A partir de lundi, les élèves portant des abayas ou des qamis devront porter une autre tenue vestimentaire pour entrer en cours. Qu'en pensent ceux qui sont en première ligne, les proviseurs et conseillers d'éducation ? Comment vont-ils faire ? En Île-de-France, ils n'accueillent pas tous cette nouvelle mesure avec le même enthousiasme.
À quelques jours de la rentrée, le ministre de l'Education Gabriel Attal a annoncé que les élèves de l'enseignement secondaire ne pourraient plus porter l'abaya, une longue robe traditionnelle couvrant le corps et portée par certaines élèves musulmanes, et le qamis, pour les garçons, au sein des établissements scolaires.
"Derrière l'abaya, derrière le qamis, il y a des jeunes filles, des jeunes garçons et il y a des familles. Des êtres humains avec qui il faut dialoguer, faire de la pédagogie", a estimé le nouveau ministre de l'Education. Les élèves se présentant à l'école en portant l'abaya ne pourront pas entrer en classe mais "seront accueillis" par les établissements scolaires, qui devront dès la rentrée "leur expliquer le sens" de cette interdiction, a déclaré Gabriel Attal.
Une demande des chefs d'établissement
Radouane M'Hamdi est chef d'établissement du lycée André Boulloche à Livry-Gargan et secrétaire départemental 93 du Syndicat National des Personnels de Direction de l'Éducation Nationale UNSA (SNDPEN-UNSA). Pour lui, la circulaire du ministère de l'Education est bienvenue. C'était d'ailleurs une de leur demande.
"Les chefs d'établissement ont demandé d'avoir plus d'accompagnement et d'appui par rapport à la gestion individuelle de ces situations", indique-t-il. "Nous avons accueilli favorablement ce texte. Une note signée de la part du ministre qu'on peut montrer aux familles et aux élèves facilitera le dialogue".
Quant à la procédure qu'il compte employer, ce proviseur "fonctionnera comme on a toujours fonctionné au portail quand il y a une tenue vestimentaire qui n'est pas dans la réglementation". L'élève concerné est "orienté vers le bureau du chef d'établissement qui engage le dialogue", détaille-t-il.
Si on doit rouler à 90 km/h, on ne roule pas à plus de 90 km/h. C'est pareil. Le terme abaya ou qamis est écrit noir sur blanc, c'est la loi, c'est la réglementation, on la respecte.
Radouane M'Hamdi, secrétaire départemental 93 du SNPDEN-UNSA
Pour ce proviseur, pas question d'entrer dans des considérations personnelles. Il appliquera la directive. "Si on doit rouler à 90 km/h, on ne roule pas à plus de 90 km/h. C'est pareil. Le terme abaya ou qamis est écrit noir sur blanc, c'est la loi, c'est la réglementation", tranche-t-il. Ajoutant néanmoins que tout au long de l'année, des ateliers sur la question de laïcité sont régulièrement organisés.
Avec cette note, il estime que les chefs d'établissement auront "un argument valable" face aux élèves ; "ce ne sera pas un ressenti ou une interprétation qui pourrait être différente d'une personne à l'autre et d'un établissement à l'autre".
Toutefois, encore quelques heures avant la pré-rentrée des professeurs, la note n'était toujours pas parvenue aux établissements. Radouane M'Hamdi craint que cela n'arrive pas à temps : "On voulait les avoir avant la rentrée pour qu'on puisse les présenter aux équipes pédagogiques lors de la pré-rentrée et qu'on puisse communiquer à ce propos auprès des élèves et des familles avant la rentrée".
"Comment faire la différence ? Au faciès ?"
De son côté, Anne*, une conseillère principale d'éducation (CPE) d'un lycée de Seine-Saint-Denis qui souhaite rester anonyme, s'inquiète de cette nouvelle directive à suivre pour la rentrée. Selon elle, ce qui est demandé n'est pas assez clair.
Lors d'une réunion, j'ai demandé si toutes les robes longues et couvrantes étaient des abayas. On m'a répondu que non. J'ai demandé comment faire la différence. Je n'ai pas eu de réponse. Comment suis-je supposée faire la différence ? Au faciès ?
Une CPE dans un lycée de Seine-Saint-Denis
"C'est un signal que tout ça est quand même assez vague et flou. Je veux bien entendre que je doive appliquer des règles, mais encore faut-il qu'elles soient claires", ajoute-t-elle.
La note devrait "clarifier la règle", a indiqué le ministre. "Elle donne un certain nombre de pistes, de guides pour faire ce travail d'échange", a-t-il complété.
Cette CPE admet qu'elle pense "faire le minimum de ce qu'on me demande de faire" car "personnellement et éthiquement, je ne vois pas en quoi le fait de porter ce type de vêtement interfère avec le principe de laïcité", confie-t-elle. Elle poursuit : "Je trouve qu'il faudrait qu'on foute la paix aux filles, à la condition qu'elles ne troublent pas la mission d'éducation de l'école. Dans mon lycée, certaines portent des crop tops, d'autres des abayas et tout se passe bien." (...)"Je pense que c'est une stigmatisation d'une certaine population avec un focus sur les filles", déclare-t-elle.
Anne regrette que l'attention des chefs d'établissement et des équipes pédagogiques doivent se porter sur cette situation lors de cette pré-rentrée alors que "l'énergie devrait être concentrée sur autre chose" selon elle : "Des établissements manquent d'infirmières, d'assistantes sociales, c'est une vraie crise du recrutement..."
Après le voile en 2004, puis le bandeau, c'est donc l'abaya qui est le nouveau symbole des frictions autour de la laïcité à l'école. L'annonce de l'interdiction de l'abaya entre dans la continuité de la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de tenues ou signes qui manifestent "ostensiblement une appartenance religieuse". Pour autant, certains qualifient l'abaya de "forme de mode", selon les mots d'Abdallah Zekri, le vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM). "La meilleure manière pour savoir si c'est religieux ou pas, c'est de savoir le sens que donnent à ce vêtement celles qui le portent", a déclaré à l'AFP Haoues Seniguer, maître de conférence à l'IEP de Lyon et spécialiste de l'islamisme.
*Le prénom a été modifié