Des riverains de la rue de Nantes se mobilisent contre la construction d’un immeuble de bureaux. A Montmartre, dans le Ve arrondissement, comme dans l'est parisien, la colère monte contre la densification urbaine quelque-soit la légalité des projets immobiliers.
Mardi dernier, les riverains de la rue de Nantes, soutenus par des élus écologistes parisiens se sont levés tôt pour bloquer un chantier de construction d'un immeuble de bureaux au coeur d'un îlot d'habitations.
C’est un petit espace de verdure de 1500 mètres carrés constitué de deux parcelles, coincé entre la rue de Nantes et la rue de l’Ourcq. "Un poumon vert" selon ses défenseurs : herbes folles, chant des oiseaux, pruneliers, tilleul, un vieil entrepôt y avait abrité des ateliers d’artistes.
En 2018, l’une des parcelles a été achetée par deux chefs d’entreprise. 1250 m2 destinés à la construction d'un bâtiment de 2 étages et demi selon les entrepreneurs. L'immeuble accueillera le siège social d’une société en informatique et plus d’une centaine de salariés. Un permis de construire a été déposé en juillet 2018 et accordé par la Ville de Paris. Au grand dam des différents co-propriétaires.
"Le tilleul et la pelleteuse"
Arbres déracinés, présence d'un tilleul quinquagénaire, viabilité du terrain, accès à l'eau, accès au chantier, violation du droit de la propriété privée, dangers et nuisances sonores, recours gracieux, constat d'huissier... Les arguments sont juridiques, environnementaux, politiques. Inquiets à l'idée de perdre leur havre de paix, les riverains se battent d'arrache-pied depuis deux ans et demi pour bloquer ce chantier. Ils ne s’attendaient pas à un tel plan immobilier et réclament aujourd'hui la révision du projet.
"À l’ère du réchauffement climatique, c’est honteux qu’on autorise un projet aussi ambitieux dans un îlot d’habitation qui est déjà très minéralisé et qui met en danger le peu de biodiversité qu'il y a à Paris", dénonce Akila Mokart, propriétaire rue de Nantes. Et de poursuivre : "Nous n'avons jamais imaginé que la Ville de Paris puisse autoriser un tel projet dans un espace aussi petit, c’est insensé.
"Au-delà de ce chantier qui est très invasif, nous craignons à terme un va-et-vient très important puisque l’entreprise doit y installer plus de 120 salariés", estime un autre habitant.
Dans un texte, le collectif des riverains s'étonne de l'incohérence de ce projet qui "impactera 440 habitants dans un Paris déjà dense et minéral et dont les cartes de l’immobilier de bureau sont durablement rebattues du fait de la covid".
Le temps est venu pour les promoteurs de comprendre que les permis de construire délivrés ne sont pas une carte blanche autorisant le non-respect des règles et des citoyen.ne.s.
Dans leur combat, les opposants au projet sont soutenus par les élus écologistes du XIXe arrondissement qui ont adressé le 30 mars une lettre ouverte au maire socialiste de l’arrondissement, François Dagnaud lui demandant l’arrêt du chantier et de lancer une expertise.
Suite à l'action de ce matin, les élu.e.s écolo du 19e interpellent le maire dans une lettre ouverte et demandent
— EELV Paris 19e ??? (@EcoloParis19) March 30, 2021
✅la réétude des conditions du chantier
✅une expertise sécurité par exemple de la part @PompiersParis
✅La compensation de l’arbre abattu
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"La Ville de Paris a accordé une autorisation de construire sur cette parcelle et nous sommes atterrés car c’est une parcelle très végétale. Aujourd'hui on connaît les enjeux du dérèglement climatique à Paris et le bénéfice de conserver des îlots arborés", soutient Fatoumata Koné, présidente du groupe EELV au Conseil de Paris.
La conseillère municipale écologiste explique que la Ville a tenté en vain de revenir sur ce permis de construire accordé pour lutter contre la sur-urbanisation de ce quartier. Selon elle, une médiation proposée par la Ville a même été refusée par les deux chefs d'entreprise, propriétaire de la parcelle.
"On demande aujourd’hui que le chantier soit interrompu pour des raisons de sécurité", ajoute-t-elle, soulignant également la nécessité de protéger le tilleul quinquagénaire sur le jardin attenant au chantier. Et de conclure : "Cela fait deux ans que nous essayons de négocier de discuter avec le promoteur, c’était mon rôle de prendre mon écharpe d' élue et de faire comprendre aux promoteurs qu’il faut trouver un terrain d’entente avec les riverains".
"Notre démarche de construction est pleinement légale"
Les propriétaires de la parcelle et porteurs du projet de construction (qui ont tenu à rester anonymes) ne décolèrent pas et réfutent point par point les arguments de leurs détracteurs.
"Nous sommes accusés de détruire les arbres, d'empiéter sur la propriété privée attenante, de ne pas respecter les règles de l'urbanisme, tout ceci est faux", s'insurgent-ils.
"Nous sommes confrontés depuis deux ans et demi à l’opposition des riverains qui nous demandent d’abandonner la construction prévue en toute légalité. Nous sommes confrontés à la convergence de deux intérêts différents. D’une part des élus du groupe Europe Ecologie les Verts qui se cherchent des batailles de quartier et font de l’écologie de Don Quichotte instrumentalisant la colère et l'inquiétude des riverains. Et de l’autre côté il y a des habitants qui s’opposent à notre chantier et qui utilisent tous les recours possibles avec des armes plus ou moins légales" , protestent-ils.
"La mairie de Paris a même été condamnée l’an dernier pour avoir bloqué le chantier. Un chantier qu'elle avait elle-même autorisé", assurent-ils soulignant l'incohérence des positions.
Ils affirment, qu'à leur demande, un expert technique indépendant a été mandaté par un magistrat dans le cadre d'un référé préventif, chargé de vérifier pendant la durée du chantier la bonne tenue et la sécurité des travaux et ses éventuelles conséquences sur les riverains.
Paroles contre paroles. Avocats contre avocats. Aujourd'hui, riverains et entrepreneurs, chacun campe sur ses positions. Sollicitée, la mairie de Paris qui a bien accordé le permis de construire affirme qu' "il s’agit d’un conflit de droit privé, ces revendications relevant d’une emprise privée. [...] La Ville de Paris poursuit par ailleurs la surveillance régulière de l’emprise de chantier située sur le domaine public, et adressera également un rappel au porteur de projet en cas de manquements sur cette dernière".
A Paris, les conflits de ce type se sont multipliés : rue Muller à Montmartre, l'îlot Navarre au centre de Paris ou le TEP du boulevard de Ménilmontant. Tous sont symptomatiques de la densification urbaine dénoncée par un certain nombre d'habitants de la capitale et les élus écologistes parisiens.