Procès de l'incendie de la rue Erlanger : l’impuissance des proches de l’accusée

Au deuxième jour du procès de l'incendie de la rue Erlanger, la famille de l'accusée était appelée à la barre ce mardi devant la cour d’assises de Paris. Sa mère et sa sœur aînée ont rapporté leur impuissance face aux souffrances d'Essia Boularès, hospitalisée une trentaine de fois pour ses troubles mentaux et ses addictions. Récit.

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Première à se présenter à la barre ce matin, Michèle Boularès, 76 ans, retraitée de l’enseignement supérieur, la mère d’Essia. Une petite femme dont l’accablement se devine aux épaules affaissées. Au bord des larmes, ses premières paroles sont destinées aux rescapés et aux endeuillés. "C’est une énorme émotion d’être à côté d’eux. Emotion d’autant plus grande qu’ils ont souffert par ma fille qui est aussi mon enfant. Depuis le drame, quotidiennement, mes pensées vont vers eux."

Puis, sans jamais s’interrompre, le souffle court, Michèle Boularès raconte pendant près de deux heures le parcours de sa fille, chaotique. De l’enfant "adorable, douce, sensible et d’une immense générosité" qui donne son argent de poche aux clochards, à l’adolescente "en grande souffrance", qui développe des troubles alimentaires : la  boulimie qui engendre les moqueries et les humiliations à l’école, puis la privation de nourriture qui l’empêche de se lever le matin. "Vers 14, 15 ans, elle me répétait maman, je ne sais pas ce que j’ai mais je ne suis pas comme tout le monde, j’ai des choses dans ma tête."

A l'époque, ses parents, des intellectuels aisés, cherchent de l’aide auprès de psychologues, mais Essia s’enfonce. Elle a 17 ans lorsqu’elle est hospitalisée pour la première fois pour sa dépendance à l’alcool et au cannabis consommés dans des "quantités massives"

Il a fallu attendre longtemps pour trouver une place. Essia était très très mal, ça a été un moment très difficile. Elle voulait tout le temps boire. Sur les conseils d’un psychothérapeute, mon époux devait acheter des caisses de bière pour la faire patienter, puis lui en donner toutes les heures, toutes les demi-heures… pour ne pas qu’elle aille dans la rue", raconte cette mère impuissante.

Michèle Boularès, la mère d'Essia Boularès

A 18 ans, la jeune fille parvient à obtenir son bac mais une rupture l’anéantit. Elle prend de l’ecstasy, délire pendant plusieurs semaines et commence à tenir ses premiers discours sur "les vies parallèles" et les anges. Retour aux soins, retour à l’hôpital. Les années qui suivent, Essia Boularès sera hospitalisée une trentaine de fois dont dix fois sous contrainte. Sans qu’aucun diagnostic sur son mal-être ne soit posé. La bipolarité, les troubles de personnalité borderline sont évoqués, sans plus. "C’était toujours la même chose. Elle était hospitalisée et puis au bout de trois-quatre jours d’hospitalisation où elle était cadrée, on me disait "elle est formidable votre fille, elle n’a pas de problème". Et on la laissait sortir. Oui elle est formidable, mais c’était un calvaire pour elle et pour nous."

Hospitalisations, traitements, rechutes

Malgré cette souffrance, Essia Boularès obtient un diplôme de l’école hôtelière de Lausanne et décroche un CDI dans un restaurant cinq étoiles à Biarritz. "Trop de stress", explique sa mère. Elle démissionne et part vivre dans les Pyrénées avec son compagnon de l’époque. Lorsque le couple se sépare, la jeune femme revient chez sa mère. Elle est enceinte. "Et là, pendant neuf mois, c’est l’enfer… Notre ligne directrice, c’est que le petit ne soit pas atteint, explique la vieille dame. L’enfant est né à terme avec un magnifique poids malgré les médicaments qu’elle a pu prendre, les cigarettes. Jusqu’à maintenant il est chez moi. Il va très bien."

Les crises d’Essia Boularès, qui prend à présent de la cocaïne, sont de plus en plus graves, de plus en plus rapprochées. Il y a aussi ces réactions violentes qu’elle a parfois avec ses proches. Nouvelles hospitalisations, nouveaux traitements miraculeux. Enièmes rechutes… "On en est conscient, on appelle au secours, poursuit Michèle Boularès. C’est une femme malade. Nous n’avons pas été aidés pour la soigner, peut-être qu’on ne pouvait pas l’aider."

La location de l'appartement rue Erlanger

En 2016, après une embellie, "un an et demi sans toucher à quoi que ce soit", Michèle Boularès loue un appartement à sa fille sur les conseils d’un psychiatre. "Je ne le sentais pas bien. Mais je me dis que j'étais peut-être une mère abusive. On trouve le 17 bis rue Erlanger." C’est sa mère qui paye le loyer mensuel de 950 euros. C’est elle et son autre fille qui rangent l’appartement et font les courses lorsqu’Essia Boularès est en crise comme en janvier 2019 où elle est de nouveau au plus mal. "Elle était partie faire un stage de yoga. Cinq jours plus tard, le formateur m’appelle pour me dire que ça ne va pas du tout et il la met dans un TGV pour Paris alors qu’elle est en pleine crise. C’est sa sœur Mariam qui la récupère sur le quai de la gare pour l’amener à Sainte-Anne le 19 janvier 2019."

Essia Boularès "en délire total" est alors sédatée, emprisonnée dans une camisole. La suite reste énigmatique. Le 28 janvier, une réunion est organisée avec le médecin. Il indique qu'elle n'est pas prête de sortir, confirmant l’avis émis par le juge des libertés et détention le 25 janvier. Dans son courrier, il indique qu'elle est "hallucinatoire, mégalomaniaque, délirante". Mais le 30 janvier, Essia Boularès est finalement libérée. "Je suis abasourdie", confie sa mère à l'audience.

Mon interrogation est la suivante : comment avec ce délire où elle disait qu’elle était descendue du ciel pour sauver les indiens, comment huit jours après on peut signer sa sortie ? Je peux pas le comprendre. Nous avons abandonné toute notre énergie pour la guérir… Voilà, je vais arrêter là…

Michèle Boularès, la mère d'Essia Boularès

Une incompréhension partagée par sa fille Mariam, appelée elle aussi à témoigner. Elle est âgée de cinq ans de plus qu'Essia, elle lui ressemble. C’est elle qui a récupéré sa sœur à la descente du train le 19 janvier. "Elle était totalement incohérente, elle parlait de chamans et avait des taches rouges au visage. J’essayais de la calmer pour la convaincre. Je voulais avec douceur l’amener aux urgences. C’était un vrai délire là"... "Je ne l'avais jamais vue comme ça. Elle ramassait des gobelets dans le jardin de Sainte-Anne, les remplissait avec de la terre, disait que Gaïa était là..."

Comme sa mère avant elle, Mariam ne comprend pas qu'on ait pu laisser sortir sa sœur de l'hôpital six jours avant le drame. Comme sa mère, elle raconte l'impuissance de leur famille face à la maladie. "J’ai passé beaucoup de temps dans ma vie à l’amener à l’hôpital, signer des hospitalisations à la demande d'un tiers, aller la chercher dans des endroits sordides… Mais on ne l’a jamais lâchée. Je me suis éloignée pour préserver ma famille, mes enfants mais je ne l’ai jamais lâchée. Elle n'a jamais été soignée."

Les médecins de Sainte-Anne ne seront pas auditionnés au cours de ce procès. Les experts psychiatres qui ont expertisé Essia Boularès en détention seront quant à eux entendus le 16 février. 

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