Le quartier Sainte-Marthe, un quartier populaire inquiet

L'occupation par un collectif pendant plusieurs semaines d'un local loué par le restaurant le Petit Cambodge a mis en lumière le quartier Sainte-Marthe dans le Xe arr. "Gentrification", peur de perdre son âme, les habitants de cet ancien quartier ouvrier de l'est parisien s'inquiètent.

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Les mardis, à la Nouvelle rôtisserie, ce sont les "daronnes" de l’association Dena’B qui cuisinent et distribuent gratuitement des repas chauds. Le restaurant associatif, alternatif et auto-géré du quartier de la place Sainte Marthe ouvre ses portes à différentes associations du quartier. "Avant le confinement, nous faisions des repas vendus de six à huit euros. Avec le confinement on a décidé de préparer gratuitement des repas pour des personnes dans le besoin. Pour des gens du quartier mais pas seulement. Il y a des gens qui viennent de partout", explique Diaby Fatoumata, la présidente de l’association. "La mairie nous a donné de l’agent mais surtout on se cotise. L’une achète des sacs de riz, l’autre achète des oignons ou des poulets. Nous distribuions entre 150 et 200 repas de la solidarité dans le quartier", poursuit-elle. Distribuer des repas n'est pas la vocation première de l'association Dena'B, qui s'occupe plutôt d'encadrer les enfants du quartier. Mais pour ces mères de famille, il n'était pas question de ne pas être solidaires en pleine crise de la Covid.

A l’abri des regards, niché entre le boulevard de la Villette, la rue Saint-Maur et à deux pas de l’hôpital Saint-Louis, la place Sainte-Marthe et les rues adjacentes sont connues pour leurs devantures colorées, les ateliers d’artistes ou d'artisans qui ont pignon sur rue, leurs cours pavées et leurs cafés restaurants, nombreux à avoir fleuri ces dernières années.

Y habitent de petits propriétaires, des locataires aux revenus modestes, des artistes et des artisans. Les associations de solidarité y foisonnent. Pour Candidà Rodrigues, présidente de l’association Saint-Louis Sainte-Marthe, "la vie de quartier est riche, ponctuée par les deux vides-greniers annuels, les repas collectifs, le carnaval."

Ce quartier ouvrier a été construit par le Comte de Madre au 19e siècle pour loger les ouvriers des chantiers haussmanniens. A la fin des années 1980, l’ilot est insalubre et risque de s’effondrer. Simon Octobre, l’un des gérants du Petit Cambodge y a grandi. Il se souvient du délabrement des rues qui menaçaient de s’effondrer et des immeubles où des fils électriques sortaient des habitations pour se raccorder aux poteaux électriques. Pendant 10 ans, 3 OPAH, Opération programmée d’amélioration de l’habitat, vont se succéder financées par la ville de Paris. 19 millions d'euros d'argent public y a été injecté. Certains se souviennent de l’usine à ciment installée rue Sambre et Meuse qui a tourné à plein régime pendant longtemps. Des immeubles sont rachetés par la SIEMP, la Société d’économie mixte de Paris pour être démolis et reconstruits en logements sociaux mais le reste du quartier et son architecture y sont préservés. Les bâtiments appartiennent en grande partie à une vieille société immobilière, la SIN, Société immobilière de Normandie.

"Une opération de rénovation urbaine remarquable", explique Candidà Rodriguès. "Le tissu social a été préservé, ouvriers et classe moyenne ont pu conserver leur logement".

"C’est un quartier qui est très mixte, nous avons fait pas mal de logements sociaux. Une grande partie des habitants y vivent depuis longtemps. Le quartier a changé mais malgré les travaux, nous avons conservé du logement social. C’est cela qui fait la mixité sociale de ce quartier et qui le rend aussi attachant. Dans le 10e il y a des quartiers gentrifiés mais Sainte-Marthe c’est encore très largement un quartier d’employés et d’ouvriers, un quartier melangé où il y a eu différentes succession d’immigration, ça le rend charmant et sympathique. Nous voulons préserver cela, que les gens puissent continuer à vivre ensemble", assure Alexandra Cordebard, la maire socialiste du 10e arr. 

"A l’issue de ces travaux, les ateliers d’artistes sont restés, et c’est cela qui donne le charme si particulier de ce quartier avec des associations qui sont très actives. Mais le quartier est aujourd'hui menacé", déplore Sylvain Raifaud, conseiller de Paris EELV élu dans le 10e arr.

Un quartier en pleine mutation

Ce quartier populaire n’échappe pas aujourd’hui à la gentrification de tout l’est parisien. Sur ses murs, des affiches, des tags, des revendications plus ou moins radicales. Le quartier est en ébullition. En septembre dernier, des barricades ont été dressées par des collectifs militants. N' habitant pas forcement les lieux mais reflétant les inquiétudes des riverains.

Une gentrification qui inquiète d’autant plus que le principal bailleur du quartier, la Société Immobilière de Normandie au bord de la faillite a été rachetée début 2020 par une société de valorisation immobilière, la société d'Investissement et de management Coignet, propriétaire aujourd’hui de près d’une centaine de locaux d’activités en rez-de-chaussée et d'habitations dont beaucoup restent inoccupés.

