"De plus en plus de filles se mettent au skate" : Realaxe, une association qui promeut la pratique féminine

A l’occasion du championnat de France (catégorie bowl) ce dimanche 2 mai 2021 à Chelles, focus sur Realaxe, un collectif créé par des skateuses parisiennes, qui multiplie les cours et les événements pour développer la pratique féminine. Entretien avec sa présidente, réalisé en novembre 2020.

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La pratique féminine du skateboard – dans les rues, les skateparks mais aussi en compétition –  continue de se développer. Même si l’égalité est loin d’être atteinte, dans un milieu pratiqué en grande partie par des hommes, "les choses évoluent dans le bon sens" selon Sophie Berthollet.

Cette skateuse parisienne est la présidente et cofondatrice de Realaxe, un collectif qui propose des cours pour s’initier au skate tous les mardis à l’EGP 18 (Espace de Glisse Parisien), mais aussi une multitude d’événements et de projets.

France 3 Paris IDF : Realaxe a été créé il y a près de six ans. Pourquoi avoir lancé ce collectif ?

Sophie Berthollet : quand on a créé l’asso, en 2014, l’idée était de rassembler toutes les skateuses en Île-de-France, et même en France, avec un tout premier événement : le Realaxe Girl Week-end, à Chelles en Seine-et-Marne. Depuis plusieurs années, on a réussi à avoir des créneaux tous les mardis à l’EGP 18, pour proposer des cours réservés aux filles toutes les semaines. On a aussi d’autres créneaux au skatepark de Charonne. Au-delà des cours, on organise des Realaxe Girl Sessions tous les premiers dimanches du mois, ouvertes gratuitement à toutes et à tous, pour faire découvrir à chaque fois un skatepark en région parisienne.
 


On est aussi déjà parti un peu plus loin, à Lille, au Mans… Street, bowl : l’idée est que ça plaise à tout le monde. On a également lancé le Queen of the Road, inspiré du King Of The Road (KOTR), une compétition basée sur une série d’épreuves, créée par le magazine américain Thrasher. L’objectif est de s’amuser : à chaque événement de l’asso, qui est vraiment orientée vers les débutantes, on met un point d’honneur à ce que toutes les filles puissent participer et repartir avec des lots, peu importe leur niveau.
 

 

Le confinement et la crise sanitaire ont-ils stoppé vos projets ?

S.B. On a pu proposer nos inscriptions à la rentrée, mais tout ça nous a un peu coupé dans notre lancée, les cours et les sessions sont en pause. Mais on a continué en organisant des challenges vidéo : les filles ont continué à s’entraîner chez elles avec les moyens du bord, parfois simplement avec le plateau de leur skate. On a aussi lancé des visio-conférences pour les filles qui ont pris un abonnement annuel, avec par exemple comme thématique l’histoire du skate.

On va également essayer de développer des défis et du coaching personnalisé, pour que les filles se filment et puissent avoir un retour pour améliorer leur pratique. On va aussi poster un concours de design de stickers, en imprimant la création du gagnant. Même s’il faut savoir que le skate est en général beaucoup moins pratiqué l’hiver, on est tous un peu saoulés d’être confinés et de ne pouvoir pratiquer qu’une heure par jour, ce n’est pas évident. Donc on cherche à garder un contact, un rythme, un dynamisme.

 

Pourquoi organiser des cours féminins ? Est-il plus difficile de débuter le skate quand on est une femme ?

S.B. C’est difficile de commencer le skate, quand on arrive sur un spot pour la première fois, et je pense que ça vaut pour tour le monde dans la discipline, hommes comme femmes. Mais on est en minorité, donc il y a encore plus d’appréhension. Il y a un regard qu’on ressent, la peur d’être jugée en permanence, sur ce qu’on est capable de réaliser mais aussi physiquement. Mais depuis que les skateparks poussent un peu partout en Île-de-France mais aussi en France plus largement, les mentalités chez les filles commencent à changer, souvent chez les jeunes : elles trouvent que c’est un sport comme un autre, et se sentent plus légitimes.
 

