Dans un courrier daté du 17 avril adressé au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, Mme Simonnot, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, dénonce un "recours massif" par les forces de l'ordre à des interpellations et gardes à vue "préventives" à Paris lors des manifestations contre la réforme des retraites. Le préfet de police de Paris réfute ces accusations.
Dominique Simonnot dénonce "des atteintes graves aux droits fondamentaux". "Certains agents, écrit-elle, avaient eu pour "consignes et ordres hiérarchiques d'interpeller sans distinction" toute personne se trouvant dans un secteur ou un autre de la capitale".
>Le rapport complet du contrôleur général des lieux de privation
Dans sa réponse en date du 2 mai, consulté par l'AFP, Gérald Darmanin fait valoir que la contrôleure "excède ses compétences, notamment lorsqu'elle dénonce une instrumentalisation des mesures de garde à vue à des fins répressives".
Dès le début de la contestation de la réforme des retraites, associations, partis politiques, magistrats et avocats ont dénoncé des "interpellations préventives" lors des manifestations. Le 21 mars dernier, la Défenseure des droits Claire Hédon s'était elle aussi alarmée de ces interpellations.
A plusieurs reprises, le préfet de police de Paris Laurent Nuñez s'est inscrit en faux contre ces accusations : "les interpellations préventives, ça n'existe pas".
>Le courrier du 17 avril adressé au ministre de l'Intérieur.
Conclusion accablante
Au regard des "très nombreuses interpellations", Mme Simonnot explique avoir "diligenté en urgence des visites dans certains locaux de gardes à vue de Paris". C'est ainsi que "les 24 et 25 mars, trois équipes de contrôleurs ont visité neuf commissariats parisiens pour contrôler les conditions de prises en charge des personnes interpellées" et "s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux".
La conclusion de ces contrôles est accablante, Mme Simonnot faisant état "d'atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes enfermées". D'une part "en raison des conditions matérielles de prise en charge dans certains locaux" et d'autre part du fait "du nombre important de procédures conduites en méconnaissance des normes et principes qui régissent la procédure de garde à vue, voire, dans certaines situations, en violation des textes applicables".
"80 % des procédures sont classées sans suite"
Elle dénonce ainsi des "irrégularités dans les documents relatifs à l'interpellation et l'indigence des éléments permettant de caractériser l'infraction ou la tentative d'infraction en cause". "Ces carences, affectant les documents de procédure, ajoute-t-elle, sont particulièrement alarmantes."
La contrôleure note en outre qu'alors que "80 % des procédures sont classées sans suite une fois opérée le contrôle de l'autorité judiciaire, la minorité des personnes déférées (...) quitte le tribunal libre".
Le ministre conteste le raisonnement de Mme Simonnot en faisant valoir que la recherche de preuves pour établir la responsabilité individuelle lors de "scènes collectives de violence" est "souvent entravée par les mis en cause rompus aux techniques d'enquête". Pour lui, le fait que l'autorité judiciaire considère ensuite les infractions "comme insuffisamment caractérisées" ne signifie "nullement une absence d'infraction initiale".
Les arrestations préventives pointées du doigt
Mme Simonnot considère que les "instructions données par la préfecture de police et le parquet de Paris notamment (...) révèlent un recours massif, à titre préventif, à la privation de liberté à des fins de maintien de l'ordre public".
Ces arrestations préventives sont également dénoncées par l'avocat Arié Alimi. "On ne peut pas interpeller, nasser des gens et les placer en garde à vue sans qu'ils aient commis la moindre infraction. Les éléments de l'infraction doivent être constatés au moment où la personne est interpellée et placée en garde à vue", explique l'avocat de l'ex-comédien et ancien syndicaliste Xavier Mathieu, libéré ce mercredi après avoir été arrêté de manière préventive lors des manifestations du 1er-mai.
Pour la contrôleure générale, "cette approche du maintien de l'ordre révèle non seulement une instrumentalisation des mesures de gardes à vue à des fins répressives mais également un dévoiement du rôle de l'autorité judiciaire dont le rôle (...) n'est pas de garantir la sécurité juridique des mesures de police, a fortiori lorsqu'elles sont sciemment prises en méconnaissance de la loi".
"C'est totalement faux", a réagi le préfet de police de Paris
Interrogé sur ce mercredi matin sur Cnews, le préfet de police, Laurent Nuñez a réagi : "Je ne passe aucune instruction de procéder à des interpellations préventives"."Je me sens insulté, offensé, quand j'entends dire ça", a-t-il ajouté, en assurant que la seule consigne qu'il donnait à ses effectifs était de "faire cesser des infractions".
Source AFP