C’est au tour des parties civiles de prendre la parole. Pendant 5 semaines, les victimes ou leurs proches vont témoigner devant la cour d'assise spéciale. Mettre des mots sur leur 13-Novembre. Des Gardes Républicains présents au Stade de France ont été aujourd'hui les premiers appelés à la barre.
La cour a commencé peu avant 14 heures à entendre les témoignages des victimes du Stade de France, aux abords duquel trois kamikazes se sont fait exploser le soir du 13 novembre 2015, faisant un mort, Manuel Diaz. Les premiers à témoigner sont six Gardes Républicains.
Ce soir-là, ils sont 13 militaires de la Garde Républicaine à accomplir une mission classique de sécurisation et fluidification des abords du stade pour la rencontre amicale entre la France et l’Allemagne. Six d’entre eux sont venus raconter cette soirée d'il y a six ans.
Philippe, en jeans et en chemise, retraité de la gendarmerie aujourd’hui, est le premier à prendre la parole. Il explique les missions du régiment de cavalerie. "Ce soir-là, nous avons 6 chevaux avec 6 cavaliers. Nous arrivons sur le stade, 4 heures avant et nous commençons à patrouiller. Vers 20 heures 45, nous avons ordre de nous mettre en réserve quand là nous entendons une déflagration. Je me retourne, c'est la surprise. Il y avait énormément de fumée", se remémore-t-il. A 25 mètres des Gardes républicains, le premier kamikaze vient d'activer son gilet explosif près de la porte D. Il est 21h16.
Le major s’avance, aide un blessé et "A ce moment-là, je vois un monsieur à quelques mètres de moi, en position à genoux, le tronc posé vers l'avant, j'avais l'impression qu'il me regardait. Je me suis dirigé vers lui et là j'ai vu une jambe nue et je me suis dit : qu'est-ce que ce mannequin de vitrine fait là?"
Raconter son histoire, ça fait du bien
D’une voix de moins en moins assurée, il tient à ajouter : "Si j’ai tenu à témoigner, c’est que je voulais vous expliquer qu’à l’époque j’avais 33 ans de gendarmerie. Les gendarmes, les pompiers, on est tous préparés à vivre des scènes. C’est notre métier. Mais ce soir -là, on était sur l’explosion. On a dû absorber le choc, puis le comprendre et enfin réagir", affirme-t-il soulignant que contrairement aux autres forces de police qui ont été appelées, eux, les Gardes républicains n’ont pas eu le temps de se préparer psychologiquement. "Raconter son histoire, ça fait du bien", conclut-il avant de céder la parole à un de ses collègues.
Lui aussi raconte l’explosion, le bruit, les cris, la fumée puis ce corps, "ce tronc humain coupé en deux, ces morceaux de chair un peu partout et ses chaussures tâchées de sang quand il rentre chez lui".
Je garde en moi le bruit, je garde en moi l’odeur du sang.
Un avant et un après 13-Novembre
Bouleversé, Pierre avoue ne pas avoir "la force de mes camarades. J'ai dû mal à dormir, dû mal à manger, je suis en hyperactivité". Il raconte les images qui reviennent, les odeurs encore. Il raconte ses années de suivi psychiatrique à l’hôpital Bégin. "Je suis post traumatique", affirme-t-il.
Ses mots sont ponctués de silence. Entre colère et désarroi. "Le terrorisme c'est la terreur et ce soir-là, ils ont mis la terreur mais pas seulement sur les victimes ou les blessés mais aussi dans les familles", dit l'ex-garde républicain. Pour lui, il y a "un avant et un après 13-Novembre". S’adressant à la cour, il l'exhorte à ne pas oublier "ceux qui sont blessés à l’intérieur."
Ses collègues défilent à la barre. Ils semblent à fleur de peau, reprennent les mêmes souvenirs avec la même émotion et les mêmes larmes.
