Alors que le siège de l’Agence Française de Développement (AFD) doit déménager prochainement dans un nouveau bâtiment de 50 000 m2 près de la gare d’Austerlitz, une tribune publiée dans le JDD demande à Emmanuel Macron d’imposer l’annulation du projet immobilier.
Ils pointent du doigt "un projet climaticide, désastreux pour le patrimoine parisien et économiquement absurde". Stéphane Bern, Sandrine Rousseau, Cédric Villani… Dans une tribune publiée dimanche dans le JDD et adressée au président de la République, une cinquantaine de personnes appellent à annuler le projet Austerlitz. Le texte a notamment été signé par des élus EELV. Le groupe écologiste au Conseil de Paris, allié de la maire PS Anne Hidalgo (qui est, elle, favorable au projet), s’est allié depuis l’an dernier à l’opposition de la droite sur ce sujet.
Ce projet doit voir le jour dans le XIIIe arrondissement, au cœur d’un site incluant la grande verrière de la gare d’Austerlitz, l’hôpital de la Salpêtrière et le jardin des Plantes. Financé par l’AFD, le bâtiment doit accueillir le nouveau siège de l’établissement public, aujourd’hui basé près de la gare de Lyon dans le XIIe arrondissement. Les nouveaux bureaux de l’AFD devraient s’étaler sur 50 000 m2. 25 000 m2 sont par ailleurs prévus pour des commerces, 10 000 m2 pour des logements et 7 000 m2 pour un programme hôtelier.
"On claque près d’un milliard d’euros pour une opération de pur prestige", critique Olivier Le Marois, président de l’ONG écologiste inCOPruptibles. Porte-parole du collectif Austerlitz, il s’appuie sur un avis très critique du Conseil immobilier de l'Etat, rendu en juin 2021. "La construction d’un bâtiment représente la majeure partie des dégagements de gaz à effet de serre. Quand on crée un bâtiment de 300 mètres de long sur 37 mètres de haut, on coule des dizaines de milliers de tonnes de béton et c’est terriblement émetteur de CO2", explique Olivier Le Marois.
"Ça va dégrader l'environnement et la situation financière de tout le monde"
"Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut bannir la construction neuve à chaque fois qu’on le peut, pour privilégier la rénovation. Si l’AFD veut changer de locaux, d’autres solutions existent. Le Conseil immobilier de l'Etat cite une alternative largement moins coûteuse à Saint-Ouen, d’autant plus que la politique de l’Etat vise à déconcentrer les administrations hors de Paris. C’est du gaspillage au plan financier et au plan climatique", poursuit le porte-parole du collectif Austerlitz.
"Le projet cumule tout ce qu’il ne faut pas faire, déplore Christine Nedelec, présidente de France Nature Environnement (FNE) Paris, qui a également signé la tribune. Le projet ne répond pas aux besoins des habitants, ça va dégrader l'environnement et la situation financière de tout le monde. Comme d’autres gros projets inutiles, ça part d’une première nécessité : réparer la verrière. Et on se retrouve au final avec une absurdité, comme la tour Triangle de la porte de Versailles."
"C’est une façon hors-sol de faire de l’urbanisme. Là, on déplace le siège de l’AFD alors que les locaux actuels de l’Agence sont déjà à moitié vides, avec le télétravail. Le nouvel ensemble ne prévoit que 550m2 de surfaces végétalisées de pleine terre. On construit un monstre de béton et de verre avec une architecture carcérale alors que Paris a besoin d’îlots de fraîcheur si l’on veut que la ville reste vivable", ajoute Christine Nedelec.
Le projet dégrade par ailleurs "le patrimoine architectural" de la capitale, selon Olivier Le Marois. "Trois monuments mitoyens, classés aux monuments historiques, vont être écrasés par une barre gigantesque qui ne s’intègre pas au paysage : la grande verrière, magnifique ; la Salpêtrière, avec un édifice qui date du XVIIe et la chapelle Saint-Louis ; et enfin le jardin des Plantes, un autre joyau. Ça serait comme installer les locaux de Bercy au milieu du Louvre, vous flinguez tout."
"La cerise sur le gâteau, c’est le centre commercial, ironise le président des inCOPruptibles. Italie Deux est en train de faire faillite, Ivry est à moitié vide et le centre commercial de Bercy est aussi en train de couler… À Austerlitz, le projet est en complète contradiction avec la politique affichée de la mairie de Paris, qui est censée protéger les petits commerces de proximité. C’est un projet archaïque, on a l’impression de revenir aux années 70 sous Pompidou."
