Méliès enfin un musée à sa mesure à découvrir avec des yeux d'enfants et un esprit ludique Cinémathèque française Paris

La légende prétend que cet homme est fait de l'étoffe dont on fait les rêves. Nous sommes donc partis à la redécouverte du premier magicien du cinéma, de Paris à Montreuil pour arriver au temple du 7ème art, la Cinémathèque. Ouverture d'un nouvel espace, un musée entièrement dédié à Georges Méliès.

Selon le cinéaste américain Martin Scorsese : "On descend tous de Méliès !". Et l’image de l’obus pénétrant dans l’œil de la Lune est désormais gravée dans la mémoire collective. Est-il pour autant inutile de présenter l'homme aux 520 films (mais dont seule la moitié a pu être reconstituée) ? Sans aucun doute oui -  car il reste toujours quelque chose à découvrir dans sa foisonnante filmographie, dans ses techniques inventives ainsi que dans sa tumultueuse vie.

Rendez-vous donc à La Cinémathèque française à Paris Bercy (12e), pour retrouver une collection de plus de 300 machines, costumes, dessins, maquettes et 150 photographies de l’époque. Et aussi à Montreuil (93), pour des ciné-balades qui permettent une première approche sur les traces du cinéaste. Des livres, des documentaires et même des podcasts sont également désormais disponibles pour découvrir ce magicien précurseur des effets spéciaux - bien avant ceux de Tik Tok.

Plus de 80 ans se sont écoulés depuis la mort de Méliès. De nombreux cinéastes le voient toutefois encore comme une "source d’inspiration formidable" dixit Christopher Nolan (Inception). Georges Lucas (Star Wars) quant à lui revendique clairement sa filiation au "père de tout ce que nous faisons aujourd’hui en effets spéciaux”, comme on peut le lire sur les murs du nouveau musée consacré à Méliès (1861-1938). Et nombreux sont les réalisateurs à lui avoir rendu hommage, comme Martin Scorsese dans Hugo Cabret  en 2011. Et plus nombreux encore sont ceux qui lui furent redevables : de James Cameron (Avatar) à Peter Jackson (Le Seigneur des Anneaux), en passant par Fritz Lang (Metropolis) ou Jacques Demy (Peau d’âne) ; sans oublier ceux qui se revendiquent de son surréalisme cinématographique - Cocteau (La Belle et la Bête) et Franju (Les yeux sans visage), de ses bricolages sensationnels - Michel Gondry (La Science des Rêves), Jean-Pierre Jeunet (Amélie Poulain) et Wes Anderson (L'ile aux chiens), et les blockbusters de l'enfance de Steven Spielberg (E.T.), Guillermo del Toro (La forme de l'eau), ou Tim Burton (Edward aux mains d'argent). Autant de cinéastes qui se sont tous, un jour, revendiqués de Méliès. 

Une sacré bonne nouvelle

Alors l'idée géniale de la Cinémathèque française est très simple mais encore fallait-il y penser : raconter l'histoire du cinéma en prenant comme fil conducteur l'oeuvre même produite par Georges Méliès. Fière de son immense collection d’objets (affiches, photographies, costumes, appareils, etc.) qui ont marqué le septième art, la Cinémathèque réinvente un parcours ludique et merveilleux répartis sur plus de 800 m² et deux étages. Le musée nous invite ainsi à entrevoir ses plus beaux trésors primitifs : les lanternes magiques, les automates, le Kinétoscope d’Edison, et sa riche collection des débuts du cinématographe : la première caméra de Méliès bien évidemment, sans oublier celle des frères Lumière (une trois-en-un : caméra, tireuse, projecteur réunis dans une seule machine), mais aussi le mythique robot de Metropolis, le storyboard culte de la séquence d’ouverture du premier Star Wars et tant d’autres. De quoi réjouir et émouvoir tous les amateurs de cinéma, car il est possible de visionner ses œuvres les plus connues, et de redécouvrir le plaisir que le cinéma était à ses débuts : un art forain. Le musée de Georges regorge également de trésors, de dessins préparatoires, de maquettes, de costumes, d’affiches. On peut même actionner certaines machines et découvrir ce qu'est l'effet Méliès, comme le raconte le magazine des Inrocks lors d'une visite avec Laurent Mannoni, le directeur scientifique du patrimoine de la Cinémathèque.