C’est en uniforme et l’air martial que l’adjudant Renaud prend ensuite la parole. Mais l’air lui manque très vite et il doit reprendre son souffle pour raconter son 13-Novembre et les mois qui s'en sont suivis. Ce soir-là,"c'était mon premier jour de reprise après mon congé paternité", déclare-t-il. "Ma fille aurait pu ne jamais me connaître", murmure-t-il. De la soirée, l'adjudant Renaud, grand brun très mince, se souvient de "l'homme qui hurlait en cherchant son fils". Et des "boulons" qui viennent taper "contre les Rangers" quand le deuxième kamikaze actionne sa ceinture.
Il raconte ensuite sa profonde détresse. "Quand j'ai l'uniforme, ça va à peu près. Mais à la maison, le moindre bruit..." Il se noie dans le travail pour ne pas penser. "Un jour dans le RER, il y avait un homme de confession musulmane, qui ne demandait rien à personne, je l'ai fixé. S'il y a quelque chose qui se passe, c'est le premier sur lequel je vais sauter. Là j'ai compris que j'avais un problème", dit le jeune Garde républicain. Et quand sa femme fait sa valise, il accepte de se faire aider.
Zéro reconnaissance
Et c’est d’une voix cassée qu’il affirme ne jamais avoir eu de soutient de l’institution gendarmerie. "Zéro reconnaissance", assène-t-il. "J’ai embrassé cette carrière de gendarme car je crois en ses missions", avait-il pourtant dit quelques minutes plus tôt.
"Ce qui me traverse, c'est une onde de choc. Ça ne fait pas peur, ça ne fait pas mal. Et c'est encore plus terrible parce qu'on ne connaît pas", se remémore Grégory, barbu, cheveux grisonnants, en tenue militaire également. "Je suis rentré chez moi j'avais des bouts de chair dans les cheveux." Sa voix s'emplit de larmes quand le président lui demande comment il va. A la fin de sa déposition, quand il retourne sur les bancs du public, un camarade, le prend dans les bras.
Lui aussi se présente à la barre en uniforme et salue militairement la cour. Avant de commencer son récit, le capitaine a tenu à énumérer avec émotion les noms des Gardes républicains présents au stade de France mais qui n’ont pas pu ou souhaité témoigner à la barre.
Des images toujours vives
Ce soir-là, Jonathan, en tant que le chef d'escadron, a 12 hommes sous ses ordres. Alors qu’il les briefe, il est interrompu par la première explosion. "On a un effet blast, on entend les objets voler autour de nous." Lui aussi parle des cris déchirants des blessés mais aussi d’un silence de mort.
Ses hommes maîtrisent un blessé en état de choc qui jure. Puis il découvre le corps de Manuel Diaz, qui a perdu la vie dans l’attentat. "Il me faut un moment d’observation et je constate des jambes, des bras, j’aperçois des fils qui dépassent des corps et là je pense à un kamikaze", raconte-t-il à la cour de plus en plus ému.
A partir de là, j’ai eu peur. Chaque personne pouvait être un kamikaze
Après il dit avoir fait son travail de gendarme, "des actes réfléxes, protéger, secourir, renseigner, enquêter". "C’était un état de sidération", ajoute-t-il. Ce qui le hante, ce sont les cris de joies des spectateurs au sein du stade de France et la mort autour de lui : "j'entends le public applaudir et crier de la joie. Je suis face à deux mondes inconciliables : la vie et la mort, la désolation qui est en face de moi". Il l’avoue, "à partir de là, j’ai eu peur. Chaque personne pouvait être un kamikaze."
Au lendemain des attentats, ses demandes d’aide à sa hiérarchie ne sont pas entendues. "Je me sens abandonné, seul", dit-il avec amertume. Sa hiérarchie estime qu’ils ne sont pas blessés et que par conséquent tout va bien. Pour ne pas sombrer, il se raccroche à sa mission de gendarme. "La France est attaquée, il faut tenir debout, ne pas fléchir face au terrorisme", se répète-t-il. Les chevaux l’aident, soutenir ses hommes aussi ainsi que le travail du bureau d'action sociale de la gendarmerie, qui reconnait enfin sa souffrance.
Le chef d'escadron l'affirme, se constituer partie civile et témoigner au procès est primordial : "C'est important, parce qu'on a toujours eu le sentiment d'être les oubliés.(...) On ne parlait pas des cavaliers de la Garde au Stade de France, seulement des gendarmes intervenus en renfort dans le métro."