Une plainte déposée pour détournement de fonds publics
Fin mai, trois associations - dont les InCOPruptibles et FNE Paris - avaient annoncé avoir déposé une plainte contre X pour détournement de fonds publics. "D’un côté, l’AFD s’est engagée dans le projet sans étude préalable coût-bénéfice, et a sans doute largement surpayé ses nouveaux bureaux quand on compare le coût estimé de l’opération au prix moyen dans la zone. Ça reflète une mauvaise gestion des deniers publics mais ce n’est pas pénalement répréhensible. D'un autre côté , la plainte porte sur le fait que l’AFD acquiert des surfaces qui excèdent très largement ses besoins et se fait ainsi promoteur immobilier, ce qui n’est absolument pas sa finalité selon ses statuts", explique Olivier Le Marois.
"L’AFD est un établissement public dont le but est de financer des projets dans des pays en voie de développement, avec en particulier des projets pour affronter le changement climatique. A Austerlitz, l’Agence, qui a besoin de 30 000 à 40 000 m2 de locaux, aura sur les bras 10 000 m2 de surface en trop, qu’elle va devoir louer ou revendre… On a déposé plainte auprès du parquet national financier, sans réponse pour l’instant. Au bout d’un moment, on déposera plainte avec constitution de parties civiles", précise-t-il.
Quant au calendrier, Christine Nedelec indique que "les travaux pourraient commencer tout de suite, c’est malheureux mais ils auraient le droit de les lancer".
"Nous sommes vigilants à l'exemplarité environnementale" du projet, répond l'AFD
De son côté, l’AFD indique que le projet "fait l’objet d’un permis de construire délivré par la Préfecture de Région" et qu’une commission d’enquête "a validé le projet à l’unanimité" à l’issue d’une enquête publique en juin et juillet 2021. "Le projet, conforme au plan climat de la Ville, a aussi reçu l'aval des bâtiments de France (...) et l'autorisation environnementale délivrée par le ministère de l'Ecologie. Il y aura des surfaces végétalisées, une place très importante pour que les occupants du bâtiment puissent recourir aux mobilités douces (1 000 places de vélo, des bornes de recharges électriques pour les véhicules, une localisation au centre de nœuds ferroviaires), une ferme photovoltaïque, qui sera la plus grande de Paris sur un bâtiment privé et assurera près de 50% des besoins en électricité…", explique l’Agence.
"Nous sommes vigilants à son exemplarité environnementale, poursuit l’AFD. Les évaluations des émissions de gaz à effet de serre en phase chantier ont été réalisées selon le modèle du Ministère de la Transition Écologique et Solidaire et le Ministère de la Cohésion des Territoires. Des mesures fortes de nature à réduire les consommations en eau, en énergie seront prises. De même, pendant la phase de construction, afin de limiter l’impact environnemental, les matériaux utilisés permettront de réduire les émissions de gaz à effet de serre."
Quant aux aspects financiers, l’Agence affirme que "ce projet immobilier n’a aucun coût budgétaire pour l’Etat". L’AFD indique qu’elle "possède à ce jour 30 000 m² de bureaux et en loue 24 000 m²". Dans le cadre du projet, elle "va devenir propriétaire de 50 000 m² d’espaces bureaux, au sein d’un ensemble immobilier de 100 000m²". "Parmi ces 50 000m², 40 000m² seront alloués aux besoins du groupe pour y accueillir ses 3 000 collaborateurs. Le rassemblement des 3 000 collaborateurs de l'AFD et de ses deux filiales, Expertise France et Proparco, aujourd'hui répartis sur six sites parisiens, va permettre d'être plus efficaces opérationnellement et financièrement", affirme l’Agence.
L’AFD met ainsi en avant "des économies sur les loyers et les charges de fonctionnement des bâtiments - chauffage, restauration, sécurité…", avec une "baisse de 20%" des coûts d’exploitation. Pour ce qui est des "espaces excédentaires", ils "seront mobilisés pour attirer à Paris des associations, des organisations internationales, des établissements actifs dans le domaine du développement durable", poursuit l’AFD. Et d’ajouter : "Cette stratégie s’inscrit en cohérence avec les dispositions de la loi 4 août 2021 de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (...) qui prévoit des mesures destinées à renforcer l’attractivité de la France pour les organismes internationaux."
Contactées, la Semapa (Société d'Étude, de Maîtrise d’Ouvrage et d’Aménagement Parisienne) et la filiale de la SNCF Gares et Connexions, qui portent le projet immobilier, n’ont pas répondu à ce stade.