Situé à deux pas de la Butte Montmartre, le city-stade des Abbesses est la source de grosses tensions entre des familles de résidents d’une part et des jeunes amateurs de foot de l’autre. Un symbole de la gentrification à Paris.
Le terrain de foot ne mesure que 40 mètres carrés et pourtant, il divise tout un quartier. Situé dans un coin à l’ombre du jardin Burq, dans le 18e arrondissement, le city-stade des Abbesses était il y a encore quelques jours menacé de fermeture. Et ce, quelques mois à peine après son ouverture lors de la dernière rentrée scolaire, après 30 000 euros de travaux.
D’un côté, l’espace fait un tabac auprès des jeunes. « On passait déjà tous les jours avant qu’il y ait le city-stade, raconte Yanis, venu avec trois de ses amis. On s’asseyait, on parlait, on mangeait ici entre les cours… Maintenant on s’ennuie moins, on en profite pour faire un foot entre potes. Mais dès qu’on a commencé à jouer sur le terrain, on a appris qu’il risquait d'être démantelé. »
Si sur les quatre lycéens, un seul réside dans la capitale (les trois autres habitent en banlieue de Paris), tous sont scolarisés dans un établissement du quartier et vivent ici au quotidien.
A quelques pas des cages, on trouve dans le square une aire de jeux pour enfants et, tout autour, une série d’habitations. C'est de là que naît visiblement le problème : d’après certaines familles, les parties de foot – qui s’enchaînent parfois en pleine nuit – sont devenues presque insupportables. Evoquant des nuisances sonores et des incivilités, plusieurs résidents ont même décidé de lancer une pétition contre le city-stade.
Vikash Dhorasoo, engagé pour défendre le terrain
Mais le terrain a aussi ses défenseurs, comme Vikash Dhorasoo. Passé au fil de sa carrière par le PSG et l’équipe de France, et aujourd’hui installé dans le 18e arrondissement, il a lancé en riposte une seconde pétition pour protéger le projet.
Le terrain de foot des Abbesses ne mesure que 40 mètres carrés. Pourtant, il divise tout un quartier à Montmartre et risquait même de fermer il y a encore quelques jours. Un symbole de la gentrification à Paris. ► https://t.co/xMQVK00utD pic.twitter.com/qyPxU9v50b
— France 3 Paris (@France3Paris) 22 avril 2019
D’après lui, le débat en cours reflète le phénomène de gentrification – d’embourgeoisement, pour faire simple – que vit en ce moment la capitale.
« Nous, on ne va pas dans les bars, on n’a pas les moyens d’aller dans les restaurants »
« Les gamins m’ont dit : "Nous, on ne va pas dans les bars, on n’a pas les moyens d’aller dans les restaurants, ni d’aller faire les magasins", se rappelle l’ancien professionnel. Donc c’est important d’avoir un lieu gratuit et libre d’accès, qui permette de faire du sport. L’entre-soi existe : on a peur du changement, on a peur de perdre ses habitudes... Il faut réussir à ce que tout le monde cohabite au même endroit, il ne faut pas cloisonner parce qu’il y a des problèmes. Et le square appartient à tout le monde, ce n’est pas la propriété réservée des gens qui vivent autour. »
Dans le jardin, les échanges sont parfois très tendus. La preuve au cours de notre reportage : en à peine une demi-heure passée sur place, Vikash Dhorasoo s’est fait interpeller à deux reprises par des mères de famille, poussette en mains. La première reprochait à l’ex-footballeur son engagement politique pour La France Insoumise, en l’insultant entre autres de « guignol ». Toujours d’après elle, l’homme exploiterait son image médiatique pour s’approprier le débat.
« Nous, on habite ici. »
La seconde mère de famille, qui soupçonnait les jeunes assis sur les bancs derrière nous de « fumer du shit à côté des enfants », a décidé de braquer l’objectif de son téléphone sur l'ex-athlète le temps de l’interview. Le tout, avant de conclure auprès des lycéens : « Laissez-nous tranquilles. Nous, on habite ici. »
Parmi les usagers du square, rares sont ceux à se montrer aussi agressifs. « Je comprends pour le dérangement, le bruit et les cris, explique Nathalie Hudson, une enseignante du quartier. En même temps, les enfants ont besoin d’endroits où se défouler, il faut aussi en tenir compte. Il faut juste que tout cela soit plus surveillé et encadré. »
Katya Albiro, une Brésilienne venue apprendre le français à Paris, partage une position similaire : « Ça ne me dérange pas. Je viens bouquiner ici depuis quelques jours, je n’ai jamais eu aucun problème. Le sport, c’est bien pour les jeunes. »
« Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait un dialogue très fort entre les deux camps »
Les jeunes comme Yanis décrivent, eux, des « relations normales » la plupart du temps : « Ça nous arrive même de discuter et de rigoler avec des personnes âgées. De toute façon, on reste en général à l’écart des jeux pour enfants, on ne cherche pas à embêter les gens. »
Du côté de la mairie, la question du city-stade a été difficile à trancher. « Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait un dialogue très fort entre les deux camps », avoue Eric Lejoindre (PS), le maire du 18e arrondissement.
Après plusieurs réunions, le terrain devrait rester en place et de nouveaux jeux pour enfants devraient être installés, avec une présence adulte renforcée. « Dans tous les cas, on continuera à venir ici, explique Yanis. Si le city-stade était déplacé, on ne pourrait juste plus jouer au foot. »