Pour les personnes handicapées ou en perte d'autonomie, l'absence ou la panne d'ascenseur est synonyme de rupture du lien social et d'inégalités d'accès aux droits. Et notamment au droit de vote. Pour pallier ce problème, certains n'ont pas d'autres choix que de faire appel à des entreprises privées.
Depuis dix jours, impossible pour Benjamin Duguit de sortir de son appartement. La raison ? Son ascenseur est en panne. Pour ce père de famille, en fauteuil roulant depuis près de dix ans, ce confinement forcé est très difficile à vivre. "À cause de cette panne, je ne vais pas pouvoir aller au spectacle de fin d'année de mes enfants. Quant au boulot, je ne peux plus y retourner donc je dois tout faire à distance, comme au temps du Covid", déplore ce cadre travaillant dans une banque.
À ces désagréments s'en ajoute un autre, celui du vote. "J'étais inquiet de ne pas pouvoir aller voter au premier tour des élections législatives de dimanche, confie le quadragénaire, qui ne peut même pas voter par procuration. Une fois la demande en ligne faite, il faut se rendre au commissariat pour faire vérifier son identité. Chose impossible pour moi actuellement."
Des pannes répétées et un manque d'accessibilité générale qui l'ont poussé à quitter Paris pour Levallois-Perret. "En France, tant qu'on n'est pas sur un fauteuil, on ne réalise pas le nombre de renoncements qu'il faut faire. J'accepte de ne pas faire certaines choses non-essentielles, mais là, de me dire que je ne vais pouvoir sortir de chez moi pendant six semaines, c'est compliqué à accepter", déclare-t-il, amer.
Un accès inégal aux droits
Malgré ses inquiétudes, ce Levalloisien va pouvoir se rendre aux urnes dimanche. Mais pour cela, il a dû faire appel à une entreprise privée. "Depuis cinq ans, nous proposons des solutions sécurisées aux personnes handicapées ou en perte d'autonomie, dépourvues d'ascenseur ou dont l'ascenseur est en panne", explique Fouad Ben Ahmed, le président de Solutions AMV.
"Les personnes en fauteuil, en déambulateur ou en béquilles, qui ne sont pas en capacité de descendre seules de chez elles, ne peuvent pas faire valoir leurs droits civiques pour aller voter. Ils ne peuvent pas aller au travail ou chez le médecin, certains enfants sont dans l'incapacité d'aller à l'école", regrette Fouad Ben Ahmed, également co-fondateur du collectif Plus Sans Ascenseurs.
"Tout cela engendre des gros problèmes d'accès aux droits élémentaires, donc notre objectif est de dire que ces situations-là existent, et de trouver des moyens pour financer ces interventions", poursuit-il.
Pour se rendre aux urnes dimanche, Benjamin Duguit aurait dû débourser au minimum 160 euros pour une assistance privée. Dont pas un centime n'aurait été remboursé. Finalement, ses frais seront totalement pris en charge, grâce au partenariat entre Solutions AMV et l'APF France Handicap.
100 millions de déplacements quotidiens
Grâce à ses monte-escaliers électriques, les équipes de Solutions AMV vont pouvoir permettre à deux Franciliens d'aller voter dimanche. L'entreprise, qui enregistre près de 10 000 interventions partout en France, a également été contactée par une mairie du Val-de-Marne, dont le bureau de vote est au premier étage et l'ascenseur est en panne.
Avec 100 millions de trajets par jour en France, l'ascenseur est le premier moyen de transport public au monde. Loin d'être anecdotique, son accessibilité et son bon fonctionnement sont voués à devenir des enjeux de santé publique, dans une société vieillissante où 50% de la population aura plus de 65 ans en 2040.
"Il n'y a pas d'autonomie pour les personnes dépourvues d'ascenseur. Il faut mettre en place des dispositifs pour garantir aux personnes à mobilité réduite le respect de leurs droits fondamentaux", argue Fouad Ben Ahmed, pour qui ce mode de transport de proximité est aussi important que les autres. "S’il n'y avait plus de RER, personne ne dirait 'C'est comme ça!'. On mettrait des bus à disposition pour desservir les gares. Pour les ascenseurs, c'est pareil. Il y a toujours des solutions supplétives."
Pour Dorian Dreuil, co-président de l'ONG A Voté, la modernisation des opérations de scrutin est indispensable pour permettre à tous les citoyens de se rendre aux urnes : "Il faut aller vers ce qu'on peut appeler les oubliés de la démocratie. [...] Il faut finalement inverser un peu la charge de la responsabilité, ne plus dire : 'on ouvre des bureaux de vote et vous n'avez qu'à venir'. Mais plutôt construire une autre démarche qui est de mettre tout en œuvre pour que chaque citoyenne ou citoyen puisse user de son droit de vote."