Procès du 13-Novembre : "J'ai des cicatrices de peau, de cœur et d'âme"

Au 19e jour du procès des attentats du 13 novembre 2015, débute l’audition des parties civiles du Bataclan. Les témoignages vont continuer pendant trois semaines.

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Leur vie a basculé la nuit du 13 novembre 2015. Les victimes du Bataclan, où 90 personnes sont mortes suite à l’attaque de la salle de spectacle par trois terroristes, ont commencé à prendre la parole devant la cour ce mercredi. Premier témoin à la barre : Jean-Charles, un homme vêtu d’une veste de motard. Le soir des attentats, il se trouve sur le trottoir, à deux pas de la salle, après avoir rejoint un ami. Alors qu’il fume une cigarette, il voit arriver les assaillants, face à lui : "Ils nous ont tiré dessus".

Convaincu, il affirme avoir observé quatre terroristes armés : "Ce ne sont pas des rumeurs ou des on-dit". Le président de la cour d’assises spéciale, Jean-Louis Périès, lui rappelle que "de nombreux témoins parlent de trois terroristes" et que trois kalachnikovs ont été retrouvées : "Êtes-vous bien sûr qu'avec l'émotion, vous ne pouvez pas vous tromper ?" Non, répète le témoin, qui a pu finir par se cacher dans un café.

Le témoin suivant - qui ne souhaite pas que son nom soit publié - est une femme, avec des cheveux clairs, une veste noire et un col roulé. Il s’agit de la première partie civile présente à l’intérieur du Bataclan à témoigner. Venue avec un ami pour assister au concert des Eagles of Death Metal le soir des faits, elle se situait près de l’entrée lorsque les assaillants sont entrés, derrière elle. Pas de sommation : elle entend d’abord "des bruits de pétards" et se retrouve vite au sol, "dans le noir". La femme évoque une "voix presque juvénile" : "La France n’a rien à faire en Syrie, il faut qu’elle parte ! (...) Le premier qui bouge, je le tue !"

Ils rechargent, c'est maintenant qu'il faut sortir

Un spectateur, peu après le début de l'attaque

Bloquée entre des corps, elle évoque le sentiment d’"un gouffre", d’"un trou noir", "hors du temps" : "J'avais envie de rentrer dans le sol". Une autre voix retentit : "Ils rechargent, c'est maintenant qu'il faut sortir… C’est le moment ou jamais". D’abord prostrée, elle finit par se lever, et découvre le corps de son ami : "Sa tête est méconnaissable. J'essaie de stopper l’hémorragie, de rassembler les éléments, ça ne sert à rien… J'essaie de le tirer par les pieds, je n’y arrive pas." Emue, la femme a du mal à parler.

"Des douilles sont tombées sur ma tête"

La rescapée raconte avoir pensé à son mari et ses enfants, avant de courir vers la sortie. Elle sera accueillie par des habitants : "J'étais pleine de sang, c'était gluant". Blessée par des éclats de balles au niveau de la poitrine, du front et du poignet, elle conclut en dénonçant l’"inhumanité aveugle" des "assassins". "J’ai des cicatrices de peau, de cœur et d’âme”, résume-t-elle.

Le prochain témoin appelé à la barre, qui ne souhaite pas non plus que son nom soit publié, a 40 ans. Avec un pull à capuche et une veste en jean sur le dos, il raconte avoir assisté au concert avec cinq amis, dont sa compagne de l’époque. Alors qu’il cherche la sortie pour fumer une cigarette, il se retrouve très vite "nez-à-nez" avec les silhouettes des trois assaillants, en train de tirer. Il explique s’être retrouvé au sol dans la fosse, "sans possibilité de fuir".

Tandis que que sa compagne et un groupe de spectateurs tentent de courir vers une issue de secours, ces derniers se couchent face à la fusillade qui reprend. "Face contre terre, je me couvrais le visage", poursuit-il, la voix tremblante. Alors qu’un téléphone sonne, une victime est prise pour cible. Lui continue de "faire le mort" jusqu’à la fin de l’attaque. Il se souvient notamment avoir vu le pied d’un terroriste face à lui, en ouvrant les yeux : "Des douilles sont tombées sur ma tête". Le tout en se sentant "complètement impuissant".