Les choses évoluent, c’est super cool. Notre asso s’adresse aussi aux filles qui ont passé la trentaine, qui ont toujours eu envie de se lancer mais qui n’ont jamais osé. L’objectif est de les mettre à l’aise, l’asso est faite pour elles. L’idée est aussi pour les débutantes de rencontrer d’autres personnes pour skater et être accompagnées sur les spots : le but est de s’approprier l’espace. Un jour, une fille m’a envoyé un message pour me dire qu’elle était allée dans un skatepark toute seule, ce qu’elle n’avait jamais osé jusqu’ici. Ça m’a marqué.

 

Comment expliquer le fait que le skate reste encore aujourd’hui davantage pratiqué par des hommes que par des femmes ?

S.B. Je pense que c’est toujours dans l’inconscient collectif : les filles seraient censées être gentilles, ne pas se faire de bobos, toujours bien s’habiller. Il y a toujours ce regard, mais on s’en détache de plus en plus. On peut par exemple s’en rendre compte par le style vestimentaire. Pour représenter l’asso, on se déplace depuis quelques années au skatepark de Villiers-sur-Orge en Essonne, au Far'n High : une compétition internationale, avec une catégorie féminine depuis le début. En 2019, ça nous a ému de voir toutes les filles inscrites au contest, qui viennent de différents pays, en train de s’entraîner. Pattes d’eph, leggings, crop tops, sweatshirts… Sans pression, il y avait tous les styles : les filles s’habillaient comme elles voulaient, on sentait une totale liberté.

On a parfois des remarques, de personnes qui nous reprochent de vouloir soi-disant séparer les genres… C’est tout le contraire, on est là pour donner un coup de pouce aux filles, pas pour diviser

Retrouve-t-on des formes de sexisme dans les skateparks, ou sur les spots ?

S.B. Ça arrive. On a des témoignages de filles qui le vivent parfois mal. On leur a dit que le skate n’était pas fait pour les filles, par exemple. Il ne faut pas non plus généraliser, je pense qu’il y a des cons partout, dans tous les milieux. Les cas sont assez rares. En général, les mecs sont au contraire ravis de voir de plus en plus de filles participer et partager leur passion. On a parfois des remarques, de personnes qui nous reprochent de vouloir soi-disant séparer les genres, séparer les gens… C’est tout le contraire, on est là pour donner un coup de pouce aux filles, pas pour diviser. On veut en priorité encourager les filles mais, hormis les cours, les événements sont ouverts à tout le monde, c’est vraiment bienveillant.

L’asso a été créée en partant de notre vécu. Personnellement, vers l’âge de 10 ans, j’avais fait la misère à mes parents pour avoir un skate. Puis je me suis un temps plus orientée vers d’autres passions, notamment le snowboard. Au lycée, on m’a dit que les filles étaient nulles au skate, que je n’étais pas faite pour ça. A l’époque, avec mon caractère plutôt timide, je n’ai pas été assez forte de caractère pour dire : "Va te faire voir !". Heureusement, quelques années plus tard, j’ai rencontré quelqu'un – qui est aujourd’hui devenu mon meilleur ami – qui m’a invité à venir skater. Je partageais ça avec un groupe de potes. Après quelques temps, j’ai rencontré ma moitié, qui lui aussi était dans le skate, et je m’y suis remise. Ensuite, j’ai rencontré une fille dans un skatepark, puis une autre… De là est née l’asso.

 

Le skate féminin continue d’exploser… Depuis sa création, comment l’association s’est-elle développée ?