Une collecte au fil des décennies augmentée d'autant d'objets précieux qui rappellent le génie précurseur d’un magicien pas comme les autres, grâce au fond Méliès, légué en 2004 par ses descendants : tel le manteau du professeur Barbenfouillis du Voyage dans la lune, et des objets magiques uniques comme l’armoire du Décapité récalcitrant, ou encore le Carton Fantastique de Robert-Houdin. Madeleine Malthête-Méliès, la petite-fille du cinéaste, qu'il a élevée, a participé activement à la fondation de la Cinémathèque française avec Henri Langlois. Le bilan de 60 ans de ses recherches dans le monde entier, ce sont 200 films ramenés en France (en 35 et en 16 mm). Pour en savoir plus, n'hésitez pas à lire sur le site suisse du magazine numérique Bilan, la lettre éclairante de Anne-Marie Malthête-Quévrain, la fille de Madeleine.

Edison et les frères Lumière ont fait des images animées, Méliès a fait du cinéma.

Guillermo del Toro

Plutot que de reprendre la fabrique de chaussures de luxe familiale située à Paris, Méliès préfère devenir magicien, et fonde le théâtre Robert-Houdin. Avec Alice Guy, la première réalisatrice de l'Histoire du cinéma, dont il reconnait s'être inspiré de son film La Fée aux choux, il est de celles et de ceux qui assistent aux premières présentations de la nouvelle invention des frères Auguste et Louis Lumière à Paris : le Cinématographe. Une archive sonore restitue la réaction de Méliès : “Voilà mon affaire ! Un truc extraordinaire.” 

Le magicien perçoit tout ce qu’il pourrait tirer du cinéma. Mais le père des frères Lumière, Antoine, refuse de lui vendre le brevet puisqu’il ne croit pas du tout en l’avenir de l’enfant de ses enfants… Alors Méliès décide de fabriquer lui-même sa caméra en  transformant une machine anglaise pour le faire. Si les deux frères Lumière, auteurs de L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat, décident de suivre une ligne réaliste, Méliès s'engage quant à lui sur un registre fantastique.

Quel est donc l’homme à notre époque qui pourrait vivre sans féerie, sans un peu de rêve ?

Georges Méliès

Artiste et magicien, il métamorphose le réel en merveilleux à Montreuil ! 

Et dans cette ville de Seine-Saint-Denis où il s'établit, c’est effectivement ce qu’il fait, en tournant des centaines de films de toutes sortes : fééries, fausses actualités, tours de magie (il invente les premiers trucages), voyages dans la Lune, films historiques, etc. 

Juliette Dubois connait sur le bout des doigts toutes les traces laissées par le cinéaste comme elle le raconte dans un entretien sur ses pas à à Montreuil (93). Avec ses ciné-balades, elle fait découvrir aux cinéphiles et aux curieux la ville avec les yeux de feu son plus illustre habitant. "L’idée de cette promenade est de lui rendre hommage, de comprendre combien il a influencé l’histoire cinématographique de Montreuil, toujours ville de cinéma. J’introduis le personnage au cœur du cinéma « Le Méliès », le plus grand cinéma public d’Europe, dont l’architecture est pensée pour rappeler les studios disparus." Car c'est là aussi que le réalisateur a construit les premiers studios français de cinéma, à l'emplacement actuel de la Maison de l'arbre, comme elle l'explique dans un article du Parisien.

Son goût des décors peints comme au théâtre et celui des expérimentations techniques ne supporte pas le plein air. Méliès fait alors construire une gigantesque serre, le premier studio vitré conçu uniquement pour la cinématographie.  "A son époque, on appelait les studios des « ateliers de pose ou de prise de vue », précise la titulaire d'un Master de recherche en histoire culturelle sur les débuts du cinéma. "C'est là qu'il tourne son plus gros succès, Le Voyage dans la lune en 1902. Il ne reste rien de cet espace dédié au cinéma, si ce n'est une façade de bois en levant la tête au-dessus du trottoir d'en face : c'est un vestige des ateliers de décors. Le seul à subsister." Et en hommage, dans le hall d'accueil du cinéma « Le Méliès » domine une lune, gigantesque sphère suspendue, de 7 m de diamètre, conçue par l'ingénieur et architecte allemand Hans Walter Müller.

La jeune guide précise : "Je poursuis ensuite la visite rue Victor Hugo, et raconte les effets spéciaux inventés avant de nous rapprocher de l’ancienne propriété de Méliès, sur le terrain de laquelle se dresse désormais la Parole Errante. Il faut compter deux heures et quinze minutes en tout." De cet endroit fabuleux, il ne reste rien : la maison et le studio de Méliès sont entièrement démolis à partir de 1945. Henri Langlois, fondateur en 1936 de La Cinémathèque française, sera l’un des derniers à y pénétrer. 