J’ai pu constater l'ampleur du massacre

Un survivant, en se dirigeant vers la sortie du Bataclan

S’il n’a "que le son", il explique toutefois avoir relevé la tête lors de l’explosion de l’un des terroristes, en apercevant "des lambeaux tomber". L’homme sort finalement du Bataclan, encerclé par les forces de l’ordre : "J’ai pu constater l'ampleur du massacre". Ses amis, eux, ont tous survécu. "Un miracle", note-t-il. Blessé psychologiquement, il souligne sa colère contre les assaillants, contre son "propre pays", mais aussi le sentiment de culpabilité "d’être encore en vie".

Suit à la barre Cédric : un homme tatoué, vêtu d’un T-shirt et d’un jean. Chauffeur-livreur à l’époque, il est venu au Bataclan avec sa compagne pour "une sortie en amoureux". Lorsqu’il aperçoit les terroristes, sa femme lui attrape le bras, avant de courir dans une coursive à proximité du stand de merchandising. La foule tombe, et il se retrouve "dans un amas de personnes", avec sa jambe écrasée et distordue. Il précise avoir vu "des éclairs" et "entendu un crac" concernant les premiers tirs : "J'ai cru que c'était un jack de guitare qui se débranchait, puis des pétards".

"Pendant deux heures, j'ai vu des personnes mourir"

Alors que les terroristes rechargent, le témoin crie aux autres spectateurs de s’enfuir, et voit sa femme partir. Cédric rampe alors jusqu’à des escaliers. "Pendant deux heures, j'ai vu des personnes mourir", raconte-t-il, évoquant "quelqu’un en train de s'étouffer dans son sang" et "une autre personne crier à l’aide". "Les gens se faisaient tirer comme des lapins dès qu’un téléphone sonnait", déplore-t-il. Sorti du Bataclan après l’arrivée de la BRI, il cherche longuement sa femme : "Pendant 45 minutes j’ai regardé les cadavres passer". Quand sa compagne sort enfin, en pleurs, il se rappelle du "meilleur moment de la soirée".

Il se tourne enfin vers le box des accusés, exprimant sa "colère" et son incompréhension. Peu après, Le président de la cour prend la parole pour rappeler la présomption d'innocence dont bénéficie les accusés, "pour la sérénité des débats". 

Clarisse, une femme de 30 ans, s’avance ensuite pour témoigner. Âgée de 24 ans à l’époque, elle venait de terminer ses études, et avait rendez-vous au Bataclan avec deux amis. Alors qu’elle cherche au cours du concert à acheter des canettes de bière à la supérette, elle voit "s’assombrir" le "regard rieur" du videur qui s’apprête à la laisser sortir. Elle et l’amie qui l’accompagne font demi-tour, en entendant les tirs. La jeune femme dit s’être retrouvée "à deux mètres" des terroristes. "Je suis prête, j'attends de me faire tirer dans le dos… 1000 questions se bousculent dans ma tête", poursuit-elle.

J’en arrive a me demander si je me suis vraiment réveillée ce matin

Clarisse, une rescapée

Elle court vers le côté droit de la fosse : "Ça tire en rafale de tous les côtés, ils sont là pour nous tuer… J’en arrive a me demander si je me suis vraiment réveillée ce matin." Après un temps, elle file avec d’autres vers une porte, bloquée, qu’un videur finit par ouvrir. Ils s’y engouffrent et atteignent une loge. En pensant au film GoldenEye, elle commence à défoncer le plafond en placoplâtre. Avec l’aide de spectateurs, elle s’y hisse la première, en tirant de la laine de verre et des fils électriques. Clarisse rampe dans le plafond, jusqu’à une voie d’aération. Elle y trouve un homme qui "ressemble un peu" à son père, qui l’a rassure. Elle lui demande de la serrer dans ses bras si les assaillants arrivent.

La jeune femme précise avoir pu envoyer un SMS à son père. Après une attente "horrible", les policiers les libèrent vers 1h du matin. En racontant "une phase de déni" puis une "descente aux enfers" avec des comportements à risques liés à l’alcool notamment, et un syndrome post-traumatique, elle lance aux accusés : "Vous m'avez ôté le plaisir de vivre une vie facile et sans angoisse". Au total, 16 parties civiles devaient témoigner ce mercredi.

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