste doit maintenant faire face à la "perte de teinte". A l’aide d’un pinceau, elle recolorise le bout du bec en noir, avec "une sorte de dégradé", le contour des yeux en blanc, et pour finir les pattes "après avoir fait ressortir les reliefs avec une brosse".
Le tout en s’inspirant de photos du spécimen dans son environnement : "On s'alimente beaucoup des images et des vidéos. On essaie vraiment de s'approprier l'animal en l'observant, pour pouvoir le retranscrire."
Au total, la restauration d’un oiseau de cette taille prend environ une après-midi, indique Isabelle Huynh Chan Hang. "En moyenne, on travaille sur une dizaine de spécimens par semaine", résume-t-elle.
"Pour faire ce travail, l'essentiel c'est d'aimer les animaux"
Au sein des ateliers, on trouve aussi une salle de stockage, "pour les animaux en attente de départ". Perroquet, pigeon, chouette, canard, poussin, marcassin… Si la plupart des montages sont conservés en bon état, on observe une grue couronnée au plumage détruit par les mites, conservée ici "à titre d’exemple". "Les problèmes liés aux mites, qui sont ramenés par le public, sont très fréquents. C’est l’ennemi numéro 1", raconte la taxidermiste.
On trouve aussi la forme d’un wallaby. "C’est de la mousse expansive, qu’on resculpte avec les dimensions qu’on prend sur l'animal avant de le décharner, décrit-elle. On reconstitue ensuite le mannequin, puis on le rhabille. L’autre technique, traditionnelle, c’est de rembourrer les spécimens avec de la fibre de bois et de la filasse - d’habitude utilisée en plomberie."
"Pour la recherche, on fait aussi des mises en peau, note d’ailleurs Isabelle Huynh Chan Hang. Ce sont des préparations qui ne sont pas destinées au public, mais pour la recherche. On met les animaux en position longiligne avec simplement du coton dans les yeux. Ça sert pour les prises de mensuration et les études scientifiques."
En face des stocks, une salle accueille des frigos remplis d’animaux dont les corps sont préservés dans des sacs plastiques, en attendant leur naturalisation. "Souvent les spécimens viennent de centres de soin, de parcs zoologiques, de réserves naturelles… On nous prévient lorsqu'il y a des décès", précise-t-elle.
Si la taxidermie peut sembler morbide pour certains, Isabelle Huynh Chan Hang souligne que "pour faire ce travail, l'essentiel c'est d'aimer les animaux". "On fait ce métier pour les préserver et les faire perdurer le plus possible. Mais aussi pour essayer de montrer aux jeunes et aux générations futures comment bien les connaître et les protéger", ajoute-t-elle.
Au total, 9 000 spécimens d'animaux naturalisés sont exposés au sein de la Grande Galerie de l'Évolution. A l’occasion des 30 ans de sa réouverture, l'espace propose un week-end de festivités gratuites ce samedi 23 et ce dimanche 24 mars.