 

Ils veulent faire des Airbn'b, et ça c’est la mort du quartier

Adriana Popovic, Artiste

Adriana Popovic est sculptrice. Son atelier se situe à deux pas de la place Sainte-Marthe, rue Jean-et-Marie-Moinon. Elle fait partie de l’association O C Baux et se fait l’écho des inquiétudes des artistes et des artisans. "Notre bailleur, la Société Immobilière de Normandie s’est faite racheter et on voit bien que le but des nouveaux bailleurs est de faire des gains et non pas du social. Ils veulent faire des Airbnb, et ça c’est la mort du quartier",  déplore-t-elle. Et de poursuivre, "C’est un peu comme la rue Marie et Louise, à 2 pas d'ici. J’y avais mon atelier. J’ai vu la rue changer, maintenant il y a restos sur restos. Ici on a une belle ambiance et une belle entraide entre artistes et artisans, on a pas besoin de nouveaux restaurants mais plutôt d’activités sociales ou artistiques. Aujourd'hui artisans et artistes ont du mal à se loger." 

Autre inquiétude, le nombre de logements vides laissés à l'abandon qui entraîne interrogations, rumeurs et parfois des occupations illégales comme cela s'est produit récemment pour un local loué à la SIEMP par le restaurant le Petit Cambodge déclenchant une vive émotion dans le quartier, débats politiques et un déchaînement parfois nauséabond sur les réseaux sociaux.

L'association DENA’BA s’interroge : "Nous partageons le local de la Nouvelle rôtisserie avec d’autres associations mais nous aimerions bien avoir un local à nous. Il y a des besoins et on comprendrait s'il n’y avait pas d’offres mais ici il y a plein de locaux inoccupés", estime l'association.

Un constat partagé par Alexandra Cordebard, la maire : "Une partie des rez-de chaussée appartient à un promoteur qui a récemment été rachetée par une autre société qui a des vues très spéculatives qui a de fait, une très mauvaise gestion en laissant des locaux vides et des relations de mauvaises qualités avec des locataires", décrypte-t-elle.

Le conseiller municipal écologiste, Sylvain Raifaud, est plus virulent. "Il y a une vraie menace de spéculation immobilière dans ce quartier et Edmond Coignet a manifestement l’ambition de faire des plus-values. Cela est très éclairant sur les risques sur le phénomène de gentrification des quartiers. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. Le quartier est charmant parce qu’il y a des artisans et des artistes et c’est aussi parce qu’il est charmant qu’un promoteur s’y intéresse. Et il y a un risque de voir les loyers s’envoler et de voir partir les artisans pour y installer des magasins d’habillement ou des restos" s’inquiète-t-il.

"Cela fait aussi résonnance avec ce qui s'est passé pour le Petit Cambodge. L'émotion a été particulièrement sensible ici. Evidemment ce restaurant a été touché par les attentats de 2015. Mais il faut comprendre que leur local leur a été attribué il y a cinq ans et depuis il est resté vide. Le Petit Cambodge avait commencé des travaux et ils ont pris beaucoup plus de temps que prévu. Ce que l’on peut regretter, c’est que l’information vis-à-vis des habitants a été insuffisante et ils se sont posés des questions", ajoute-t-il.

Avec le nouveau bailleur, le quartier est inquiet. "Les artistes se sont mobilisés très tôt pour essayer de comprendre ce que la société Coignet envisage de faire d’eux. Leur survie est en question. Certains sont en fin de bail et ils craignent que leur loyers augmentent. C'est comme une épee de Damoclès au dessus de leur tête," explique la présidente de l’association Saint-Louis Sainte-Marthe. "La peur que nous avons également, c’est qu’il y ait pléthore de bars et de restaurants et que la vie du quartier devienne très compliquée au niveau des nuisances sonores. Sans parler des fameux Airbnb qui rendent un quartier mortifère. Face à nous, ce qui est inquiétant c’est le silence du bailleur. Tout le monde s’interroge et personne n’a de réponses".

On est pas là ni pour spéculer ni pour détruire l’ADN du quartier

Société Coignet Investment Management

Jointe par téléphone, la société d’investissement immobilier Coignet actuelle propriétaire des lots de commerces et d’habitations pour moitié vacants a tenu à communiquer et se défend. "On a pas d’intention de faire du Airbnb ou un McDonald’s. Ce qui qui nous a séduit dans cette investissement, c’est justement la particularité de cette îlot avec son ADN propre et son histoire. On veut rénover et relouer en respectant cette ADN. La valeur de ce foncier, c’est justement qu’il n’y a pas 36 000 quartiers comme cela à l’intérieur de Paris qui dégagent une telle authenticité et nous voulons la garder avec les actuels et nouveaux locataires. La valeur de ces lots est là", argumente un interlocuteur qui a souhaité rester anonyme.

En ce qui concerne les locaux inoccupés, l’investisseur réfute les attaques : "Je veux bien qu’on nous accuse de laisser les locaux vides mais nous avons acheté des locaux vides en début d’année. L’acquisition complète de la SIN a été faite début 2020. Ensuite il y a le confinement. Au retour du confinement on a dépêché nos entreprises pour reprendre les chantiers. Et puis, nous avons eu un local squatté là où étaient entreposés des matériaux et des outils. Les entrepreneurs n’ont pas eu forcément de bonnes conditions pour travailler en plus du Covid", plaide-t-il pour sa défense.

La société Edmond Coignet affirme que les travaux vont reprendre en vue de louer les locaux.

Un quartier qui ne veut pas perdre son âme, des riverains inquiets pour leur avenir, un climat tendu exacerbé par l’affaire du Petit Cambodge. Chacun, habitants, artistes, associations, collectifs militants et élus veillent au grain.

Pour la maire de l'arrondissement, Alexandra Cordebard, "La voie n’est pas toute trouvée mais depuis pas mal de temps nous sommes en contact avec la société Coignet et recherchons à nous mettre autour de la table avec toutes les voies légales pour faire en sorte que ce quartier garde son caractère à la fois artisanal, artistique et populaire", n’excluant pas que la ville puisse racheter des locaux à l'investisseur privé.  

"Tout le monde doit avoir sa place", conclut Simon Octobre, le gérant du Petit Cambodge.

 

 

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