S.B. Lors du premier événement, à Chelles, il devait y avoir 10 filles. Depuis, on n’a jamais abandonné : on a continué avec la même énergie, en fonçant tête baissée. Aujourd’hui, on arrive à rassembler 30-40 personnes lors des sessions organisées chaque mois, on est beaucoup et quand on arrive sur les spots, les skateurs locaux font parfois la tronche, on ne réserve pas forcément. A l’EGP 18, lors de nos portes ouvertes en 2020, on a réuni un mardi 70 filles, c’est énorme. L’asso doit aujourd’hui rassembler entre 80 et 90 adhérentes, dont 60 avec un abonnement annuel à 200 euros avec un accès à tous les cours. Il y a pas mal de monde.
 

De plus en plus de filles se mettent au skate. Les réseaux sociaux jouent un rôle important : beaucoup de skateuses n’hésitent pas à filmer et poster leurs débuts. Et ainsi de suite, d’autres filles voient leurs progressions, trouvent ça fun et s’y mettent à leur tour. Pour ce qui est de l’asso, je suis présidente depuis le départ. J’ai besoin de sentir que je tiens les rennes, même si aujourd’hui c’est un travail d’équipe : j’ai longtemps été toute seule, mais au fil du temps un gros noyau dur de trois-quatre personnes s’est formé, on se complète. Il nous manque juste un lieu rien qu’à nous. Notre rêve serait d’avoir un skatepark, et de ne plus avoir besoin de se battre pour obtenir des créneaux. C’est notre objectif pour les années à venir.

 

Quel rôle joue l’industrie dans le développement de la pratique féminine ? Le phénomène est-il traité comme une opportunité marketing, ou plus que ça ?

S.B. C’est clair que certaines marques de skate se sont réveillées d’un coup et en profitent un peu. Mais de plus en plus de filles sont sponsorisées. Il y a aussi la question du prize-money : jusqu’ici, les gains en compétition sont souvent bien inférieurs pour les filles. C’est énervant, mais les choses évoluent dans le bon sens. A l’asso, on a eu la chance – même si on nous dit que ça récompense notre travail – de faire partie d’un projet en 2019 avec Adidas. Ils sont venus nous voir pour nous proposer de participer à un programme intitulé "She breaks barriers" : une campagne qui cherche à encourager la pratique féminine dans le sport, en aidant des associations à se développer.

On a reçu une enveloppe, qui nous a permis d’acheter du matériel et de payer les moniteurs. On faisait avec les moyens du bord, c’est très cool d’avoir moins ce souci d’argent. Faire du sport quand on est une fille, c’est parfois très compliqué. Aujourd’hui, encore plein de filles ne peuvent pas pratiquer leur sport car leurs parents leur interdisent, ou parce qu’elles craignent d’aller s’entraîner dehors. Avant, je n’avais pas réalisé ça, parce que je viens d’une famille plutôt sportive, mais actuellement on a encore ce genre de problèmes.

 

En 2021, le skate fera son entrée aux Jeux olympiques de Tokyo. Une opportunité de plus pour la pratique féminine du skate ?

S.B. Je pense que les JO, où il y aura à la fois des catégories masculines et féminines pour les épreuves, jouent vraiment un rôle. Ça bouge beaucoup du côté des fédérations, en France une commission skateboard a été créée à la Fédération Française de Roller et Skateboard (FFRS). Je viens d’ailleurs de passer une formation pour un brevet de moniteur fédéral. Il y aussi des formations pour les juges en compétition, c’est en plein développement.

Certains skateurs sont pour les JO, d’autres contre… Personnellement, je trouve cool que le skate s’ouvre à tout le monde. Et ça permet de faire comprendre aux gens que le skate n’est pas qu’un jeu, même si l’on ne cherche pas forcément à être pris au sérieux, c’est un sport hyper physique et technique. Et le skate apporte plein de choses par rapport à un sport classique, il y a toute une culture, artistique notamment. Je trouve ça positif que de plus en plus de gens puissent découvrir le skate, peu importe l’âge, le genre, le milieu social. Il faut échanger, partager, apprendre les uns des autres.

 

► Cet article, initialement sorti en novembre 2020, est republié à l’occasion du championnat de France (catégorie bowl) dimanche 2 mai 2021 à Chelles

 

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