La parole est désormais aux accusés. Après avoir entendu pendant 5 semaines, les victimes et leurs proches, la cour d'assises spéciale de Paris se penche cette semaine sur la personnalité des 14 accusés présents à l’audience. Salah Abdeslam, seul survivant des commandos terroristes a été le premier à répondre aux questions de la cour.
On se souvenait de la véhémence des interventions intempestives de Salah Abdeslam à l’ouverture du procès le 8 septembre dernier, rompant le silence dans lequel il se murait depuis son arrestation à Bruxelles en avril 2016. Se présentant comme un "combattant de l'Etat islamique", il avait dénoncé ses conditions de détention.
Quelques jours plus tard, il avait glacé la salle d’audience en déclarant : "On a visé la France, des civils, mais il n'y avait rien de personnel ». (…)"François Hollande savait les risques qu'il prenait en attaquant l'Etat islamique en Syrie" avait-il poursuivi.
C’est un tout autre visage qu’a montré aujourd’hui le principal accusé vêtu sobrement, cheveux rasés et barbe longue en répondant d’une voix posée aux questions de la cour et des avocats.
Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
Salah Abdeslam
En préambule, Jean-Louis Périès, le président de la cour, a tenu à rappeler "les contours de cet interrogatoire de personnalité concernant la vie personnelle de l’accusé" précisant que comme le veut la procédure, les questions concernant la religion, la radicalisation et l’attentat ne seraient abordées qu’en janvier prochain.
Une jeunesse belge
Salah Abdeslam, 32 ans a rappelé son identité. "Je suis né le 15 septembre 1989 à Bruxelles" a-t-il commencé. Il a précisé qu'il n'avait qu'"une seule nationalité, la nationalité française", ses parents, immigrés marocains, ayant vécu en France avant de s'installer en Belgique.
J’étais quelqu’un de calme
Salah Abdeslam
"Je suis le quatrième d'une fratrie de cinq. J'ai trois grands frères, une petite sœur. a poursuivi Salah Abdeslam. Invité avec beaucoup d’humanité par Jean-Louis Périès à parler de son enfance, il l'a décrite comme "très simple", avec un père chauffeur de tramway et une mère au foyer, ajoutant qu'il était "quelqu'un de calme, gentil, serviable", des adjectifs rapportés dans différentes enquêtes de personnalités.
"Vous ne manquiez de rien ?" a questionné un avocat. "Non, j’étais bien" a-t-il répondu.
La cour a ensuite rapidement abordé sa scolarité et son parcours professionnel. L'accusé s'est présenté comme un "bon élève, aimé de ses professeurs" arrêtant sa scolarité à 18 ans, diplômé d’un bac technologique.
"Après j'ai été engagé à la STIP, dans la même société que mon père, en tant qu'électromécanicien et je m'occupais de la réparation des trains", raconte-t-il. Un poste qu'il garde jusqu’à son licenciement en 2011 suite à une première condamnation d’1 an de prison avec sursis pour tentative de vol. Intérimaire, il enchaîne ensuite différents boulots.
Le président a ensuite énuméré ses nombreuses condamnations, notamment pour des excès de vitesse et conduite sous stupéfiants. "J'aime la vitesse", a-t-il commenté, esquissant un sourire.
Salah Abdeslam a décrit une jeunesse banale, faite d'écarts occasionnels, "éduqué à l’européenne mais de culture musulmane". Du foot avec les copains du quartier, des sports de combat. Des sorties au resto, en discothèque, des verres, des jeux d’argent au casino mais sans excès selon l'accusé.
Il a évoqué ses voyages touristiques, son copain d’enfance, Abdelhamid Abaaoud, le cerveau présumé des attentats de Paris, tué dans l'assaut à Saint-Denis. "C’était mon ami d’enfance, je trainais tous les jours avec lui."
Il a également évoqué ses liens avec son frère ainé, Brahim, "son frère préféré" qui s'est fait exploser devant le bar Comptoir Voltaire le 13 novembre 2015.
Sur sa vie sentimentale, l’accusé n’a pas souhaité s’étendre. "Il a le choix de ne pas répondre" a rappelé son avocate Olivia Ronen. Le jeune homme a un temps envisagé de se marier. "Quand ces projets ont-ils été abandonnés ?", demande une avocate des parties civiles. Abdeslam répond : "Quand… ? A partir du moment où heu… Je me suis investi pour faire autre chose. C’est-à-dire les affaires que l’on me reproche", souffle-t-il.
"Avant j’étais comme cela. Je suis né en Belgique j’étais imprégné des valeurs occidentales" a-t-il conclu. Avant... Avant sa radicalisation.
Les conditions de détention
La cour a également examiné les conditions de détention de Salah Abdeslam. Le président lui a demandé s'il avait des visites depuis son incarcération. "J'ai des visites régulièrement de ma mère, de ma tante, de ma sœur aussi, une fois par mois", abordant également son comportement, décrit comme respectueux depuis 2019.
La vie à l'isolement du détenu a longuement été évoquée par son avocate Olivia Ronen l’emmenant par ses questions, à décrire sa cellule de 9 M2, les caméras de surveillance 24 heures sur 24, la cour de promenade murée, l’interdiction qui lui est faite de parler à d'autres détenus ou à étudier.
Même les animaux ne sont pas traités comme cela
Salah Abdeslam
"Pourquoi n'avez vous jamais fait de demande de remise en liberté ?", l'a questionné une assesseure. "Difficile à imaginer que vous alliez me lâcher", a répondu Salah Abdeslam, l'air goguenard.
Pour couper court, le président de la cour a tenu à rappeler les difficultés de la vie en commun en cellule liées à la surpopulation carcérale.
Jusqu'à vendredi la personnalité des 14 accusés sera examinée par la cour d'assises spéciale de Paris.