Et ces ciné-balades se distinguent vraiment des balades urbaines classiques. "Mon activité est née grâce à la tablette numérique, qui permet de projeter des extraits de film. L’idée est d’immerger l’auditeur dans l’ambiance des films. Le jeu sur la comparaison entre le lieu réel et le lieu à l’écran fonctionne très bien."

What else, Georges ?

Pour beaucoup, Méliès est le truqueur qui a tout inventé. Mais dès la fin des années 1900, avec la concurrence du cinéma américain et la naissance du piratage des films, Méliès doit fermer le studio qu’il a fait construire à Montreuil (93) et où il a tourné tous ses films. Il est de fait ruiné. Alors, comme le montre Scorsese dans Hugo Cabret (2011), il finit marchand de jouets à la gare Montparnasse. Il aurait même été contraint de vendre au poids le celluloïd de ses films pour se maintenir à flot. Cette chute vertigineuse a parfait la légende.

Autant d'anecdotes que l'on retrouve dans l'excellent documentaire de Serge Bromberg et d’Eric Lange : “Le Mystère Méliès”, un docu cinéphile prenant comme un polar. Les deux auteurs racontent par quel miracle des négatifs que Georges Méliès avaient brûlés ont été retrouvés, permettant la restauration progressive d’une partie de ses films. De nouveau disponible sur arte.tv

"Le film est un ruban de rêves." Orson Welles

Mais aussi avec le travail scientifique sur l'oeuvre du maitre : un pavé de 384 pages sous la houlette de Laurent Mannoni, directeur scientifique du patrimoine de la Cinémathèque. Selon lui, il est "le personnage le plus merveilleux des débuts du cinéma". 

Et si Méliès fascine, c’est que ce fils d’un fabricant de chaussures, né en 1861 et passionné par les spectacles de magie, est le premier à utiliser le cinéma comme "machine à faire rêver", captivant son public avec des films féériques, burlesques ou effrayants, relève M. Mannoni. Avec lui, la fantaisie du Voyage dans la Lune (1902) éclipse la froide réalité de L’Arrivée du train en gare de la Ciotat (1896, les frères Lumière): "La réalité, ça ne l'intéresse pas", résume-t-il. Un ouvrage essentiel pour comprendre comment, au faîte de sa carrière, Méliès continue de tout faire par lui-même à Montreuil (93) en se refusant de déléguer certaines de ses activités.

Des effets spéciaux, aussi anciens que le cinéma

Bricoleur hors pair, grand utilisateur de trappes, trompe-l’oeil (il filme à travers un aquarium rempli de poissons pour simuler les fonds marins !), arrêts de caméras et surimpressions, Georges Méliès était "l’artisan total de ses propres productions", rappelle Laurent Mannoni.

Ses premiers trucages apparaissent dès la fin du XIXe siècle. Ils sont désormais bien connus, quand il s'agit de décors peints et de tours d'illusionnisme. Mais à l'époque, avec la caméra, le magicien de métier a vite compris qu'il allait pouvoir continuer à surprendre ses spectateurs. Dès 1896, dans son film L'homme de tête, Méliès, entre deux tables, décroche sa tête et la pose à coté de lui. Et ainsi de suite, tête après tête. Il filme sur fond noir et ré-incruste des images nouvelles sur la pellicule. Aujourd’hui encore, certains trucages sont tellement astucieux ou perfectionnés que les spécialistes n’en ont pas percé tous les secrets. Le musée permet aux visiteurs d’en décortiquer certains, comme dans L’Homme à la tête de caoutchouc, qui gonfle jusqu’à donner l'illusion d'exploser grâce aux effets de perspective. Une salle entière est bien entendu consacrée au Voyage dans la Lune, le chef-d’oeuvre de Méliès, avec la reconstitution d’un costume de Sélénite, ces habitants du satellite présents dans le film.

Comme l'expliquait France Inter, au début de l'année lors du Paris Digital Summit au Centre des Arts d'Enghien-les-Bains (95),  la manifestation consacrée aux images numériques, "les effets spéciaux sont aussi anciens que le cinéma. Et aujourd'hui n'importe quel débutant sur Tik Tok, réseau social très prisé des jeunes adolescents, apprend à composer des vidéos où il gesticule tout en changeant de vêtement comme par magie, d'un mouvement à l'autre." Alors gageons que la grande nouveauté de la Cinémathèque, la création de « séances spectaculaires » et des expériences en VR conçues par Ubisoft sauront les séduire autant qu'il y a deux ans le Doodle de Google, un hommage à 360° au touche-à-tout du 7ème art.

 

Bon à savoir pour le Jeune Public

La Cinémathèque ne les a pas oubliés grâce à un parcours jeux pour les enfants à partir de 7 ans. Disponible gratuitement à l’entrée du musée.

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