Au procès de l'incendie de la rue Erlanger qui a fait 10 morts à Paris en 2019, un ex pompier et ancien voisin d'Essia Boularès a été entendu ce jeudi par la cour d'assises de Paris. Il a décrit une jeune femme au comportement cohérent lors du drame.
"Ce n'était pas la pauvre petite femme malade qui ne sait pas ce qu'elle fait, elle savait très bien qu'elle mettait le feu", a affirmé Quentin L., 26 ans. L'ancien voisin de l'accusée s'est attaché ce jeudi à décrire une femme au comportement "cohérent", qui "savait très bien ce qu'elle faisait", alors que l'état psychiatrique de la jeune femme lors des faits est l'une des questions centrales du procès.
Essia Boularès a reconnu avoir mis le feu devant la porte de ce jeune sapeur-pompier, après une altercation parce qu'elle écoutait la musique trop fort. Aujourd'hui devenu CRS, il raconte devant la cour d'assises ce "conflit de voisinage" qui "allait aboutir à un drame".
Un conflit de voisinage
Très droit, en manteau et col roulé noirs, il livre son témoignage d'un débit rapide, comme un rapport à sa hiérarchie. Son exposé vise à convaincre qu' Essia Boularès ne présentait pas de troubles psychiatriques apparents, même si cela contredit certaines de ses déclarations pendant la procédure. "Elle était cohérente, elle savait qui j'étais", répète-t-il, mettant sa réaction "disproportionnée" sur le compte de sa consommation de cannabis, qu'il sentait régulièrement dans le couloir.
Le 4 février 2019, Quentin avait passé la journée à réviser; le lendemain il devait passer des examens pour devenir sous-officier. "Depuis 17-18 heures, ma voisine écoutait de la musique, elle chantait, elle était bruyante". Vers 23 heures, sa compagne sonne chez la voisine, lui demandant "avec courtoisie" de baisser le son. Essia Boularès l'insulte à travers la porte: "Sale pute, retourne baiser ton copain le pompier!" "Elle s'en prenait tout le temps à ma profession: elle ne disait pas 'Quentin' ou 'le voisin', mais 'sale pompier', 'pompier de merde'", se remémore le jeune homme.
A posteriori, il fait l'hypothèse qu'Essia Boularès "en voulait aux pompiers". Pour cette femme, internée trente fois, "c'était peut-être synonyme d'intervention, de transport à l'hôpital".
"T'aimes les flammes, ben ne t'inquiète pas, tu vas en voir. Moi je me barre"
Quand elle se met à jeter des bouteilles sur leur volet, puis à tambouriner sur leur porte, les menaçant de mort, le couple appelle la police, qui se déplace peu après minuit. "Elle était toute mielleuse, elle s'est mise à les charmer pour que ça soit moi le méchant", affirme Quentin.
Essia est "très calme", même si "elle nous a dit qu'elle sortait de (l'hôpital) Sainte-Anne" et que "son appartement était très en désordre", confirme l'une des policières, entendue au procès par visioconférence.
Les policiers conseillent au couple d'aller dormir ailleurs et disent qu'ils vont "prendre en charge" la voisine, selon Quentin. Pensant qu'elle a été conduite au commissariat, ils décident de remonter et tombent nez-à-nez avec Essia, portant un sac de sport, qui leur lance: "t'aimes les flammes, ben ne t'inquiète pas, tu vas en voir. Moi je me barre".
Dans le même temps, une jeune voisine du même étage, maintenue éveillée par l'altercation, voit "une lueur orange" sous sa porte. "Je prends mon téléphone avec moi, j'ouvre ma porte, et là, je vois que la porte de (Quentin L.) est en feu", témoigne à la barre Valentine T., 23 ans.
Sa brève vidéo montre une planche de bois appuyée sur la porte, des tissus en dessous, et une flamme déjà haute. Immédiatement, elle appelle le 18, qui lui conseille "d'évacuer". "Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas maîtriser un feu, c'est plus haut que moi, ça me dépasse".
Valentine et un voisin remontent malgré tout dans les premiers étages, pour "toquer aux portes, crier qu'il y a le feu, qu'il faut sortir", jusqu'à ce que la chaleur soit trop forte. "Je n'ose imaginer, si moi j'ai eu la chance de sortir tôt, ce que ça a été pour les autres".
Mercredi, les experts incendie ont expliqué comment le feu a gagné en quelques minutes les huit étages de cet immeuble du XVIe arrondissement construit dans les années 1930. Sept personnes sont mortes asphyxiées par les fumées et trois après avoir chuté ou sauté par leur fenêtre.
Après ces témoignages, Essia Boularès a demandé à prendre la parole, se disant "très émue" et demandant "pardon" aux victimes."Je n'étais vraiment pas dans mon état normal. Je sais quand je suis dans une période de crise et quand je ne le suis pas", a-t-elle assuré.
Avec AF